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Seringue d'injection d'Ozempic.
L'Ozempic peut être utilisé pour un usage antidiabétique et en cas d'obésité. myskin/Shutterstock

Ozempic et perte de poids : les risques derrière le mauvais usage de cet antidiabétique

Début mars, L’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) et l’Assurance-maladie annonçaient une « surveillance renforcée » sur un antidiabétique : l’Ozempic. Or, ce médicament est plébiscité sur le réseau social TikTok, mais pour un autre usage… maigrir. Y a-t-il un usage détourné ? Et quels en sont les risques réels ?

Il importe de savoir, déjà, de quoi l’on parle. L’Ozempic est le nom commercial du sémaglutide. C’est un agent de la classe des analogues du GLP-1 (glucagon-like peptide 1) utilisé pour le traitement du diabète de type 2, le diabète de loin le plus fréquent et qui est fortement lié à l’obésité.

Il est commercialisé sous la forme de seringues préremplies contenant quatre doses, de façon à atteindre progressivement 1 mg afin de réduire le risque d’intolérance gastro-intestinale.

Outre son effet antidiabétique puissant, le sémaglutide réduit effectivement le poids de façon significative. Raison pour laquelle il a été testé dans l’obésité par son fabricant, Novo Nordisk, à une dose supérieure : 2,4 mg.

Les analogues du GLP-1 offrent aussi une protection cardiovasculaire importante dans le diabète. Ceci est à souligner car le pronostic du diabète, et dans une grande mesure celui de l’obésité sévère, tient surtout à un risque cardiovasculaire accru. On comprend dès lors que la prescription est faite dans le diabète pour la longue durée ; elle ne sera révisée au fil de l’évolution qu’au cas par cas.

Une perte de poids, vraiment ?

Les analogues du GLP-1 réduisent généralement le poids (mais pas toujours) en ralentissant la vidange gastrique et en régulant la satiété, sans qu’il s’agisse pour autant d’un « coupe-faim ». S’agissant du sémaglutide/Ozempic, plusieurs études ont été réalisées dans l’obésité et à différents dosages.

Une première a comparé l’effet sur le poids de différentes doses en administration quotidienne comparativement un placebo. À un an, les doses de 0,05 mg, 0,1 mg, 0,2 mg, 0,3 mg et 0,4 mg ont provoqué respectivement des pertes de poids de 6,0 % (-6,7 kg), 8,6 % (-9,3 kg), 11,6 % (-12,3 kg), 11,2 % (-12,5 kg), et 13,8 % (-15,1 kg). La perte pondérale est donc clairement dose-dépendante.

À la dose cette fois hebdomadaire et unique de 2,4 mg, une étude a observé au terme de 68 semaines de traitement une perte pondérale moyenne de 15 % (15 kg), contre 2 % (3 kg) avec la seule modification du mode de vie.

Novo Nordisk met à disposition deux dosages du sémaglutide, sous deux noms différents :

  • L’Ozempic, commercialisé pour le traitement du diabète à la dose de 1 mg par semaine (et remboursé pour cette indication),

  • Le Wegovy, pour le traitement de l’obésité à la dose de 2,4 mg par semaine, accessible (en France) dans le cadre d’une procédure strictement contrôlée dite d’accès précoce (menée dans l’attente d’une commercialisation) pour l’obésité la plus sévère (avec un indice de masse corporelle à 40 kg/m2) associée à des complications.

Le Wegovy ne peut donc pas être détourné de son usage ; tel n’est pas nécessairement le cas pour l’Ozempic.

Un mésusage de l’Ozempic

Le fabricant a signalé à la fin 2022 des difficultés d’approvisionnement pour les patients diabétiques en raison d’un détournement d’usage. De son côté, l’ANSM, en lien avec l’Assurance Maladie, indiquait accroître sa vigilance le 1ᵉʳ mars dernier, mais relativisait les choses pour la France :

« Les données du système national des données de santé extraites pour la période du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2022 montrent qu’environ 600 000 patients ont reçu un médicament de la classe des analogues du GLP-1, dont 215 000 patients la spécialité Ozempic. Parmi ces patients, 2 185 bénéficiaires d’Ozempic peuvent être considérés comme non-diabétiques selon les estimations de l’Assurance Maladie. Ainsi, sur la base des seules données de remboursement, le mésusage potentiel pour la spécialité Ozempic est estimé à environ 1 %. »

Ce faible pourcentage, à tout le moins en France, n’est pas de nature à expliquer les difficultés d’approvisionnement. Il faut sans doute plutôt invoquer l’engouement pour la molécule relayé à travers le monde par les réseaux sociaux, notamment en Asie – fortement peuplée et où l’incidence de l’obésité suit le cours du développement.

Quels sont les risques du mésusage ?

À l’échelle de l’individu

On dispose d’un long recul pour juger des effets secondaires des analogues du GLP-1, et les premières études à grande échelle ont été menées dans les années 2000.

Les effets secondaires les plus fréquents répertoriés sont plus gênants que graves. De façon générale, les fiches techniques font apparaître la fréquence d’un inconfort gastro-intestinal, marqué par des nausées-vomissements et/ou une diarrhée, et un effet dépresseur sur l’appétit d’intensité variable, de nul à assez marqué parfois pour le sémaglutide – la taille modeste de la molécule lui permettant d’atteindre assez aisément le cerveau. Il n’y a pas d’effet hypoglycémiant, sauf si la médication vient renforcer l’effet d’une insuline déjà en place.

