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Non, la Vᵉ n’est pas un régime présidentiel !

Montage photo d'Emmanuel Macron représenté en Louis XVI pour témoigner d'une forme d'abus de pouvoir présidentiel, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites et l'usage répété de l'article 49.3 au Parlement. Lyon, 6 juin 2023. Jeff Pachoud / AFP

Ce 4 octobre, la France fête les 65 ans de la Constitution de la Ve République. Cet anniversaire intéresse les commentateurs qui s’interrogent sur cette stabilité, la France ayant été habituée, mis à part la IIIe République, à des régimes plus courts. Les raccourcis sont alors nombreux et certains vont jusqu’à prétendre que la Ve serait un régime présidentiel. C’est pourtant faux.

Pour se convaincre de la nature parlementaire de notre régime, il suffit de relire l’article du professeur de droit Georges Vedel sur le régime présidentiel dans l’Encyclopédie universalis.

Dans un tel régime, la séparation des pouvoirs est dite stricte. Celle-ci est agencée autour de l’autonomie des pouvoirs, aucun n’intervenant dans la désignation de l’autre et ne pouvant mettre un terme anticipé à ses fonctions.

Cette indépendance juridique est doublée d’une spécialisation fonctionnelle : chaque titulaire se voit offrir la plénitude des compétences attachées au pouvoir qui lui a été confié. L’autre dispose seulement d’un moyen d’empêcher, traduction des checks and balances, garants de l’équilibre du régime

La collaboration est ainsi « négative », chacun disposant de la « faculté de rendre nulle » la décision prise par un autre. A gros traits, le régime présidentiel ne connaît ni dissolution ni motion de censure. Il n’y a d’ailleurs pas de gouvernement au sens d’organe collégial émanant de la majorité parlementaire et politiquement responsable devant elle. Les chefs d’État sont seulement entourés de secrétaires politiquement responsables devant eux.

Les rappels de ces quelques principes démontrent qu’à n’en pas douter, la France est un régime parlementaire. On ne rencontre dans la Constitution de 1958 aucun des principes du régime présidentiel : ni indépendance juridique, ni spécialité fonctionnelle. Exécutif et législatif collaborent et détiennent un pouvoir de révocation réciproque. Ainsi la Constitution prévoit-elle la motion de censure, traduction du principe de responsabilité politique du gouvernement devant l’assemblée (art 49 al 2) et l’équilibre-t-elle par la dissolution (art 12).

L’existence de projets de loi sur lesquels le Premier ministre engage – ou pas – la responsabilité du gouvernement est également une des manifestations du caractère parlementaire de notre régime. Elle traduit la collaboration des pouvoirs, le Premier ministre disposant avec les parlementaires de l’initiative législative (art 39) puis du droit d’amendement (art 44).

D’où vient alors cette confusion ? Sans doute du fait que si elle est résolument un régime parlementaire, la Ve est un régime parlementaire particulier.

La Vᵉ, un régime parlementaire particulier

En droit d’abord, la Ve innove en reconnaissant au président de la République des pouvoirs propres qui en font un acteur du jeu institutionnel. Dans un régime parlementaire que l’on peut qualifier de classique, le rôle du chef de l’État est avant tout symbolique, il ratifie les choix opérés par d’autres. Ainsi, son pouvoir de nomination permet seulement de donner une existence juridique au gouvernement, choisi en dehors de lui par la majorité à l’Assemblée. Aussi, tous ses actes sont-ils signés par le chef de gouvernement et les ministres responsables de leur exécution. Ce contreseing servait originellement à authentifier les actes du chef de l’État, il a ensuite permis de transférer la responsabilité politique de l’acte, avant qu’avec la responsabilité, la réalité du pouvoir soit transférée au chef du gouvernement, véritable initiateur de ces décisions.

En France, de nombreux pouvoirs du président sont dispensés du contreseing, lui permettant d’assurer son rôle de « clé de voûte » capable d’absorber les pressions contraires des organes législatif et exécutif. Les pouvoirs dispensés de contreseing, comme la nomination du Premier ministre (art 8 al 1), lui permettent d’assurer la stabilité de la construction constitutionnelle.

