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Des bénéficiaires sont venus prêter main-forte au CHSLD Herron, à Dorval, le 11 avril 2020. Plusieurs résidents ont été laissés à eux-mêmes, faute de personne pour en prendre soin. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Nos « anges gardiens » ont dû faire des miracles pour combler les lacunes des gouvernements

La pandémie de Covid-19 a sensibilisé le public à l’importance des travailleurs de première ligne, en particulier dans le réseau des établissements de soins de longue durée (SLD), que l’on appelle au Québec les CHSLD, où le virus a frappé le plus durement.

Alors que la plupart des travailleurs des SLD opéraient déjà dans des conditions difficiles avant la pandémie, cette dernière les a confrontés à une baisse importante de la qualité de vie de leurs bénéficiaires et au plus fort de la crise, à une succession de décès. La moitié des plus de 10 000 décès de la Covid-19 au Québec sont survenus dans des CHSLD.

En raison de leur expertise unique, mais aussi de leur relation de proximité avec les bénéficiaires, les intervenants en SLD sont des intermédiaires essentiels dans la mise en œuvre de politiques destinées à contenir la propagation du virus et à maintenir une forme de normalité. Leur rôle est si précieux qu’ils ont été à plusieurs reprises qualifiés « d’anges gardiens » de la santé et ont même été déclarés « personnalité de l’année ».

Le personnel et la famille de la résidence pour personnes âgées CHSLD Ste-Dorothée assistent à une cérémonie à la mémoire des 101 résidents décédés du Covid-19 au cours des derniers mois, le 15 juillet 2020 à Laval, Québec. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

De précieux acteurs

Cela reflète bien la façon dont nous, observateurs politiques, percevons les travailleurs en établissement de SLD, dont les préposé·e·s aux bénéficiaires. Nous les voyons comme des « bureaucrates de terrain » : des acteurs importants dont l’influence sur la façon dont les politiques sont mises en œuvre peut avoir une réelle incidence sur les résultats (les soins reçus par les résidents). Cette influence est parfois utilisée pour ignorer les directives, mais elle peut aussi être utilisée pour les suivre en dépit du bon sens.

Reconnaissant l’importance de leur expertise et de leur influence, ainsi que la complexité des décisions auxquelles ils sont confrontés, nous avons comparé, mon collègue Robert H. Cox, de l’Université de la Caroline du Sud, et nous-mêmes, les répercussions de la pandémie de Covid-19 sur le travail quotidien des professionnels des établissements de SLD dans deux provinces canadiennes (Québec et Colombie-Britannique) et deux États américains (Ohio et Washington) au cours des quatre premiers mois de la pandémie. Nous avons recensé trois types de comportements : la résistance, l’innovation et l’improvisation.

Résistance

Dans les cas où les travailleurs en SLD ont décidé d’agir en opposition directe aux politiques de lutte contre la pandémie, nous avons classé leurs actions dans la catégorie « Résistance ». Si l’absentéisme est une forme de résistance courante, les exemples les plus extrêmes se trouvent chez ceux qui ont quitté leur emploi en réaction aux nouveaux protocoles liés à la Covid-19 qui changent constamment.

Lorine Jean‑Marie, à gauche, et Judith Morlese, deuxième à gauche, membres du personnel du CHSLD Camille-Lefebvre, discutent avec Domenico DeSantis, un résident de 101 ans, et son fils Tony DeSantis, le 29 juillet 2020 à Montréal. Alors que la Covid-19 a ravagé les CHSLD, le Pavillon Camille-Lefebvre a réalisé un exploit rare : pas un seul cas positif, et encore moins de décès dus à la Covid-19. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Avant de juger ce comportement comme étant purement égoïste, nous devons nous rappeler les nombreux facteurs de stress particuliers qui ont contribué à la résistance dans les premières phases de la pandémie.

En raison de la pénurie de masques N95 et d’autres équipements de protection individuelle (EPI) essentiels, les travailleurs en SLD ont été confrontés à un risque accru de contracter eux-mêmes le virus et de le transmettre à leurs proches. Cela a entraîné des taux élevés d’absentéisme là où le risque était le plus élevé, notamment au Québec, la région la plus durement touchée de nos quatre cas. Les pénuries de personnel qui ont suivi ont encore accru la pression sur les travailleurs et mené plusieurs d’entre eux à l’épuisement.

