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Les quatre nouveaux visages de l'information à Noovo : (à l'avant, de gauche à droite) Lisa-Marie Blais, Noémie Mercier, (derrière, de gauche à droite) Meeker Guerrier et Michel Bherer. Noovo

Noovo.info : lancer un bulletin de nouvelles télé en 2021, est-ce fou ou visionnaire ?

Ils en ont fumé du bon. C’est ce qu’on pourrait se dire en apprenant que Bell lance un nouveau bulletin de nouvelles télé, en ondes depuis le 29 mars.

L’impression pourrait se poursuivre en lisant la décision qui autorise le géant des télécommunications à acheter V pour créer Noovo. Non seulement c’est Bell qui a proposé de produire, à l’interne, de l’information. Mais l’entreprise s’est même engagée à surpasser ses conditions de licence !

Tableau 1
Comparaison entre le nombre d’heures hebdomadaires de « nouvelles de reflet local » par station et par saison imposé par le CRTC et ce que Bell a proposé. Décision de radiodiffusion CRTC 2020-154, 19 mai 2020, paragraphes 105 à 107.

La télévision… tellement XXᵉ siècle !

Au premier abord, la décision de Bell étonne parce que le contexte est peu propice au lancement d’une nouvelle chaîne d’information télé.

Il y a d’abord les « cable cutters », ces gens qui se désabonnent du câble ou d’autres services de télédistribution. Bell est particulièrement bien placée pour connaître le phénomène. Entre 2018 et 2020, l’entreprise a perdu 110 000 abonnés à ses services de télédistribution au Canada (2,85 à 2,74 millions), ce qui représente une diminution de près de 4 % sur deux ans.

Car de reportage, Noovo.info.
Car de reportage de Noovo.info, photographié devant le siège de Bell Média, boulevard René-Lévesque à Montréal. Jean‑Hugues Roy

Ensuite, les gens écoutent de moins en moins la télévision traditionnelle, selon l’édition 2019 du Rapport de surveillance des télécommunications du CRTC. Alors qu’en 2014, les Canadiens de 18 ans et plus en écoutaient 29 heures par semaine, ils n’y consacraient plus que 26,2 heures en 2018, une diminution de près de 10 % en quatre ans ! Chez les 18-34 ans, le recul est encore plus brutal. L’écoute est passée d’un déjà maigre 20,6 heures par semaine en 2014 à seulement 15,2 heures en 2018. C’est une diminution de plus de 26 % !

Et pour clouer le cercueil, la place de l’information a tendance à diminuer dans cette écoute en chute libre. C’est ce qui ressort d’une analyse de tous les palmarès hebdomadaires des 30 émissions de TV les plus regardées au Québec francophone entre 2010 et 2020.

Dans cet échantillon, j’ai fait la somme des écoutes des bulletins de nouvelles (essentiellement les différentes éditions du TVA Nouvelles et du Téléjournal de Radio-Canada) et des émissions d’affaires publiques (comme Découverte, J.E., La Facture, Enquête et d’autres). Les résultats, présentés dans le graphique ci-dessous, montrent que la dernière décennie s’est découpée en trois périodes.

Figure 1
Somme de l’écoute des bulletins de nouvelles et des émissions d’affaires publiques dans le top-30 des émissions les plus écoutées par semaine au Québec francophone (2010-2020). Numeris.

L’information à la télévision a d’abord subi une diminution importante entre 2010 et 2015. Elle a été suivie par une relative stagnation entre 2015 et 2019 pour se terminer par un impressionnant regain en 2020. Il faut cependant se dire que ce sursaut est essentiellement attribuable à la pandémie, qui a vu d’autres médias enregistrer des hausses d’achalandage. Et que ce sursaut n’a pas dépassé l’écoute de 2010 ou de 2011.

C’est pas juste de la TV

Pour comprendre la décision de Bell, en fait, il faut se rappeler que Noovo.info n’est pas uniquement un bulletin télévisé. C’est un nouveau service d’information multiplateformes (télé, radio, web) qui voit le jour.

Et c’est ainsi qu’en examinant d’autres données, on se rend compte qu’il y a d’autres terrains que Noovo.info peut occuper. Il y a le web, bien sûr, et les applications mobiles (l’info a déjà sa place dans l’appli du réseau Noovo). Mais la vidéo sur les réseaux sociaux est relativement peu exploitée par les médias québécois. C’est là que Noovo.info pourrait aussi rejoindre un autre public que celui, vieillissant et bien ancré dans ses habitudes, des bulletins télé.

