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Une tente rouge sur le bord d'une route. Un mur avec des graffitis en arrière-plan
Une tente sur le trottoir dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Les transferts d’argent peuvent aider certaines personnes à trouver un logement convenable et permettre aux gouvernements d’économiser de l’argent. La Presse canadienne/Darryl Dyck

Nous avons offert 7 500 dollars à des personnes sans domicile fixe. Voici ce qu’elles ont fait avec cet argent

L’itinérance est une question très complexe et grandement incomprise. Lorsqu’on entend ce terme, on a tendance à l’associer à la maladie mentale ou à la consommation problématique de substances. Les personnes sans domicile sont largement stigmatisées, déshumanisées et perçues comme peu compétentes et non dignes de confiance. Mais la réalité est bien plus nuancée.

Un recensement effectué en 2020 par la BC Non-Profit Housing Association dans la région métropolitaine de Vancouver a révélé qu’il y avait 3 634 personnes sans domicile fixe, dont 1 029 qui n’ont pas recours à des centres d’hébergement et 2 605 qui y ont recours. Seule la moitié d’entre elles avaient des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Ces chiffres ne tiennent pas compte de l’itinérance cachée, qui comprend les personnes qui dorment sur un canapé chez quelqu’un ou dans leur voiture.

Plus une personne reste longtemps sans domicile, plus elle risque d’être confrontée à des traumatismes, à la toxicomanie et à des problèmes de santé mentale. Cette situation entraîne souvent une détérioration de l’état de santé à long terme.

Les approches actuelles ne fonctionnent pas, comme en témoigne l’augmentation rapide du nombre de personnes sans domicile. On a démontré qu’il est plus coûteux d’offrir des refuges de courte durée qu’un logement stable. Il est donc impératif de changer notre stratégie.

Tenter quelque chose de nouveau

En 2016, nous nous sommes associés à Claire Williams, cofondatrice de Foundations for Social Change, pour élaborer une nouvelle solution.

Nous avons effectué un transfert ponctuel de 7 500 dollars à des personnes sans domicile de Vancouver. Cette somme forfaitaire, équivalant à l’aide sociale offerte pour un an en 2016 en Colombie-Britannique, leur a donné la possibilité de payer un loyer et de couvrir d’autres frais de subsistance. Le versement d’argent constitue un moyen de permettre aux gens d’éviter l’itinérance dans la dignité.

Il nous a fallu deux ans pour obtenir le soutien d’organismes partenaires et de donateurs. Nous avons d’abord conclu un accord avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour que les bénéficiaires puissent conserver les 7 500 dollars tout en restant éligibles à l’aide sociale. Nous avons ensuite travaillé avec la coopérative de crédit Vancity pour offrir des comptes chèques gratuits où ces fonds pouvaient être déposés.

En 2018, nous avons lancé le premier essai contrôlé randomisé au monde qui visait à examiner les incidences d’un don d’argent sur des personnes en situation d’itinérance. Notre objectif était de commencer avec des personnes devenues sans-abri depuis peu à un moment où elles avaient besoin d’argent pour éviter de rester coincées dans cette situation.

Un homme couché sur un banc
Soutenir des personnes en leur versant de l’argent peut les aider à ne pas se trouver coincées en situation d’itinérance. (Shutterstock)

Nos participants

Notre équipe s’est rendue dans 22 refuges du Lower Mainland en Colombie-Britannique pour sélectionner des personnes sans domicile depuis moins de deux ans, de nationalité canadienne ou résidentes permanentes, âgées de 19 à 65 ans et sans problèmes graves de toxicomanie ou d’alcoolisme, ni de santé mentale.

Notre échantillon représentait 31 % de la population des refuges de Vancouver. Au total, 229 personnes répondaient à nos critères. Elles ne savaient rien du programme de versement d’argent. Mais lorsque nous avons essayé de les recontacter pour mener l’enquête de référence, nous n’avons pas pu joindre la moitié d’entre elles parce qu’elles n’avaient pas d’adresse stable, de téléphone ou d’adresse électronique.

Malgré tous nos efforts, nous n’avons pas pu retrouver 114 personnes et avons fini par recruter 115 participants pour notre étude. Dans le cadre de l’essai contrôlé randomisé, nous avons choisi de manière aléatoire 50 participants qui allaient recevoir de l’argent et 65 qui n’en recevraient pas. Nous avons informé les 50 participants du groupe « avec argent » du fait qu’on allait effectuer un versement seulement après qu’ils ont répondu à l’enquête de référence. Nous n’en avons rien dit aux personnes de l’autre groupe.

