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L’arrivée d’un enfant peut initier des changements de comportements plus durables. Shutterstock

Naissance, séparation, retraite… quand la vie provoque des déclics comportementaux écoresponsables

Moyen de transport privilégié, marques favorites ou habitudes alimentaires… nous sommes toutes et tous imprégnés par de routines, c’est-à-dire d’automatismes qui ne nécessitent aucun effort mental, aucune recherche d’information et stabilisent notre vie quotidienne.

Ces gestes incorporés par l’expérience répétée procurent un sentiment de maîtrise de la pratique qui met en confiance. Et toute nouvelle solution, source d’incertitudes, sera spontanément exclue.

Rompre des habitudes ancrées suppose une remise en cause de nos schémas d’action et implique de construire d’autres compétences, ce qui exige une certaine disposition psychologique. Un tel processus est souvent provoqué par des événements conjoncturels ou structurels qui vont générer un moment de latence, au cours duquel l’individu se désinvestit de ses routines avant de parvenir à en reconstruire de nouvelles.

Malgré ces périodes propices, les « déclics comportementaux » ne sont, eux, pas automatiques. Dès lors, comment transformer ces moments charnières en opportunités pour encourager des pratiques écoresponsables ?

L’Ademe s’est penchée sur les conditions nécessaires pour que ces moments de rupture provoquent une transformation à long terme de gestes favorables à l’environnement. Cette étude, réalisée par le Crédoc pour l’Ademe et basée sur des travaux de recherche et des entretiens avec des publics variés, fait ressortir plusieurs catégories d’événements.

Subis ou choisis, structurels ou conjoncturels, vécus positivement ou pas, ils n’auront pas le même impact sur la pérennité des changements.

Ruptures choisies, moteur de changement

Les événements prévisibles, anticipés et choisis, comme l’émancipation du foyer parental, l’arrivée d’un enfant, l’accession à la propriété, ou encore le départ à la retraite, provoquent l’initiation à de nouvelles pratiques propices à la réflexion et favorables à des pratiques écoresponsables : faire soi-même ses courses pour un jeune ou nourrir un nouveau-né par exemple.

Sarah, jeune maman, témoigne ainsi :

« Je me suis mise au bio exclusif. […] Je vais plus souvent au marché, je fais attention à la provenance des fruits, au fait qu’ils soient de saison. […] Le déclencheur c’est les enfants, on pense à leur bien-être, leur alimentation. »

L’autonomisation vis-à-vis de la sphère familiale implique une prise de conscience à l’égard du coût de ses choix quotidiens de consommation, d’alimentation et de mobilité, mais permet aussi de concilier ses pratiques avec ses valeurs. Touchée par la souffrance animale, Adeline raconte avoir réduit sa consommation de viande après avoir quitté le foyer parental.

Les retraités peuvent quant à eux mettre à profit le temps libéré pour cuisiner davantage, se déplacer autrement ou faire leurs courses en circuit court. La diminution de leurs revenus peut les inciter à être économes et leurs besoins en matière d’équipements et de vêtements sont plus mesurés. André, 62 ans, témoigne :

« On ne va pas racheter pour racheter, on a plutôt tendance à avoir moins de choses. C’est une prise de conscience, avant j’étais très consumériste. »

Ruptures subies, moins efficaces sur le long terme

A contrario, les ruptures subies, plutôt imprévisibles et vécues négativement – une séparation ou une période de chômage, par exemple – peuvent engendrer des contraintes matérielles imposant l’adoption de pratiques plus économes, mais sont souvent associées au souhait d’un retour à la situation antérieure dès que possible.

Toutefois, l’indépendance retrouvée à la suite d’une rupture ou au départ des enfants du foyer peut amener à repenser ses pratiques au regard de ses propres valeurs et besoins. Isabelle, 54 ans, raconte ainsi :

« Avant j’emmenais mes filles à l’école, elles sont pas très vélo, pas très sport, et le matin, on était pressées. Maintenant que je suis toute seule, c’est quand même plus simple de partir à vélo. »

Fêtes, grèves, confinement…

Quant aux événements conjoncturels, comme une grève des transports ou une panne de voiture, ils peuvent être l’occasion de découvrir de nouvelles pratiques (vélo ou télétravail, par exemple). Mais si la période est vécue négativement et qu’aucun bénéfice n’est tiré des solutions expérimentées, le retour à « la normale » leur sera fatal.

Le confinement de mars 2020 a ainsi imposé un changement de pratiques et semble avoir nourri des réflexions sur des transformations profondes sur cette période. Mais avec l’inscription de la crise dans la durée, la pérennité de ces changements de pratiques dépendra des conditions dans lesquelles elle aura été perçue et des évolutions organisationnelles qui auront émergé.

