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Des surfeuses prêtes à chercher la vague idéale. Elle Hugues/Pexels

« Objets cultes » : la planche de surf

Voir du sens là où beaucoup ne voient que des choses : tel était le credo de Roland Barthes. Dans ses « Mythologies », recueil de 53 textes paru au milieu des années 1950, le sémiologue observe à la loupe le rapport des Français au steak frites, au catch ou aux jouets en plastique. Pour lui, les objets et les grands rendez-vous populaires révèlent à merveille l’esprit et les affects d’une époque. Aujourd’hui, ces objets ont changé, mais l’exercice n’a pas pris une ride et c’est Pascal Lardellier, professeur à l’université de Bourgogne, qui se penche avec gourmandise sur nos « objets cultes » de 2023. Aujourd’hui, on prend le large ; !


La planche de surf a le vent en poupe. Notre époque férue de technologies et de complexité, impatiente et trépidante, en a fait un symbole paradoxal. Cet accessoire sportif est d’abord une évidence graphique, déconcertante de simplicité. Sa ligne est une épure, une perfection graphique. Quelle que soit sa longueur, le board aurait pu être designé par Cocteau ou Picasso, à l’époque de leur expression artistique la plus achevée, quand une ligne au crayon faisait advenir le monde. La planche, un trait qui fait forme, qui fait sens et qui fait mouvement.

De plus en plus d’adeptes s’essaient à l’équilibre précaire et même périlleux de la vague, tout à la fois expérience physique et intime – faire corps avec la planche et la vague – et rite initiatique. De loin, on pourrait croire qu’ils volent ou qu’ils marchent sur l’eau, par la magie de ce plancher minuscule et mouvant, intermédiaire entre l’eau et l’humain qui permet de se tenir debout sur l’élément mobile et insaisissable.

Un imaginaire à contre-courant

Elle est à la mode, et elle réveille, ou révèle des imaginaires qui sont des baumes pastel pour les yeux et plus encore. Car tout cela est à contre-courant de l’air du temps. La planche de surf, de prime abord, ce sont ces photos sixties et seventies des plages d’Hawaï ou de Californie, où de jeunes gens beaux, musclés, bronzés, tout en boucles blondes et bermudas colorés, vivent sur la plage en attendant la vague. Culture de la glisse et culte de l’océan se conjuguent pour faire communauté. Cet imaginaire ouaté, calme et doux, tranche avec les salles de fitness ou les pratiques sportives à haute valeur technologique ajoutée. Simplicité, patience, équilibre, c’est ce qu’exige la planche, qui plus qu’un objet inerte, s’anime – prend mouvement et âme – pour devenir la colonne porteuse d’une philosophie de vie, cool, forcément cool.

Et puis on a tous en tête ces images vertigineuses de surfeurs campés sur leur planche, déferlant sur des murs d’eaux verts ou bleus vertigineux ourlés d’écume, au milieu d’une clameur assourdissante.

La planche connaît, techniquement une multitude de déclinaisons, quant aux matériaux la composant, à sa longueur (shortboards, longboards…), ses spécificités… Mais avant d’être un accessoire, elle est une partenaire, faisant corps avec le surfeur, qui fera corps avec la vague, et donc, par extension avec la nature. Cette translation allégorique est véritablement mystique, et les grands surfeurs attestent tous de l’expérience ultime que leur a procurée la vague mythique, légendaire, attendue des jours durant, les yeux rivés sur l’horizon bleu : la sensation unique d’une fusion avec l’Océan, tout en remettant son destin entre les mains d’un « Tout-Autre ». La pratique n’est pas sans danger, et le plus connu sont les médiatiques et traumatiques attaques de requins, qui prenant les surfers pour des tortues, leur font un sort, cruel et impitoyable.

La planche de surf, c’est donc un objet qui ouvre sur une pratique sportive, des communautés de valeurs et d’appartenance, une philosophie de vie, et une mystique.

Patience et humilité

Et tout cela entre en résonance paradoxale avec l’époque : la planche exige patience et humilité, quand tout doit aller vite, et que les moindres faits et gestes sont instagramisés ! Impossible de faire des selfies au creux de la vague, ou plus encore sur sa crête.

L’air du temps est technologique et numérique, la planche se suffit à elle-même, simple, sobre, stylée. Le mouvement viendra d’ailleurs, d’un ressac qui impose son rythme et ses règles.

Elle contrevient à la folle impatience qui nous fait vivre sous l’égide de l’instantanéité. Là, attendre, patiemment, juste scruter la mer, dans une posture active et méditative que rien ne doit troubler.

Tenir sur une planche et faire du surf, cela exige de l’équilibre, cet équilibre qui comme métaphore devient une posture intérieure, une manière d’être, et plus encore, une manière de vivre. Et cet équilibre – toujours précaire quand on est juché sur sa planche, tant de nos contemporains le recherchent.

Elle peut symboliser aussi la conscience écologique, et ce regard responsable et empathique sur la nature et les éléments, si longtemps négligés.

Certes, nous surfons tous les jours, mais en ligne ! On est sur la vague – numérique – et là aussi, il faut trouver le juste milieu et le bon équilibre afin de ne pas se retrouver submergé.

En attendant, l’été est là, profitons-en pour admirer la simplicité spectaculaire de la planche de surf, symbole chimiquement pur, creuset en lequel communient tellement d’éléments…

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