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Où vivent les orphelins en France ?

Andrea Maggiulli, Kacey Mottet Klein, acteurs interprétant deux orphelins dans Just Kids,
Road-trip en fratrie: Andrea Maggiulli, Kacey Mottet Klein, acteurs interprétant deux orphelins dans Just Kids, film de Christophe Blanc. Blue Monday Productions /Allociné

Sorti en salles le 5 août le film Just Kids de Christophe Blanc retrace la trajectoire improbable d’une fratrie d’orphelins livrés à eux-mêmes.

Le réalisateur, qui s’appuie sur sa propre expérience, met en scène les difficultés auxquelles sont confrontés ces enfants et adolescents dont on parle peu en France, un pays où les statistiques courantes sur le nombre d’orphelins sont rares.

Dans une étude récemment parue, nous nous sommes intéressés aux enfants, adolescents et jeunes adultes orphelins d’un parent ou des deux, en France métropolitaine : combien sont-ils ? Leur proportion a-t-elle diminué ces dernières décennies avec la baisse de la mortalité des adultes ? À quels milieux sociaux appartiennent-ils ?

Une situation rare mais pas exceptionnelle

Ni le recensement ni l’état civil ne donnent d’informations sur les décès parentaux. Utilisant plusieurs enquêtes et différentes autres sources de données, nous avons réalisé trois estimations du nombre d’orphelins de moins de 25 ans en 2015.

Les résultats varient entre 550 000 et 700 000 (610 000 en moyenne, le nombre exact se situant très probablement entre 600 000 et 650 000). Parmi eux, 210 000 à 290 000 sont mineurs (250 000 en moyenne).

Être orphelin est donc une situation rare, mais pas exceptionnelle : elle concerne environ 2 % des enfants mineurs et 3 % des enfants et des jeunes âgés de moins de 25 ans (tableau 1).

Tableau 1. Nombre et proportion d’orphelins selon la tranche d’âge et la forme de l’orphelinage en 2015. Auteurs, Author provided

La fréquence relative des différentes « formes » d’orphelinage est restée stable depuis 1999 : trois orphelins sur quatre sont des orphelins de père dont la mère est vivante, près d’un orphelin sur quatre est un orphelin de mère dont le père est vivant. Le double orphelinage (deux parents décédés) est une situation très minoritaire, qui concerne environ un orphelin sur cent.

L’orphelinage augmente avec l’âge (figure 1) : 0,9 % des enfants sont orphelins à l’entrée en primaire (6 ans) ; ils sont 2,2 % à l’entrée au collège (11 ans) ; 3,6 % à l’entrée au lycée (15 ans) ; et 5,1 %. au passage du baccalauréat (18 ans). Au lycée, il y a en moyenne un enfant orphelin par classe ; en 1999, cette même fréquence était atteinte au collège.

Figure 1. Proportion d’orphelins selon l’âge en 2015. Auteurs, CC BY-NC-ND

Des parents en moyenne plus âgés et donc plus à risque

La mortalité des adultes (et donc des parents) entre 30 et 55 ans a diminué d’un tiers pour les hommes et d’un quart pour les femmes entre 1999 et de 2015.

Mais parallèlement, les adultes ont leurs enfants plus tard : au cours de la même période, l’âge des mères à la naissance de leurs enfants a augmenté de 1,0 an en moyenne, et celui des pères, de 1,4 an. Les enfants ont donc des parents en moyenne un peu plus âgés, ce qui augmente les risques de devenir orphelin.

Les données de l’état civil permettent de quantifier l’impact de ces deux facteurs sur l’évolution de l’orphelinage.

Tableau 2. Évolution de la proportion d’orphelins entre 1999 et 2015. Auteurs, Author provided

Si, depuis 1999, le calendrier de la fécondité était resté le même et que seule la mortalité avait changé, la proportion d’orphelins de père parmi les moins de 25 ans aurait diminué de 30 %, et la proportion d’orphelins de mère, de 26 % (tableau 2) ; à l’inverse, si la mortalité était restée la même et que seul le calendrier de la fécondité avait changé, les proportions d’orphelins de père et de mère auraient augmenté de 20 %.

Depuis 1999, la proportion d’orphelins de père a donc diminué de 9 % et celle d’orphelins de mère, de 5 %. La baisse a été plus marquée pour les orphelins mineurs (-18 % pour les orphelins de père et – 14 % pour les orphelins de mère), car la diminution de la mortalité des adultes a eu plus d’impact aux âges jeunes.

Finalement, après avoir diminué tout au long du XXᵉ siècle, l’orphelinage continue de diminuer au début du XXIe siècle, mais moins rapidement, en raison du retard des naissances qui contrebalance en grande partie les effets de la baisse de la mortalité des adultes.

La majorité des orphelins mineurs vivent avec un parent

Parmi les orphelins mineurs, 72 % vivent avec leur mère, 21 % vivent avec leur père et 7 % ne vivent avec aucun parent : 1 % ont perdu leurs deux parents, 2 % sont des orphelins de père qui ne vivent pas avec leur mère et 4 % sont des orphelins de mère qui ne vivent pas avec leur père (figure 2).

