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« Open access » pour les revues scientifiques : il faut plusieurs modèles

h_pampel/Flickr, CC BY-SA

Depuis quelques années, la révolution numérique – et la gratuité de l’accès à un certain nombre de services qui l’accompagne – a modifié nos habitudes, nos pratiques et nos représentations dans des domaines aussi variés que le journalisme, le monde de la musique ou l’édition.

Sous l’influence de l’Union européenne (Directive de l’UE du 17 juillet 2012), le gouvernement français soutient un projet de loi numérique prévoyant le libre accès (« open access ») aux publications scientifiques (voir l’article 9).

Cette proposition a été soutenue par un certain nombre d’acteurs qui souhaitent voir se généraliser l’open access pour tout ou partie des contenus scientifiques. Leurs arguments portent à la fois sur le fait qu’une recherche sur fonds publics doit être rendue accessible à tous gratuitement et que cette accessibilité constituerait un atout pour la visibilité de la recherche française.

Pour certains d’entre eux, l’article 9 ne va d’ailleurs pas assez loin et la gratuité des articles scientifiques devrait être immédiate sans « embargo ». (Ce terme à connotation négative est utilisé pour désigner le délai permettant d’accéder librement et gratuitement aux articles de revues scientifiques sur certaines plateformes de diffusion comme Cairn.) A priori séduisante, cette proposition pose cependant de nombreux problèmes, notamment la question de la prise en charge des coûts de production d’une revue dans le cas où la gratuité serait proposée de manière immédiate à l’ensemble des lecteurs.

Open access ou formatage ?

Aux États-Unis et dans les sciences dites « dures », le passage à l’open access s’accompagne souvent de la diffusion du modèle de l’ « auteur-payeur » (« voix gold » ou « gold open access ») : dans ce modèle, les laboratoires des chercheurs souhaitant publier doivent payer une sorte de dîme pour que l’article entre dans le circuit des expertises. Il s’agit d’un modèle qui se développe et pourrait devenir dominant à court terme d’autant qu’il est porté par quelques gros éditeurs étrangers et ce en dépit des inégalités qu’il ne manquerait pas de produire entre les chercheurs, laboratoires et projets bien dotés et d’autres plus fragiles financièrement.

Il pose en outre une question morale : est-ce au chercheur qui obtient des résultats de payer pour pouvoir rendre son travail accessible ? Le passage à l’open access peut aussi s’effectuer par la voix dite « green open access » : les auteurs déposent alors eux-mêmes une copie de leurs articles sur une archive ouverte ; l’accès libre est alors partiellement ou totalement financé par la puissance publique.

Depuis l’émergence des journaux scientifiques au XVIIᵉ siècle, la question du prix et de l’accès se pose. Royal Society

Pourquoi vouloir à tout prix uniformiser par la loi le destin de plusieurs centaines de revues scientifiques ? Cette suppression du délai d’accès au nom du « tout gratuit » risquerait en effet de mettre en péril l’émergence d’une troisième voie constituée de revues qui cherchent depuis quelques années, dans un partenariat public-privé, à définir un modèle économique en partie fondé sur les ventes en ligne – modèle qui possède l’avantage de ne pas être trop dépendant des subventions publiques dans un contexte où celles-ci sont en forte réduction.

Les ventes des articles numériques constituent alors de précieux supports au dynamisme de ces revues, y compris dans certaines tentatives de relance des publications papier. Cette possibilité d’un modèle mixte papier/numérique avec ventes d’articles au détail ou au numéro doit permettre à la recherche française de conserver un large éventail de modes de publication sans se montrer trop dépendante de stratégies politiques susceptibles d’évoluer au gré des pouvoirs en place et de l’importance que ces derniers pourront accorder – ou non – aux Sciences humaines et sociales.

Plutôt que le formatage que risquerait d’imposer l’article 9 – ou certaines propositions de refonte, une approche plus fine serait de voir comment ce modèle mixte peut être pérennisé tout en favorisant un large accès à ces publications par le biais de mesures adaptées (réduction de la durée de mise à disposition gratuite à 24 ou 36 mois ; suppression de celle-ci sur des productions ciblées ; coût réduit du téléchargement du numéro entier…). Il s’agirait dès lors de garantir à ces revues la possibilité de moduler leur ouverture sur l’open access en fonction de leurs spécificités en termes de production, de diffusion et de publics. Ces marges de manœuvre permettraient d’encourager l’initiative, l’innovation, la liberté de création et de diffusion au service de projets capables d’affirmer des identités singulières définies par des collectifs de chercheurs relativement autonomes grâce à l’appui d’un éditeur et de son équipe.

La consolidation de ce modèle n’empêcherait en rien l’essor des autres voies pour des revues qui choisiraient de s’engager plus massivement encore vers l’open access. C’est sans doute dans cette pluralité de propositions que les sciences humaines et sociales françaises seraient le plus à même de valoriser leur richesse et leur dynamisme aux échelles européennes et mondiales.

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