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Pays en développement : un sommet à Paris pour relever le défi de la dette et du climat

Billets de banques
Les événements climatiques extrêmes creusent les dettes des pays affectés et augmentent leurs coûts d’emprunt. Pexels/Karthikeyan Perumal, CC BY-SA

Les 22 et 23 juin prochain, la France organise un sommet pour « un nouveau pacte financier mondial » au palais Brogniart, à Paris. Ce rassemblement de chefs d’État et de gouvernements, de responsables d’organisations internationales ou encore de représentants de la société civile a notamment pour but de faire un point d’étape sur les voies et moyens d’accroître la solidarité financière entre pays. Il s’agit aussi de contribuer à l’agenda international en matière de financement du développement et du climat. Il se déroule quelques mois après la COP27 en Égypte, qui s’est achevée le 18 novembre 2022 sur un bilan contrasté.

Le sommet intervient dans un contexte où les marges budgétaires et la soutenabilité de la dette d’un certain nombre de pays ont été mises à mal par la succession des récents crises et événements mondiaux : pandémie, guerre en Ukraine, inflation, hausse de taux d’intérêt mondiaux… Or, les besoins de financement pour favoriser un développement qui soit aussi respectueux du climat autant qu’il s’adapte à ses évolutions restent toujours prégnants. De nombreux pays en développement (PED) doivent en effet faire face à une augmentation des risques naturels dont la fréquence et la sévérité vont croissant, alors même que leurs vulnérabilités socioéconomiques s’accentuent.

Les situations financières des PED s’avèrent néanmoins hétérogènes : certains pays sont d’ores et déjà dans des situations de non-soutenabilité de leur dette publique comme le Sri Lanka, le Ghana ou le Suriname qui nécessitent une restructuration. D’autres peuvent encore accéder à des ressources de financement sans compromettre leur soutenabilité, comme l’Égypte.

Photo du palais Brogniart, à Paris
Le palais Brogniart, à Paris, accueille le sommet pour un nouveau pacte financier mondial les 22 et 23 juin 2023. Wikimedia, CC BY-SA

Une étude menée par le Fonds monétaire international (FMI) en 2022 sur 128 pays à revenus faibles ou moyens a mis en évidence une forte concordance entre exposition aux risques climatiques et capacités budgétaires limitées. Crise climatique et crise budgétaire ont bien des conséquences néfastes l’une sur l’autre : faire face à une crise pèse sur les finances publiques, et de nouveaux financements sont nécessaires pour s’adapter aux changements climatiques. S’endetter davantage, c’est aussi s’endetter à des coûts plus élevés. Les PED risquent donc d’entrer dans un véritable cercle vicieux.

Des restructurations de dettes toujours plus complexes

En dehors des restructurations dites « ad hoc » propres à des pays faisant face à des contraintes particulières, plusieurs initiatives de restructuration ou de suspension de la dette ont vu le jour à partir des années 2000 pour répondre à des situations d’endettement plus généralisées. L’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) lancée en 1996 et l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM) de 2005 (la seconde s’adresse aux pays arrivés au bout du premier mécanisme) en sont des exemples notables. À gros traits, il s’agit d’annuler un certain volume de dettes publiques contre l’engagement que les sommes dégagées soient redéployées afin d’aider les pays à atteindre leurs objectifs de développement, dans des domaines tels que la santé, l’éducation ou la réduction de la pauvreté.

Pendant la pandémie de Covid-19, les pays du G20 ont aussi adopté l’initiative de suspension de la dette (ISSD), visant à permettre les suspensions temporaires des remboursements de dette pour 73 pays parmi les plus pauvres du monde.

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L’initiative PPTE et l’ISSD ont notamment été mises en place par le Club de Paris (CDP), groupe informel de 22 créanciers bilatéraux, principalement des pays développés, qui a élaboré, en collaboration avec le FMI et la Banque mondiale, un ensemble de règles visant à apporter des solutions coordonnées et adaptées aux besoins des pays en surendettement ayant besoin de renégocier leur dette publique externe. À l’heure actuelle cependant, les créanciers du CDP ne sont plus les acteurs les plus importants. Les « nouveaux » créanciers bilatéraux tels que la Chine et l’Inde, n’en sont effectivement pas membres.