La grande majorité des orphelins vivent donc avec leur parent survivant, les orphelins de père (96 %) plus encore que les orphelins de mère (80 %) : le décès de la mère est plus souvent associé à l’absence de l’autre parent (le père aussi est décédé ou inconnu) ou à une présence « à distance » (le père est vivant mais n’habite pas avec son enfant).

Figure 2. Répartition des mineurs orphelins selon la configuration parentale. Auteurs, Author provided

Lorsque les orphelins vivent avec leur parent survivant, ils vivent le plus souvent dans une famille monoparentale. Les autres vivent dans une famille recomposée avec un beau-parent. Vivre dans une famille monoparentale est plus fréquent pour les orphelins qui vivent avec leur mère (74 %) que pour les orphelins qui vivent avec leur père (58 %).

Très peu d’orphelins vivent dans un ménage dit « complexe », c’est-à-dire qui n’est pas constitué seulement d’une famille monoparentale ou recomposée mais inclut d’autres personnes (par exemple, un membre de la famille élargie). *

La répartition des orphelins selon le type de ménage est très proche de celle de l’ensemble des enfants qui ne vivent pas avec leurs deux parents.

La précarité des familles monoparentales

De nombreux travaux montrent que les familles monoparentales, et notamment les familles monoparentales maternelles (une mère avec un ou plusieurs enfants), subissent un plus grand risque de pauvreté que les familles biparentales.

Les familles monoparentales sont alors prises comme un seul ensemble, sans distinguer selon l’événement générateur de la monoparentalité, c’est-à-dire l’événement qui a provoqué l’absence d’un parent : une séparation ou un divorce ; un décès parental ; ou encore la naissance de l’enfant en dehors du couple, voire la non-reconnaissance de cet enfant par le père.

Or, la mortalité précoce touche davantage les catégories sociales les plus modestes, ce qui a certainement un impact sur le niveau de vie des familles devenues monoparentales suite au décès d’un parent.

Dans ce cadre, les parents survivants ont évidemment la charge exclusive des enfants orphelins. S’ils ne perçoivent pas d’aides comme les parents séparés ou divorcés, ils peuvent recevoir des aides spécifiques liées au veuvage ou à l’orphelinage.

La précarité des familles monoparentales mise en avant lors de la crise des « gilets jaunes », France Culture.

Nous avons pris en compte ces contextes afin de savoir si les familles avec un ou plusieurs orphelins ont un plus faible niveau de vie que les familles sans orphelin.

Les familles avec orphelins encore plus fragilisées

Nous avons alors mesuré, pour chaque type de famille, la proportion de celles dont le niveau de vie se situe dans le premier quintile (c’est-à-dire la tranche de niveau de vie qui regroupe les 20 % des ménages les plus pauvres).

Pour un type de familles donné, plus la part de celles qui se situent dans le premier quintile de niveau de vie est élevée, plus le niveau de vie de ce type de familles est faible.

Les modèles de régression logistique nous permettent de comparer les familles avec ou sans orphelins, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire en fixant trois autres variables déterminantes : la structure familiale (simple, monoparentale ou recomposée), la position socioéconomique (mesurée par la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau de diplôme) et l’âge du dernier enfant.

Parmi l’ensemble des familles, celles avec orphelins sont nettement défavorisées par rapport à celles sans orphelin : 43 % des familles avec orphelins ont un faible niveau de vie, contre 22 % des familles sans orphelin, soit un rapport des risques (odds ratio, OR) de 2,7 contre 1.

Tableau 3. Risques d’avoir un faible niveau de vie des familles avec orphelins par rapport aux familles sans orphelin. Auteurs, Author provided

En étudiant la structure familiale et la position socioéconomique des familles, nous constatons cependant qu’à contextes similaires, les familles avec orphelins ont le même niveau de vie que les autres familles de même structure et de même position sociale.

Plus que le décès parental en lui même, ce sont les autres caractéristiques des familles des orphelins (la monoparentalité d’une part, le désavantage en termes de diplôme ou d’emploi d’autre part) qui entraînent leur désavantage économique.

Disparités dues à la forte précarité du conjoint survivant

Nos analyses montrent que les familles monoparentales maternelles avec enfants orphelins ont un plus grand risque d’avoir un faible niveau de vie que celles sans orphelin.

Mais si l’on contrôle les calculs par la position socioéconomique de la mère, la différence entre les deux groupes de familles s’estompe. Le plus faible niveau de vie des familles avec orphelins s’explique donc par le fait que les mères y sont moins diplômées et occupent des professions moins bien rémunérées que les mères des familles sans orphelin.

Ce désavantage en termes de position socioéconomique est dû au différentiel social de mortalité masculine : à tous les âges, la mortalité des hommes ouvriers ou employés est plus forte que celle des hommes cadres ou professions intermédiaires.

En raison de l’homogamie, c’est-à-dire la ressemblance des conjoints en termes de diplôme et de catégorie socioprofessionnelle, les conjointes survivantes appartiennent fréquemment aux catégories défavorisées.

Il en est de même pour les familles monoparentales paternelles : les familles avec orphelins ont un plus faible niveau de vie, mais l’effet de l’orphelinage disparaît lorsque l’on contrôle par le diplôme ou la catégorie socioprofessionnelle du père.


Ce texte est adapté d’un article publié dans Population et Sociétés n° 580, « L’orphelinage précoce continue de diminuer au début du XXIᵉ siècle ».

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