C’est en ce sens qu’il faut entendre la notion de « pouvoir propre » évoquée plus haut. Il s’agit des pouvoirs ayant trait à la justice constitutionnelle, ceux permettant d’en appeler à la Nation. Il s’agit enfin des pouvoirs attachés à sa fonction d’arbitrage et de garant de l’intérêt de la Nation. Le pouvoir de nommer le Premier ministre et de prononcer la dissolution s’attachent à cette fonction d’arbitrage. Il faut se souvenir que les rédacteurs de la Constitution n’envisagent pas l’existence d’une majorité stable, ils n’ont pu expérimenter que des coalitions fragiles. Ainsi, le pouvoir du président de « nommer » le chef de gouvernement indépendamment de toute procédure d’investiture (art 8 al 1) lui permet de sonder la composition de l’Assemblée pour désigner celui qui lui semble le plus à même d’être le chef de la majorité qu’il voit se dessiner.

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La dissolution, libérée de toutes les conditions imposées par la IVe République (art 51 de la Constitution de 1946) est également un pouvoir d’arbitrage, le président étant libre d’estimer si le conflit qui oppose majorité et gouvernement doit être tranché par le peuple.

Dans les deux cas, les mécanismes d’équilibre instaurés par le régime parlementaire sont, sous la Ve, maîtrisés par le président. Cette réalité parasite notre perception du régime de la Ve République. Elle est toutefois insuffisante à expliquer le recours fréquent au qualificatif de régime présidentiel.

Une particularité juridique amplifiée par la pratique

Alors pourquoi cette confusion persistante ? Sans doute parce que cette particularité juridique a été amplifiée par la pratique. Dès lors qu’il a été élu au suffrage universel direct, le président a été légitime à intervenir directement dans l’action politique quotidienne au détriment du gouvernement. Plus encore, c’est au cours de son élection et non plus lors des législatives que les contours de l’intérêt général se dessinent.

Au cours des 56 années de concordance, les députés de la majorité se sont montrés fidèles au chef de l’État qui avait permis leur élection et qui dispose du pouvoir de les renvoyer devant leurs électeurs. À tel point que leur loyalisme les a conduits à abandonner certains de leurs pouvoirs au président : celui de choisir le chef du gouvernement ou de le révoquer.


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En dépit de la place prise par l’institution présidentielle, notre régime n’est toujours pas un régime présidentiel. Si aucune motion de censure n’a été adoptée depuis 1962, son existence est toujours prévue par la Constitution et de nombreuses sont déposées (la dernière le 27 septembre 2023). De même, le gouvernement est toujours chargé de conduire la politique de la Nation par ses projets de loi.

Comment qualifier notre régime pour traduire cette réalité institutionnelle et éloigner la comparaison injustifiée avec le régime présidentiel ?

Un régime parlementaire rationalisé, dualiste et majoritaire

Notre régime parlementaire est avant tout rationalisé : les relations entre exécutif et législatif sont encadrées par le droit afin de garantir la stabilité du gouvernement et l’efficacité de son action. Toutes les procédures redécouvertes par les Français à l’occasion de l’examen du projet de loi retraite (vote bloqué, art 49 al 3, irrecevabilité financière de l’art 40…) constituent de tels mécanismes d’encadrement qui offrent au gouvernement la maîtrise du fond et des horloges, puisqu’il choisit le moment où il active ses pouvoirs.

Il est ensuite en fait et non en droit un régime parlementaire dualiste, le président ayant créé un second lien de confiance au cœur du régime parlementaire. Dans un régime parlementaire classique, une seule relation de confiance existe, celle qui unit la majorité parlementaire et le gouvernement. Dans un régime dualiste, une relation de confiance entre le chef de l’État et le gouvernement se surajoute : le premier Ministre doit toujours jouir de la confiance de la majorité, mais il ne saurait durablement gouverner sans celle du président. Le caractère dualiste du régime cède lorsque la majorité à l’Assemblée est opposée au président. Dans ce cas, il ne peut plus s’appuyer sur le loyalisme de la majorité pour désigner librement le Premier ministre. Il doit « se soumettre à la logique du régime parlementaire » et nommer Premier ministre le leader du parti majoritaire à la chambre. Rôle qu’il ne peut plus jouer puisque son parti n’est plus majoritaire.

Le principe majoritaire s’impose donc à nos institutions, nouvelle manifestation du caractère parlementaire de notre Ve, régime parlementaire majoritaire dans lequel le chef de la majorité, qu’il siège à l’Elysée ou à Matignon, dirige l’action du gouvernement et de la majorité à l’Assemblée.

Rationalisé, dualiste, majoritaire, voilà de quoi qualifier suffisamment le régime de la Ve. Si les qualificatifs aident à mieux cerner la réalité, ils n’ont de sens que parce que la Ve est par essence un régime parlementaire.

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