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Passé colonial et reconstruction de l’identité calédonienne

l'arrivée du président français pour une cérémonie à la mémoire des 19 indépendants kanaks tués
On attend l'arrivée du président français pour une cérémonie à la mémoire des 19 indépendants kanaks tués lors de la prise d'otages de 1988, le 5 mai 2018, dans le territoire français d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie. Ludovic Marin/AFP

Le 4 octobre dernier, 53,3 % des Calédoniens se sont prononcés contre l’indépendance de l’archipel. Ce deuxième référendum, prévu dans le cadre des accords de Nouméa signés le 5 mai 1998, ravive les débats sur la souveraineté et la citoyenneté de ce territoire d’outre-mer.

Ce deuxième passage aux urnes nous donne l’occasion de revenir sur deux siècles d’une histoire mouvementée. De 1863 à 1999, 13 statuts juridiques ont en effet été appliqués à la Nouvelle-Calédonie. Cette instabilité institutionnelle entraînera différentes vagues d’immigration ainsi qu’une réduction de la moitié (45 000 à 27 000) de la population kanake entre 1866 et 1921.

Du bagne calédonien…

Découverte en 1774 par le navigateur britannique James Cook, la Nouvelle-Calédonie est progressivement évangélisée, avant sa prise de possession par le contre-amiral Febvrier Despointes le 24 septembre 1853, sous les ordres de Napoléon III.

Dix ans plus tard et conformément à la loi du 30 mai 1854 sur l’exécution de la peine des travaux forcés, la Nouvelle-Calédonie devient une colonie pénale. Au total, 22 542 transportés (condamnés à réaliser une peine de travaux forcés) et 3 796 relégués (multirécidivistes) sont envoyés à 18 000 kilomètres de la métropole. À ces prisonniers de droit commun s’ajoutent 4 253 déportés à la suite des événements de la Commune de Paris. Louise Michel sera notamment exilée sept ans en Nouvelle-Calédonie.

Nouvelle-Calédonie : la dernière colonie française.

L’article 17 du code pénal de 1810 dispose que la peine de déportation « consiste à être transporté et à demeurer à perpétuité dans un lieu déterminé par le gouvernement, hors du territoire continental de l’Empire ». Le 23 mars 1872, l’Assemblée nationale ratifie les propositions du gouvernement d’Adolphe Thiers afin d’exiler les insurgés. Après cinq mois de traversée en cage sur des navires de guerre, les condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée débarquent sur la presqu’île de Ducos ; les déportés simples sont quant à eux exilés sur l’île des Pins.

Ce choix est vivement critiqué par le gouverneur Gaultier de la Richerie. La France avait en effet conclu quelques années plus tôt une convention avec le grand chef Vendegou de la tribu des Kouniés, habitants de l’île des Pins. L’île continuait d’être gouvernée par son chef tout en étant placée sous l’administration française. Les Kouniés étaient très attachés à leur terre et le gouverneur craignait leur réaction face à l’arrivée des déportés politiques. Il suggère alors de déplacer les membres de la tribu de la côte ouest vers la côte est afin de recevoir les déportés.

Si les Kouniés conservent plus de deux tiers du territoire, cet épisode est le premier d’une longue série d’expropriations. Ces spoliations engendrent plusieurs révoltes locales qui mènent à l’insurrection du 25 juin 1878 orchestrée par le grand chef Ataï contre les expropriations réalisées au profit des bagnards. Dépassant les divisions linguistiques, géographiques et sociales, les Kanaks s’organisent à grande échelle afin de s’opposer à la machine coloniale. La rébellion dure dix mois ; plus de 1 200 Kanaks sont tués, dont une grande partie de dirigeants.

… au cantonnement de la population kanake

La mise en place d’une politique de cantonnement par le gouvernement français à la même époque alimente le climat insurrectionnel. Une réorganisation foncière est en effet envisagée afin de pallier le poids néfaste de la pénitentiaire sur la colonisation de peuplement. En reléguant les Kanaks dans des réserves indigènes, l’administration coloniale souhaite favoriser l’arrivée de nouveaux colons en leur attribuant les terres les plus fertiles.