Si les récits de résistance sont plus fréquents au Québec, ils se produisent dans tous les États et provinces que nous avons étudiés. Bien que le taux de contamination ait été relativement moins élevé dans les trois autres régions au cours des quatre premiers mois, on y relève néanmoins des cas de résistance, comme le refus d’adhérer aux protocoles limitant l’utilisation des masques et les manifestations pour protester contre les pénuries d’EPI. Le fait que cette résistance était quasi généralisée met en évidence non seulement le manque de préparation à la pandémie, mais aussi les mauvaises conditions des travailleurs en SLD, et ce, dans tous les cas.

Innovation

Contrairement à la résistance, l’innovation est intervenue au moment où les travailleurs des établissements de SLD ont suivi les grandes lignes des politiques de la santé publique, tout en s’appuyant sur leurs connaissances et leur expertise pour trouver des solutions nouvelles aux problèmes émergents.

Par exemple, en Colombie-Britannique, les travailleurs des établissements de SLD ont pu remédier à l’isolement dû aux interdictions de visite et à la distanciation physique en mettant rapidement en place un système de visites familiales par vidéoconférence et en organisant un bingo à la porte comme activité de loisir improvisé. Ces réponses ingénieuses révèlent un grand sens de l’initiative et un dévouement au confort des résidents des établissements de SLD.

Dans certains cas, les employés ont carrément fait preuve d’abnégation, comme à Newark, en Ohio, où le personnel soignant s’est mis en quarantaine avec les résidents pendant 65 jours. Ces histoires émouvantes témoignent de l’héroïsme des travailleurs en SLD, mais démontrent également que les réponses de première ligne peuvent être flexibles et réactives lorsque les travailleurs ont la possibilité d’agir.

Improvisation

Les solutions improvisées se font également dans le respect des directives de la santé publique. Elles diffèrent toutefois des solutions innovantes. En effet, les travailleurs ne se voyant pas accorder le pouvoir discrétionnaire leur permettant de trouver des solutions idéales sont forcés de s’adapter à des mesures contraignantes. Selon notre étude, les réponses improvisées se manifestaient davantage lorsque les conditions de travail étaient les plus difficiles et que l’équipement adéquat n’était pas fourni.

Des gens manifestent devant le bureau de circonscription du premier ministre Justin Trudeau à Montréal, le 6 juin 2020. Ils demandent au gouvernement d’accorder un statut de résident aux travailleurs migrants du secteur de la santé. La Presse Canadienne/Graham Hughes

À l’instar des exemples de résistance, c’est au Québec que les récits d’improvisation sont les plus éloquents. Par exemple, une infirmière travaillant dans un CHSLD situé en « zone rouge » a confié avoir apporté des filtres à café que les employées glissaient sous leurs masques, car elles n’avaient toujours pas de masques N95. À un certain moment, la pénurie de personnel dans l’ensemble du réseau est devenue si criante que les employés des CHSLD ont été contraints d’assumer un rôle de mentorat afin de former des travailleurs ayant peu d’expérience dans le domaine des soins de santé. Encore une fois, ces récits sont bouleversants : le personnel soignant est confronté à des épreuves et à des risques sérieux et est contraint de compenser les lacunes des politiques régissant leur pratique.

Reconnaître l’importance des soins de santé

Bien des choses ont changé depuis les quatre premiers mois de la pandémie. La progression constante de la maladie a touché les travailleurs des SLD dans le monde entier et a certainement atténué certains écarts entre les cas observés dans notre étude. Les idées novatrices, elles aussi, se sont répandues, si bien que des solutions créatives ont été adoptées à grande échelle dans le but de maintenir la qualité des soins.

De nouvelles politiques reconnaissant l’importance des travailleurs en SLD ont également été adoptées. Celles-ci visent principalement l’amélioration des compensations financières. Par exemple, le gouvernement du Québec a activement recruté du personnel au cours de l’été pour renforcer le réseau des CHSLD et promis d’augmenter les salaires à 26 $ l’heure.

Une employée de la Croix-Rouge, Julie Poirier, forme les nouveaux employés qui iront travailler dans les CHSLD du Québec, en juin 2020. La Presse Canadienne/Paul Chiasson

Cependant, comme plusieurs travailleurs n’ont toujours pas reçu ladite augmentation, le scepticisme quant à la possibilité de voir des réformes majeures du secteur dans un avenir immédiat demeure à juste raison très présent. Ce n’est pas faute de moyens. Sans aucun doute, la pandémie de Covid-19 a amplifié la pénurie de ressources précieuses dans le réseau des établissements de SLD.

Mais elle a également révélé à quel point les ressources les plus importantes du secteur, à savoir le personnel, sont sous-évaluées. Oui, il est temps de célébrer les professionnels des SLD, mais il est aussi temps de reconnaître, enfin, la valeur de leur travail.

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