Commençons par Facebook. Grâce à son outil CrowdTangle, qui enregistre contenus et métadonnées de ses pages et groupes publics, notamment, j’ai recueilli un échantillon de près de 3,6 millions de publications (« posts ») sur des pages Facebook administrées au Canada en 2020. J’y ai ensuite isolé les contenus vidéos mis en ligne par des médias francophones. On en trouve généralement deux types : les vidéos en direct (Facebook Live) et en différé (vidéos « natives »).

Maintenant, je voulais comparer l’utilisation de la vidéo dans Facebook par les médias d’ici avec ce que font les médias d’un autre pays. Il aurait été injuste de les comparer avec des médias américains, rompus aux réseaux sociaux. Je me suis donc tourné vers la France. J’ai recueilli un autre échantillon de près de 3,6 millions de « posts » sur toute l’année 2020, mais de pages Facebook administrées en France cette fois. Puis, j’y ai identifié les contenus vidéos mis en ligne par des pages de médias d’information.

La figure ci-dessous montre quels sont les médias canadiens francophones (en rouge) et les médias français (en bleu) qui ont publié le plus de vidéos sur leurs pages Facebook en 2020.

Figure 2
Les 25 médias qui ont diffusé le plus grand nombre de vidéos sur leurs pages Facebook au Canada francophone et en France, par nombre de vidéos mises en ligne en 2020. CrowdTangle.

La différence entre la France et le Canada francophone est frappante. Les médias d’outre-Atlantique mobilisent bien davantage les capacités vidéo de Facebook que ne le font les médias d’ici. Une enquête publiée en 2017 a déjà révélé que Facebook rémunérait certains médias français pour diffuser des contenus vidéo sur sa plate-forme. On ignore si la pratique se poursuit. Sur les six médias qui sont cités dans cette enquête, seulement deux se retrouvent parmi ceux qui ont le plus diffusé l’an dernier. Il est donc difficile de mesurer l’impact de cette pratique sur la différence que j’ai observée en 2020.

Quoi qu’il en soit, on compte 23 médias français qui ont diffusé au moins une vidéo par jour sur leur page Facebook en 2020. Au Québec, il n’y en a eu que sept. Qui plus est, les vidéos des 25 médias canadiens qui se retrouvent dans le palmarès ci-dessus ont généré un peu plus de 344 millions de vues. Celles des médias français : plus de 6,3 milliards ! C’est 18 fois plus ! Et c’est significatif, puisque le marché français n’est que neuf fois plus grand que le marché francophone canadien.

L’information vidéo sur mobile : une occasion pour Noovo.info

Le décalage France-Québec est encore plus flagrant dans Instagram. Pour puiser des données dans ce réseau social, toujours avec CrowdTangle, j’ai confectionné deux listes de comptes Instagram. La première comprenait 34 médias canadiens et la seconde, 136 médias français. J’ai téléchargé l’ensemble des publications que tous les médias de ces deux listes ont réalisées dans Instagram en 2020. Puis, j’y ai isolé les publications vidéo et IGTV, ce qui a permis de faire la comparaison présentée dans la figure ci-dessous.

Figure 3
Les 25 médias qui ont diffusé le plus grand nombre de vidéos sur leurs comptes Instagram en 2020 ; comparaison entre le Canada francophone et la France. CrowdTangle.

Non seulement les médias français font beaucoup plus d’information dans Instagram, mais les segments vidéos du top-25 français ont été vus presque 100 fois plus que ceux du top-25 québécois (947 millions de vues contre 9,8 millions) !

Comprenez-moi bien. Je ne dis pas que les journalistes français sont supérieurs dans leur compréhension des réseaux socionumériques. Je ne dis surtout pas qu’il faut fournir encore plus de contenu journalistique dans Facebook et dans Instagram, qui ne donnent que très peu en retour au monde de l’information.

Je ne fais que décrire un paysage médiatique différent du nôtre, où on trouve, pour parler français, des « pure players » du mobile, comme Brut, Loopsider ou Konbini. Des médias de ce genre ne se sont pas imposés au Québec.

La question, au fond, est la suivante : comment informer un public pour qui le téléphone mobile est désormais le principal vecteur par lequel les nouvelles lui parviennent ? En effet, le plus récent Digital News Report nous apprend que 78 % des Canadiens s’informent en ligne et que 55 % utilisent un téléphone intelligent pour le faire.

Ce qu’on appelait le « petit écran » n’est plus le vaisseau amiral de l’information. Un écran beaucoup plus petit l’a remplacé depuis le milieu de la dernière décennie.

Il est donc là le pari de Noovo.info : de réussir à combler le vide relatif dans l’information vidéo mobile au Québec.


La méthodologie qui sous-tend cet article est exposée de façon détaillée dans le compte github de l’auteur : github.com/jhroy/noovo

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