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Myopathie des ceintures : pourquoi certains patients arrivent à compenser la maladie ?

Photo de la main d’une personne en blouse posée sur la main d’une personne tenant une canne.
La myopathie des ceintures de type R2 se traduit par une faiblesse musculaire évoluant progressivement vers des difficultés à courir ou monter les escaliers, jusqu’à contraindre le patient à se déplacer en fauteuil roulant. Africa Studio/Shutterstock

Dans de nombreuses maladies d’origine génétique, tous les patients qui présentent une même mutation au niveau de leur ADN ne développent pas les mêmes symptômes. C’est notamment le cas de la myopathie des ceintures de type R2.

Cette maladie, qui touche les muscles des épaules et du bassin, se déclenche chez certains patients dès le plus jeune âge, tandis que d’autres n’en subiront les symptômes que très tardivement. Si la plupart des personnes atteintes vont perdre la capacité de marcher, dans de rares cas, la maladie n’atteindra jamais ce stade.

Pour mettre au point un traitement pour cette pathologie encore incurable, dont je suis moi-même atteinte, il est important de comprendre les mécanismes développés par ces patients « atypiques ». C’est l’objectif de ma thèse, menée au sein de l’équipe de recherche du chercheur Xavier Nissan, spécialiste des maladies neuromusculaires. Nos résultats ont permis d’identifier une piste d’explication.

Qu’est-ce que la myopathie des ceintures de type R2 ?

Les myopathies sont des affections qui se traduisent par un mauvais fonctionnement des muscles. Les symptômes sont un affaiblissement musculaire, des douleurs, des crampes et une réduction de la mobilité. Il existe différentes formes de myopathies : si la majorité provient d’anomalies génétiques transmises par les parents, d’autres peuvent être causées par un dysfonctionnement du système immunitaire, des infections, ou encore par certains médicaments.

À ce jour, plus de 200 myopathies sont recensées, dont les conséquences sont plus ou moins sévères. La myopathie de Duchenne est la plus connue et la plus rependue chez l’enfant. Elle affecte tous les muscles du corps, y compris ceux des bras et des jambes, ainsi que le cœur et le diaphragme, essentiel à la respiration.

La myopathie des ceintures de type R2 est une maladie musculaire provoquant un affaiblissement des muscles dits « des ceintures », autrement dit les muscles de la ceinture scapulaire (muscles des épaules) et de la ceinture pelvienne (muscles du bassin). Cette maladie rare d’origine génétique touche environ 1,63 personne sur 100 000. Dans la majorité des cas, le cœur et les muscles respiratoires ne sont pas touchés, et l’espérance de vie n’est pas diminuée.

La plupart des patients atteints de la myopathie des ceintures de type R2 vont déclarer les premiers symptômes seulement au début de l’âge adulte, après une phase dite « silencieuse ». Les premiers symptômes sont une faiblesse musculaire, des difficultés à courir ou monter les escaliers. La progression de la maladie est généralement lente, avec un affaiblissement progressif des muscles, jusqu’à contraindre le patient à se déplacer en fauteuil roulant.

De manière surprenante, certains patients ne développent les premiers symptômes qu’aux alentours de 60 ans. Chez ces patients, certains muscles, certaines cellules vont être capables de se préserver de la maladie.

Afin de comprendre pourquoi, il faut pouvoir étudier la maladie en laboratoire. Pour cela, nous avons recours aux cellules souches.

Les cellules souches, un outil indispensable

Les cellules souches sont des cellules très particulières : elles sont non seulement capables de se multiplier à l’infini, mais aussi de se transformer en n’importe lequel des types de cellules spécialisées qui existent dans le corps humain. Ces capacités sont très importantes pour l’étude des maladies génétiques et la mise au point de traitements.

L’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques (I-Stem), où j’effectue ma thèse, se concentre sur l’utilisation de cellules souches pluripotentes induites (ips) pour comprendre et traiter des maladies génétiques rares. Ces cellules ips sont créées en reprogrammant des cellules adultes différenciées, telles que des cellules de peau, afin de leur faire retrouver leur état de cellules souches.

En utilisant des cellules souches dérivées de patients atteints de myopathie, nous sommes désormais capables de reproduire les caractéristiques de la maladie en laboratoire, offrant ainsi un modèle de la maladie hautement personnalisé.

Une question de gène ?

Récemment, une équipe de cliniciens de l’hôpital La Pitié-Salpêtrière a mené une étude rétrospective sur une cohorte de patients impactés tardivement par la maladie. Une des questions qui se pose est : comment le corps de ces patients a-t-il fait pour contrer la maladie pendant toutes ces années ?

