Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu public le 28 février dernier un énième rapport en lien avec le réchauffement climatique. Il était attendu de pied ferme par les experts qui s’intéressent à la problématique des changements climatiques.
« Ce rapport lance un avertissement très sérieux sur les conséquences de l’inaction », a déclaré Hoesung Lee, président du GIEC.
Pour le grand public, il est important de préciser la nature de ce rapport et le contexte entourant sa publication. Il est également pertinent d’aborder les principales conclusions dressées par le GIEC et l’intérêt de s’y intéresser pour les citoyens canadiens, et d’étudier l’accueil de ce rapport et son impact potentiel auprès des décideurs politiques.
Je suis professeur de droit international de l’environnement et j’ai participé comme observateur à la COP26 sur le climat, organisée à Glasgow en 2021.
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Le données scientifiques les plus récentes et précises
Le rapport – Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité – est un document produit par le groupe de travail II du GIEC, qui est responsable d’effectuer la synthèse des données scientifiques en matière de conséquences, d’adaptation et de vulnérabilité en lien avec le réchauffement climatique.
Depuis 1988, le GIEC a pour mission « d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation ». Le rapport du groupe de travail II est donc la synthèse la plus jour en ce qui concerne les effets et les risques associés au réchauffement climatique.
Il s’agit d’un rapport monumental de 3 675 pages produit par 270 auteurs provenant de 67 pays. Le rapport s’appuie sur plus de 34 000 références bibliographiques et a fait l’objet de 62 418 observations formulées par des experts et les gouvernements. Il s’agit donc d’une source d’information à la fois très documentée, mais aussi très crédible en ce qui concerne les effets et les risques associés au réchauffement climatique.
L’objectif ultime est donc de fournir à nos décideurs (et au public) les données scientifiques les plus récentes et précises possibles. Ce rapport est également l’occasion de mesurer l’évolution de la situation depuis la précédente synthèse du GIEC, publiée en 2014.
Des conclusions toujours plus alarmantes
La lecture indispensable du dernier rapport du GIEC nous apprend que la température de la planète a déjà augmenté de 1,09 degré Celsius depuis les niveaux préindustriels. Et la probabilité que nous atteignions une augmentation de 1,5 degré Celsius est supérieure à 50 %. Ce constat du GIEC vient trancher avec l’optimisme affiché par certains représentants qui, à la fin de COP26 sur le climat, ont affirmé que l’objectif de maintien de l’élévation de la température sous 1,5 degré Celsius était encore vivant. Il est important de souligner que cette élévation à 1,5 degré Celsius induira déjà des conséquences très graves pour nos sociétés et l’environnement.
Ainsi, le dernier rapport du GIEC est (sans surprise) accablant et très alarmant en ce qui concerne les effets et les risques associés au réchauffement climatique. En effet, les données scientifiques démontrent que le réchauffement climatique provoque des événements extrêmes plus intenses et de manière plus fréquente. Nous pouvons notamment penser aux feux de forêt qui ont frappé la Colombie-Britannique l’année dernière. Face à ces risques, les populations humaines ne se trouvent pas sur un pied d’égalité et ne sont pas affectées de la même manière.
Le Groupe de travail II du GIEC souligne en particulier la vulnérabilité des populations à faibles revenus ou encore les populations marginalisées. Le rapport note que 3,3 à 3,6 milliards de personnes, soit la moitié de l’humanité, vivent dans un contexte de vulnérabilité élevée face au réchauffement climatique, d’où l’importance de la mise en place d’une plus grande justice climatique tant au niveau local qu’international.