Des manifestants kanaks lors d’une manifestation
Une photo d’archive prise le 22 août 1987 à Nouméa montre des manifestants kanaks lors d’une manifestation appelée par le FLNKS avant le référendum sur l’indépendance. Rémy Moyen/AFP

Cette deuxième vague de migration aurait pour but de redynamiser le territoire en créant une société nouvelle mêlant « honnêtes » migrants et proscrits. Dans le cadre du régime de l’indigénat imposé par la France à ses colonies par décret du 18 juillet 1887, un régime d’exception est établi en Nouvelle-Calédonie. Le code de l’indigénat distingue dès lors les citoyens français (métropolitains) et les sujets français (Kanaks et travailleurs immigrés). Soumis à la loi française, les Kanaks ne jouissent pas de la citoyenneté française et sont privés de la majeure partie de leurs libertés et droits politiques. Selon Isabelle Merle :

« Le code a assujetti les autochtones aux travaux forcés, à l’interdiction de circuler la nuit, aux réquisitions, aux impôts de capitation sur les réserves et à un ensemble d’autres mesures tout aussi répressives. […] En somme, on peut dire que le colonialisme pratique en Nouvelle-Calédonie s’apparentait à une sorte d’esclavage des populations autochtones : celles-ci furent dépouillées de toute leur identité. »

La reconquête identitaire

En 1931, l’expérience controversée de la colonisation pénale en Nouvelle-Calédonie s’achève avec la fermeture du dernier centre pénitentiaire. Il faut attendre l’avènement de la IVe République pour que la Nouvelle-Calédonie soit reconnue comme un territoire d’outre-mer. Si les Calédoniens, y compris les Kanaks, deviennent citoyens français, ce n’est qu’en 1957 que l’ensemble de la population mélanésienne accède au droit de vote.

Il y a 30 ans, la sanglante prise d’otage d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie.

Dans les années 1970, une nouvelle vague d’immigration creuse le fossé entre métropolitains et Kanaks, symbolisé par l’apparition d’un nouveau mot : Caldoche. Plusieurs mouvements indépendantistes se cristallisent autour de revendications foncières ; le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLKNS) porte alors un projet d’accès à l’indépendance en revendiquant l’émancipation du peuple kanak. Il propose pour ce faire la création d’un État libre et souverain appelé Kanaky. En 1984, le FLNKS annonce la constitution d’un gouvernement provisoire en réaction au statut Lemoine. Les années 1984-1988 se caractérisent par plusieurs conflits politiques qui se soldent par la tragédie d’Ouvéa. Après cet épisode dramatique, le gouvernement français et les partis politiques séparatistes de Nouvelle-Calédonie négocient les Accords de Matignon. En 1998, une révision constitutionnelle est finalement organisée par les Accords de Nouméa pour mettre en œuvre une « politique de destin commun » pour ces communautés :

« La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu’elle a privé de son identité […]. Il est aujourd’hui nécessaire de poser les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d’origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun. »

La reconnaissance d’une citoyenneté calédonienne

Une « citoyenneté calédonienne » et une souveraineté fondée sur un « destin commun » constituent le socle de ces Accords. Un transfert progressif des compétences non régaliennes est organisé de l’État français aux institutions calédoniennes, surveillées par un Haut-commissaire, nommé par décret présidentiel, dont les membres sont élus par les électeurs inscrits sur les listes provinciales. Telles sont les dispositions de l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999.

Le nouveau gouvernement de Nouvelle-Calédonie de 1999
Le Haut-commissaire de la République Dominique Bur, pose avec les 11 membres tout nouveau gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui entourent son président Jean Lèques, le 28 mai 1999 à Nouméa. Eric Dell’erba/AFP

Selon les Accords, la pleine reconnaissance de l’identité kanake passe par l’élaboration de « lois du pays ». Elles sont adoptées par le Congrès et promulguées par le Haut-commissaire, avec le contreseing du président du gouvernement. Elles ont force de loi dans les domaines définis à l’article 99 de la loi organique, notamment le statut civil coutumier, le régime des terres coutumières et palabres coutumiers ou encore la délimitation des aires coutumières. Outre la reconnaissance d’une souveraineté « partagée », les accords prévoient l’organisation d’un référendum d’autodétermination 20 ans plus tard.

Le 4 novembre 2018, 56,7 % des habitants s’y sont opposés. Cette année, 11 000 votes supplémentaires se sont prononcés en faveur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, bien que le non l’ait emporté. Les résultats par province nous interrogent par ailleurs sur l’efficience de la politique de destin commun. Ils révèlent la persistance de clivages, notamment géographiques, qui s’expliquent à travers le prisme de son histoire. Si le non l’emporte à 70,9 % dans la Province du Sud, 77,8 % des habitants de la Province du Nord et 84,3 % de la Province des Îles se sont prononcés en faveur de l’indépendance, territoires où vit une part importante de la population kanake. L’Union calédonienne, satisfaite de l’obtention de nouvelles voix en faveur de l’indépendance, a déjà formulé ses vœux en faveur de l’organisation d’un troisième référendum d’ici 2022.

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