Des événements graves ont pu être signalés (et médiatisés), tels une pancréatite, un cancer particulier de la thyroïde ou encore un trouble de la conduction cardiaque. Des éléments méthodologiques font toutefois douter du lien de causalité.

L’effet secondaire problématique à retenir est l’altération de l’appétit quand elle est marquée et survient chez un sujet vulnérable (âgé, etc.). Il convient en effet de s’assurer que la perte de poids ne se produise pas aux dépens de la masse musculaire.

Enfin, il doit être rappelé qu’aucun médicament actif n’est dénué d’effet secondaire. Aussi, si la médication devait être prise en l’absence de diabète et d’obésité très sévère, tout événement grave, même rare, serait inacceptable. Prescrite ou prise en automédication à tort dans l’obésité, la médication devrait alors être suspendue. Que se passerait-il suite à cet arrêt ? Il faut s’attendre au mieux à la reprise du poids perdu, car l’effet de la médication est suspensif ; au plus à un rebond, si la médication a fait cesser la vigilance autour de la modification du mode de vie.

En santé publique

Le risque se situe plutôt à ce niveau, et il est indirect : à savoir un phénomène de mésusage d’ampleur telle qu’il limiterait l’accès à l’Ozempic de sujets diabétiques, surtout si des pratiques étaient de « forcer la dose » pour accroître l’effet sur le poids. Si la disponibilité venait à manquer pour le diabète, le risque pour le sujet traité serait un déséquilibre franc de son diabète.

Certes, il existe plusieurs classes d’antidiabétiques, mais le sémaglutide est le plus puissant de la classe la plus puissante (hormis l’insuline). Et il n’y a parfois pas de possibilité de remplacement, quand le traitement est déjà à son maximum.

À l’échelle de la collectivité

Un élément d’une autre nature à prendre en considération est celui de l’altération du rapport au temps qui prévaut actuellement – les philosophes parlent bien de « tyrannie de l’immédiateté », de « dictature de l’urgence »…

Dans un tel contexte, la communication immédiatement accessible diffusée via les réseaux sociaux sur l’effet du sémaglutide sur le poids peut faire courir le risque de détourner du travail lent et patient, sinon pénible, à mener pour modifier son mode de vie, changer son alimentation, accroître son activité physique, etc.

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Mésusage, ou contournement de la réglementation ?

Il n’est pas aisé de distinguer le mésusage du détournement.

Prenons le cas d’un traitement transitoire par sémaglutide en préparation à la chirurgie de l’obésité : cette indication n’est pas reconnue alors qu’elle pourrait être pertinente dans le risque opératoire élevé, a fortiori si elle permet d’éviter une mesure délétère (par exemple le régime cétogène, restrictif, susceptible de réduire la masse musculaire). Il y aurait ici un contournement de la réglementation actuelle, mais pas de mésusage au sens thérapeutique.

Réglementairement, en effet, les indications s’inscrivent en déclinaison des situations testées dans des essais cliniques censés refléter les cas de figure de la pratique courante. Et des médications peuvent faire l’objet d’une ou de plusieurs extension(s) d’indication au décours de leur première autorisation, au sortir de nouveaux protocoles.

Dans le même esprit, comparativement aux conditions très strictes d’accès au Wegovy (à la dose de 2,4 mg par semaine), à savoir l’obésité très sévère avec des complications, l’obésité moins sévère mais associée à des complications (rhumatologiques, respiratoires, hépatiques, etc.) est quand même une maladie. Si l’Ozempic devait être utilisé en lieu et place du Wegovy, il y aurait mésusage au plan réglementaire mais pour une indication qui pourrait être légitime, surtout si le sémaglutide devait faire montre d’une protection vasculaire.

À ce sujet, nous disposerons en fin d’année des résultats d’un essai clinique de protection cardiovasculaire réalisé avec la dose de 2,4 mg par semaine. S’ils s’avèrent favorables, on pourrait s’acheminer vers le remboursement du Wegovy, et ce possiblement pour toutes les situations d’obésité. Ce qui est un mésusage aujourd’hui pourrait ainsi être de bonne pratique thérapeutique bientôt.

Distinguer les mésusages

Au-delà des faits, il y a deux niveaux de lecture, non exclusifs, de la présente problématique du mésusage de l’Ozempic : le premier, qui renverrait à une pratique consumériste, n’est guère justifiable.

Le second s’inscrit à l’opposé et tiendrait au fait que nous n’avons pas de parade pour traiter efficacement et dans des délais raisonnables l’obésité en phase statique (et non plus en phase de croissance pondérale) compliquée de douleurs physiques et de souffrance psychosociale.

La médecine de l’obésité est souvent une médecine de l’échec. Or, et ceci est à déplorer aussi, la consultation diététique n’est pas remboursée ; la consultation en psychologie ne l’est guère plus ; l’activité physique adaptée n’est pas inscrite à la nomenclature des soins ; et l’éducation thérapeutique du patient, tant prônée dans les maladies chroniques, est très mal valorisée elle aussi. L’enjeu devient ici politique, surtout si, en regard de ces difficultés, un médicament de l’obésité assez onéreux venait à être remboursé.

En conclusion, il importe d’éviter tout amalgame en établissant deux distinctions : entre les doses de sémaglutide prescrites pour le diabète ou l’obésité ; et entre la médicalisation raisonnée et les pratiques dévoyées par clientélisme ou d’automédication cosmétique – ou, dit autrement, entre usage raisonné mais réalisé hors cadre réglementaire, et réel mésusage. Si ce dernier ne semble pas faire courir un risque important au sujet traité, il risque de priver le sujet diabétique d’un traitement majeur.

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