En dehors des capacités budgétaires, c’est en effet aussi la structure de l’endettement public de l’ensemble des PED qui a progressivement évolué. En doublant sur la dernière décennie, les dettes des pays en développement se sont aussi ouvert à de nouveaux créanciers venus du secteur privé et de pays émergents comme la Chine, l’Inde, la Russie, la Turquie ou les États du Moyen-Orient. Le processus de restructuration est ainsi devenu encore plus complexe.

Pour répondre à ce nouveau contexte international, les pays du G20 ont mis en place un « Cadre commun pour le traitement de la dette », permettant aux pays éligibles à l’ISSD de demander une restructuration de leur dette en cas d’endettement insoutenable et de déficits de financement persistants. Cette nouvelle instance ouvre la voie à une meilleure coordination entre les créanciers bilatéraux membres et non membres du CDP.

Néanmoins, le cadre mondial de restructuration de la dette ne répond, pour l’instant, que peu aux enjeux climatiques. L’investissement climatique n’a joué, jusqu’à présent, qu’un rôle limité dans les restructurations de dette.

Des pays vulnérables demandeurs

Les instruments financiers innovants pour conjuguer finance et climat se multiplient. Les conversions de dette en faveur du climat (les Debt for Climate Swap par exemple) reviennent sur le devant de la scène depuis quelques années et se concentrent non seulement sur la lutte contre le réchauffement climatique, mais également sur la protection de la nature. L’idée est que, en échange de l’annulation partielle ou totale de la dette publique, le gouvernement du pays débiteur s’engage à mobiliser l’équivalent de l’annulation de dette pour financer des projets ou programmes de lutte contre le changement climatique, selon des conditions convenues entre les créanciers et le pays débiteur. De plus en plus de groupes de recherche, de groupes de la société civile et, dans une moindre mesure, d’institutions internationales, préconisent pareilles solutions pour lutter à la fois contre le changement climatique et l’augmentation de l’endettement public.

Les récents chocs mondiaux ont mené à un certain consensus sur le fait que le système financier international n’est peut-être plus adapté aux enjeux mondiaux actuels. Les efforts pour financer la décarbonation de l’économie et l’adaptation aux changements climatiques sont encore considérés comme insuffisants aux yeux de bon nombre d’acteurs. Plusieurs pays ont appelé à réformer cette architecture financière lors de l’assemblée générale de l’ONU en 2021, en demandant notamment à lier la restructuration de la dette aux objectifs climatiques.

Cet appel a été réédité à la COP26, à Glasgow, en novembre 2021, notamment par les pays du V20 (vulnerable twenty group). Il s’agit d’un groupe élargi aujourd’hui à 58 États représentant 5 % des émissions de gaz à effet de serre globales avec de fortes vulnérabilités au changement climatique. Ils demandaient alors la mise en place d’un DCS générique de grande ampleur.

En parallèle, la Première ministre de la Barbade a présenté le Programme de Bridgetown pour la réforme de l’architecture financière mondiale, afin d’orienter les ressources financières mondiales vers un développement bas-carbone, résilient au changement climatique, et qui contribuerait à résoudre les crises de dettes souveraines des PED.

Encore plus de complexité ?

Les pays les plus riches ont eux aussi formulé des idées. À l’issue de la 76e édition des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI d’octobre 2022, le G7, rejoint par l’Australie, les Pays-Bas et la Suisse, a, lui aussi, précisé ses propositions de réforme de la Banque mondiale.

L’année 2023 se veut donc une année de réformes pour le financement du développement, avec de nombreux évènements organisés pour réfléchir à ces questions.

Pour autant, les appels à réformer le cadre mondial ne sont pas nouveaux et existent depuis la mondialisation des marchés financiers. Aucune institution n’a la responsabilité des mouvements financiers au niveau mondial. Il existe une multitude d’institutions, aussi bien internationales (FMI, Banque mondiale, OMC, etc.), que régionales (OCDE, Commission européenne, BRI, etc.), tandis que le secteur privé prend de l’ampleur, chacun jouant un rôle dans le cadre financier mondial.

Au-delà des divergences d’opinions sur le rôle que ces institutions devraient jouer et sur l’utilité ou non de mettre en place des normes et des contrôles au niveau international, la multiplication des innovations dans les instruments de financement du développement pourrait faire en sorte que toute transformation de l’architecture financière internationale, puisqu’elle doit être négociée et régulée, devienne rapidement à nouveau obsolète. L’enjeu est aussi que la mise en place de nouveaux instruments n’ajoute pas encore davantage de complexité à la gestion des dettes des PED.

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