Le rapport du GIEC définit 127 risques clés qui sont classés en 8 catégories, parmi lesquelles on retrouve les risques pour les écosystèmes terrestres et océaniques, les risques pour la santé humaine, les risques pour la sécurité alimentaire ou encore les risques associés aux infrastructures. Les tendances établies par le GIEC quant à ces risques à moyen et long terme vont dans le sens d’une aggravation. Le GIEC souligne également le fait que les impacts et les risques associés au réchauffement climatique sont de plus en plus complexes et difficiles à gérer et qu’il existe un risque réel d’emballement et d’effets en cascades. Dans ce contexte, le Canada et l’Amérique du Nord ne sont pas épargnés et subissent déjà de multiples effets du réchauffement climatique.
Nous pourrions être tentés de nous rassurer en constatant que des progrès ont été réalisés dans la planification et la mise en œuvre de mesures d’adaptation. Malheureusement, le GIEC souligne que beaucoup d’initiatives se concentrent sur la réduction à court terme des risques. Ce faisant, on limite la mise en œuvre de mesures d’adaptation transformatrices, notamment en ce qui concerne nos modes de production et de consommation.
En Amérique du Nord, les principaux obstacles vers une meilleure adaptation sont la désinformation liée à la science climatique et la fragmentation des actions des différentes autorités compétentes en matière de planification, de gestion des catastrophes, d’atténuation et d’adaptation face au réchauffement climatique.
Une fenêtre d’opportunité très limitée dans le temps
Le récent rapport du GIEC ne se contente pas pour autant de dresser un constat sombre de la situation. En effet, près d’un tiers du rapport traite des possibilités d’adaptation et de leur faisabilité. Le GIEC évoque des avenues de transition en ce qui concerne les écosystèmes terrestres et marins (par exemple la mise en place de systèmes d’alerte), les villes et les infrastructures (par exemple une meilleure planification urbaine) et le secteur de l’énergie (par exemple la diversification des sources d’énergie en s’appuyant sur les énergies renouvelables) ainsi que des possibilités transversales (par exemple le renforcement des systèmes de santé).
Encore une fois, le GIEC souligne que la faisabilité de la mise en œuvre de ces avenues dépend de chaque contexte et surtout que la fenêtre d’opportunité est aujourd’hui très limitée dans le temps.
Dans la mesure où il s’agit du sixième rapport de ce type produit par le GIEC, nous pouvons légitimement nous demander si nos gouvernants ont conscience de la gravité de la situation et de l’ampleur des mesures à prendre. Ce dernier rapport a déjà suscité des réactions. Le ministre de l’Environnement Stephen Guilbeault a ainsi déclaré que ce rapport « ne fait que renforcer la volonté du gouvernement ». Il a également affirmé qu’il était temps de s’attaquer aux sources du problème, soit les énergies fossiles, au cœur de nos économies et de nos modes de vie, et qui sont des sources de gaz à effet de serre.
En ce sens, le ministre de l’Environnement s’inscrit dans la lignée du Pacte de Glasgow, adopté à l’occasion de la COP26, qui pour la première fois de l’histoire évoquait une sortie progressive des énergies fossiles. Le ministre Guilbeault joindra-t-il le geste à la parole en refusant le projet pétrolier Baie du Nord ? Le gouvernement fédéral tiendra-t-il compte des conclusions de ce rapport dans le nouveau plan d’action pour le climat qu’il doit publier dans quelques semaines ?
Alors que le rapport du GIEC souligne la distribution inégale et disproportionnée des effets et des risques face au réchauffement climatique, le Canada ne semble pas encore prendre la pleine mesure de la gravité de la situation et surtout de sa responsabilité. En effet, le Canada jouit d’une responsabilité particulière en raison de sa contribution historique aux émissions de gaz à effet de serre, de nos modes de vie actuels, mais également en raison de la capacité technologique et financière d’agir pour l’adaptation.
Or, comme l’a souligné Hoesung Lee, à l’occasion de la publication du nouveau rapport, il est urgent « de prendre des mesures immédiates et plus ambitieuses pour faire face aux risques climatiques. Les demi-mesures ne sont plus possibles ».
Encore combien de fois faudra-t-il le démontrer et le répéter ?