Nous avons suivi les participants pendant un an afin d’évaluer les effets du transfert d’argent. Nous avons perdu tout contact avec environ 30 % d’entre eux pendant cette période, et certains ont déménagé loin de Vancouver.

Nous avons proposé un atelier et du mentorat à un sous-ensemble de participants en guise de soutien supplémentaire. L’atelier proposait une série d’exercices visant à les aider à réfléchir aux moyens de retrouver une stabilité dans leur vie. Le mentorat consistait en des rencontres téléphoniques avec un coach certifié, formé pour aider les gens à atteindre leurs objectifs de vie.

Comme personne n’avait jamais mené d’étude de ce genre auparavant, nous disposions de peu d’éléments pour orienter nos prédictions sur les effets du versement. Mais en nous inspirant des bonnes pratiques, nous avons formulé quelques hypothèses sur le bien-être à court terme et les fonctions cognitives en nous basant sur des études antérieures sur des transferts d’argent. Aucune de ces hypothèses ne s’est avérée exacte.

Une personne en train de compter de l’argent
La plupart des participants ont dépensé l’argent reçu pour payer un loyer, de la nourriture et acheter des articles tels que des meubles. (Shutterstock)

Nos résultats

Ce qui nous a étonnés, c’est l’incidence positive des transferts d’argent. Les gens qui ont reçu une aide financière ont passé en moyenne 99 jours de moins dans la rue sur une période d’un an.

Cela s’est traduit par des économies nettes de 777 dollars par personne par an. En d’autres termes, l’État et les contribuables ont ainsi économisé de l’argent. Les bénéficiaires de l’offre ont augmenté leurs dépenses pour le loyer, la nourriture, le transport et l’achat d’articles tels que des meubles ou une voiture.

Fait important, ils n’ont pas augmenté leurs dépenses en alcool, en drogues et en cigarettes. Cela remet en cause l’idée reçue selon laquelle les personnes sans domicile gaspillent l’argent en alcool et en drogues.

De 2018 à 2020, le taux d’inoccupation des logements à Vancouver était d’environ un pour cent et le délai d’attente pour obtenir un logement pouvait aller jusqu’à un an pour une personne vivant dans un centre d’hébergement.

Néanmoins, près de la moitié des participants à notre étude ont trouvé un appartement un mois seulement après le versement d’argent. Cela montre à quel point ils étaient prêts à recouvrer une situation stable et n’avaient besoin que d’un coup de pouce financier pour y parvenir.

En revanche, nous n’avons pas constaté d’améliorations notables en matière de sécurité alimentaire, d’emploi, d’éducation et de bien-être. Cela peut s’expliquer par le fait que 7 500 dollars constituent une somme relativement faible dans une ville aussi chère que Vancouver.

Le revenu annuel moyen des participants était de 12 580 $. L’argent versé représentait donc une augmentation de 60 %. Malgré cela, ils se trouvaient toujours sous le seuil de pauvreté et étaient loin de pouvoir assumer le coût de la vie à Vancouver.

Nous avons également constaté que ni l’atelier ni le mentorat n’avaient eu d’effet positif sur les participants. L’une des raisons est l’engagement ; la plupart des participants n’ont pas pris part à l’atelier ou au mentorat après le premier mois. Une autre raison possible est un décalage entre le soutien offert et les besoins des participants. L’accompagnement proposé était ambitieux et visait à clarifier leurs objectifs de vie et à renforcer leur sentiment d’efficacité personnelle.

Mais ce dont nos participants avaient besoin, c’était d’un soutien pratique pour obtenir des pièces d’identité, rédiger des CV et postuler à un emploi, par exemple. Quelques ateliers ou du mentorat ne les aidaient pas sur ce plan.

Notre étude vient s’ajouter à un corpus mondial de plus en plus important d’études portant sur les versements d’argent qui démontrent la nécessité de rehausser le revenu des personnes marginalisées.

Cette étude est un point de départ prometteur, qui jette les bases de recherches et de politiques futures. Les gouvernements et les experts devraient étudier les transferts d’argent comme moyen de soutenir les personnes sans abri et marginalisées.


Ryan Dwyer, chercheur senior à la Happier Lives Institute, a co-écrit cet article.

This article was originally published in English

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