De même, les moments de vacances ou les fêtes de fin d’année peuvent être l’occasion de découvrir ou faire découvrir de nouvelles pratiques (achat d’occasion, etc.). Mais ancrées dans les pratiques sociales, elles constituent une parenthèse peu propice à l’adoption de gestes écoresponsables pérennes.

Méfiance et idées reçues

Choisies ou subies, les ruptures ne provoquent pas uniquement des gestes favorables à l’environnement. Dans le cas de l’arrivée d’un enfant, les nouveaux parents seront certes plus sensibles à l’alimentation et aux produits utilisés, mais en même temps achèteront peut-être une voiture ou quantité de matériel de puériculture et de jouets.

De même à la retraite, le temps libre et la peur de l’isolement engendrent parfois des pratiques moins vertueuses comme des voyages en avion ou une fréquence accrue des déplacements quotidiens en voiture.

Hormis l’envie de se faire plaisir, d’autres facteurs peuvent freiner l’adoption d’habitudes écoresponsables, comme le manque de confiance dans certains produits (bio, vrac, achat d’occasion, produits ménagers écologiques…) ou encore les idées préconçues (hausse de la température du logement pour l’enfant, nécessité de produits de puériculture…).

Elena, nouvelle maman, se méfie par exemple des vêtements d’occasion. Sur le plan de l’hygiène et de la sécurité, cela se heurte à l’image qu’elle se fait du « bon parent ».

Sensibiliser au bon moment

Une plus grande sensibilisation pendant ces moments de latence pourrait aider à prévenir certains comportements : rappeler que la chambre d’un bébé ne doit pas être trop chauffée, montrer que certaines pratiques favorables à l’environnement peuvent aussi être bonnes pour la santé de l’enfant et permettre de faire des économies (cuisiner soi-même, supprimer les cosmétiques pour bébés, éviter d’acheter des lingettes, limiter les produits ménagers, etc.).

Concernant l’arrivée d’un bébé par exemple, l’expertise et les conseils du personnel médical et des professionnels de la petite enfance à des moments clés sont précieux pour orienter et rassurer les futurs ou nouveaux parents (ou faire des piqûres de rappel quand il s’agit du deuxième ou du troisième).

Les parents se montrent très réceptifs aux messages de sensibilisation dès le projet de conception et durant toute la grossesse, particulièrement au cours du troisième trimestre. Le séjour en maternité et les consultations postnatales constituent aussi des moments opportuns pour diffuser des messages de prévention.

C’est ce qu’illustre l’expérience de Julie, jeune maman, à qui la sage-femme a dit :

« Ce n’est pas être une mauvaise mère ou être radine que d’acheter de l’occasion et c’est bon pour la planète, donc c’est bon pour lui. »

Renoncer aux enfants pour sauver le climat ? (Arte Découverte, le 7 février 2020).

C’est le cas également avec les professionnels rencontrés dans les magasins de bricolage, dont les conseils apparaissent souvent déterminants pour la réalisation de petits ou grands travaux de rénovation. Ainsi Pierre, 48 ans, a été encouragé par un professionnel d’une enseigne de bricolage qui l’a incité à choisir une peinture à l’eau, afin d’éviter le recours aux produits toxiques.

L’accession à la propriété peut être l’occasion de s’interroger sur les performances énergétiques du logement. Les aides à la rénovation et le réseau de service public Faire constituent des leviers importants pour engager ces travaux, les professionnels de l’immobilier pourraient contribuer à les valoriser davantage.

Par ailleurs, pendant la recherche du logement, l’offre de proximité ainsi que le coût qu’engendrerait une dépendance à la voiture pourraient être mieux appréhendés. Le déménagement est aussi un moment clé pour alerter sur l’accumulation des objets et inciter à moins consommer.

Quant à la période des fêtes de fin d’année, les médias et autres influenceurs ont sans doute un rôle pour faire évoluer les représentations sociales autour de l’achat d’occasion et de la profusion.

Cohérence des messages

Diffuser les bons messages aux moments opportuns suppose que les acteurs qui interviennent au plus près des publics concernés par ces événements de vie et les périodes de latence ainsi déclenchées aient des discours convergents.

Devant la quantité d’information qui circule, certains propos ne sont peut-être pas entendus ou mal appréhendés. La mutualisation des actions de communication entre organismes publics et privés pourrait être un objectif à privilégier et développer.

Enfin, les conditions matérielles sont également déterminantes pour faciliter la mise en place de nouvelles pratiques telles que la qualité de l’offre de proximité (marché de producteurs locaux, magasins bio, pistes cyclables…), la possibilité de bénéficier d’aides financières pour l’achat d’un véhicule électrique ou pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique.

Les comportements écoresponsables ne relèvent pas que de choix individuels ou de moments propices, mais aussi de nos modes d’organisation collective.

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