Pour tenter d’y répondre, notre équipe a décidé de comparer le niveau d’expression des gènes chez les patients atteints tardivement au niveau d’expression des gènes de patients atteints plus précocement. Cette étude a été menée sur 15 biopsies musculaires de patients. Les résultats que nous avons obtenus ont révélé que plusieurs gènes sont exprimés différemment entre ces deux catégories de patients.

Grâce à nos cellules souches pluripotentes induites issus de patients, nous évaluons actuellement l’impact de ces gènes sur la maladie : elles nous permettent d’étudier les effets des dérégulations de gènes. L’idée est d’observer si l’on améliore ou aggrave la pathologie en enlevant ou surexprimant un de ces gènes directement sur nos cellules « malades ».

Grâce à cette approche, mes deux ans et demi de recherche m’ont permis de mettre le doigt sur un potentiel mécanisme de compensation chez les patients qui développent tardivement la maladie.

Une question d’autophagie ?

Tous les patients chez lesquels la maladie ne se développait que tardivement présentaient des niveaux plus élevés d’autophagie. Ce mécanisme est celui par lequel les cellules éliminent les déchets et les toxines, tout en contribuant à leur propre réparation.

Concrètement, les déchets présents dans la cellule sont rassemblés dans une vésicule, l’autophagosome. Celle-ci fusionne avec une autre vésicule contenant elle des enzymes capables de digérer le contenu de l’autophagosome. Les débris peuvent alors être utilisées pour fabriquer de nouvelles molécules ou de l’énergie, aidant ainsi la cellule à rester en bonne santé.

L’autophagie a un rôle essentiel dans l’adaptation de l’organisme face à des conditions difficiles. En conditions de stress ou de restriction calorique, elle s’adapte pour réguler la disponibilité en glucides, lipides et acides nucléiques, et booste notre système immunitaire. L’autophagie peut également améliorer la dégradation de diverses bactéries et virus et jouer un rôle protecteur dans de nombreuses maladies infectieuses.

Avec l’âge, l’efficacité du processus d’autophagie décline, contribuant à l’accumulation de protéines endommagées dans les cellules et une augmentation de la susceptibilité aux maladies liées à l’âge, telles que les maladies dégénératives (comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson), les maladies cardiovasculaires, ou encore la dégénérescence musculaire. À l’inverse, l’induction de l’autophagie favorise la longévité chez la drosophile, le nématode Caenorhabditis elegans ou encore la souris.

En plus de nettoyer les débris, l’autophagie participe aussi à réparer les membranes cellulaires endommagées. Toutes ces vésicules viennent apporter des nouvelles parties saines de membranes et aident les cellules à se réparer. Et cela tombe bien, car dans la myopathie des ceintures de type R2, les muscles ne sont plus capables de se réparer, ce qui impacte leur fonction. C’est suite à ces observations qu’est née l’hypothèse que des niveaux plus élevés d’autophagie pouvaient contribuer à compenser la maladie et retarder le développement des premiers symptômes.

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De nouvelles pistes de traitements ?

En quoi l’autophagie peut-elle aider les scientifiques dans leur quête pour trouver des traitements efficaces contre les maladies musculaires incurables ? La réponse est à chercher du côté de molécules capables de stimuler l’autophagie. Ces « inducteurs d’autophagie » peuvent aider les cellules musculaires à éliminer les protéines endommagées, les agrégats toxiques et d’autres déchets cellulaires qui contribuent à la progression de la maladie. Et ainsi, les aider à mieux se réparer.

Ce constat s’applique à plusieurs maladies musculaires incurables. Par exemple, l’urolithine A et la rapamycine, tous deux inducteurs d’autophagie, améliorent la fonction musculaire dans la myopathie de Duchenne. L’activation de l’autophagie aide à la régénération des muscles et agit sur la sarcopénie, responsable de la baisse progressive et généralisée de la masse musculaire au cours du vieillissement.

Par ailleurs, certaines substances naturelles peuvent booster l’autophagie. C’est par exemple le cas du resveratrol, présent dans le raisin, de la curcumine issue du curcuma, de la tomatidine trouvée dans la tomate ou encore de la cucurbitacine du concombre…

Partant de ces différents constats, notre équipe a décidé de tester un panel de molécules connues pour activer l’autophagie sur nos modèles cellulaires en laboratoire. Certaines d’entre elles se sont avérées très efficaces en laboratoire, et ont notamment permis de protéger la membrane des cellules musculaires malades.

Petit bémol cependant : toutes ces molécules ont été testées à des concentrations beaucoup plus élevées que celles trouvées naturellement dans les produits cités précédemment. Mais il s’agit d’une première étape. Des recherches supplémentaires sont en cours afin de comprendre pleinement le mécanisme d’action de ces molécules dans cette pathologie et identifier le composé le plus efficace afin de le tester ensuite in vivo.

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