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Pesticides dans l’eau du robinet : comment s’effectuent les contrôles en France ?

Un scientifique examine la qualité de l'eau et recherche des traces de pesticides
Un scientifique examine des traces de pesticides dans l’eau au laboratoire Eau de Paris, à Ivry-sur-Seine en 2012. PATRICK KOVARIK / AFP

En septembre 2022, le magazine Complément d’enquête (France 2) et le quotidien Le Monde révélaient qu’en 2021 en France, 12 millions de personnes avaient été touchées par des dépassements de seuils de qualité de l’eau potable concernant les pesticides et leurs « métabolites » ; ce terme désigne les sous-produits des pesticides, résultats de leur évolution au fil du temps.

Le 15 février 2023, l’Anses annonçait engager une procédure de retrait du marché visant le S-métolachlore, une substance herbicide dont certains métabolites sont responsables d’une pollution majeure des nappes d’eau souterraines en France. Ses métabolites, notamment le métolachlore-ESA, le métolachlore-OXA et le métolachlore-NOA, seraient en effet présents dans les eaux souterraines françaises à des concentrations supérieures à la limite de qualité fixée par la législation européenne.

Cette situation inquiétante nécessite de revenir sur la manière dont les contrôles sur l’eau potable sont effectués en France.

Principalement utilisés à des fins agricoles dans les zones rurales, les pesticides, une fois épandus, se diffusent dans les sols et peuvent entraîner la contamination des ressources souterraines. Ils peuvent également, par érosion du sol ou par ruissellement lors d’épisodes pluvieux, se diffuser dans les eaux de surface (rivières, lacs…).


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Or l’eau utilisée pour produire notre eau du robinet est captée dans ces mêmes ressources. Elle est donc potentiellement polluée par les pesticides. Pour cette raison, l’eau du robinet fait l’objet en France d’un suivi sanitaire régulier.

Une eau surveillée à plusieurs niveaux

Ce suivi se décompose en une surveillance, exercée par la personne moralement responsable de la production ou de la distribution de l’eau, ainsi que le contrôle sanitaire, mis en œuvre par les agences régionales de santé (ARS), en application des dispositions du Code de la santé publique et de la directive européenne 98/83/CE.

L’ARS assure à l’échelle régionale le pilotage de l’ensemble du système de santé. Les acteurs publics, les collectivités locales, les professionnels de santé ou encore les associations interagissent avec elle. Elle est la référente lors des prises de décision de la préfecture dans le domaine de la santé et réalise des contrôles sanitaires de l’eau pour son compte.

Des prélèvements sont effectués au niveau de la ressource (c’est-à-dire au niveau de la nappe ou de la rivière, au point de captage avant le traitement), à la sortie de l’usine de traitement ainsi qu’au niveau du point de distribution (c’est-à-dire au robinet).

Les paramètres mesurés et la fréquence des prélèvements sont précisés par un arrêté et dépendent des points de contrôle. Au point de distribution sont, par exemple, vérifiées les teneurs en nitrate, en fer, ou encore la présence d’E. Coli. Les médicaments ne sont pour l’instant pas concernés par ces contrôles.

Les prélèvements et analyses sont réalisés par des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux par le ministère de la Santé. Ces laboratoires doivent respecter des méthodes d’analyses et atteindre un certain niveau de « performance analytique », c’est-à-dire présenter des résultats réguliers et sûrs.

En effet, la validité des données produites est fortement liée à la fiabilité des analyses et la mise au point d’une technique d’analyse spécifique à chaque substance peut être longue et laborieuse. En particulier, la limite de détection d’un composé doit être située en dessous de la valeur réglementaire pour rendre l’interprétation de son analyse possible. Ceci nécessite des instruments d’analyse particulièrement précis.

De plus, les autres composés présents dans l’échantillon d’eau prélevé peuvent également venir perturber l’analyse du paramètre visé. C’est pourquoi la réalisation des analyses doit être uniquement confiée à des laboratoires ayant prouvé leurs compétences.

Le coût des analyses impose de faire des choix

Concernant les pesticides, plus de 1 000 substances sont actuellement autorisées et utilisées sur les cultures en France. Par ailleurs, certains pesticides et leurs « métabolites » peuvent persister dans l’environnement durant plusieurs décennies, et doivent donc continuer à être suivis même longtemps après leur interdiction.

Si, depuis fin 2020, le nombre de pesticides et métabolites recherchés a été revu à la hausse, il n’est pas envisageable aujourd’hui, pour des raisons de coûts et de moyens, d’analyser l’ensemble de ces substances.

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Pour cette raison, la Direction générale de la santé précise qu’il est nécessaire de cibler ces recherches de pesticides dans les eaux destinées à la consommation en fonction de leur probabilité de présence et des risques pour la santé humaine.

Le choix des molécules recherchées est réalisé par l’ARS en fonction des activités agricoles locales, des surfaces cultivées et des quantités de pesticides vendues. En moyenne, 170 pesticides et métabolites sont recherchés, avec des variations considérables d’une région à l’autre.

Un engin agricole asperge un champ avec des pesticides
Un agriculteur traite un champ en l’aspergeant des pesticides, à Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne) en 2015. Remy Gabalda/AFP

En région Grand Est et en Bretagne, environ 200 pesticides et métabolites sont recherchés depuis début 2021.

Les fréquences de contrôle dépendent quant à elle du débit du captage et de la taille de la population desservie avec des variations pouvant aller de 0 contrôle annuel à plus de 800, comme l’indiquent ces données fournies par le site AIDA. Le ministère de la Santé met ensuite à disposition les résultats du contrôle sanitaire des ARS.

Comment sont établies les valeurs réglementaires pour les pesticides ?

La « limite de qualité » désigne la concentration maximum de pesticides présents dans l’eau potable autorisée par la loi en temps normal. Elle est de 0,1 microgramme par litre par substance individuelle et de 0,5 µg/l pour la somme des pesticides et métabolites mesurés, à l’exception de molécules considérées plus dangereuses, pour lesquelles la limite de qualité est fixée à 0,03 µg/L : l’aldrine, la dieldrine, l’heptachlore et l’heptachlorépoxyde.

Classées « polluants organiques persistants » et interdites en France depuis les années 1990, ces molécules continuent à polluer certains sols et ressources en eau.

Contrairement aux normes fixées pour d’autres polluants, cette norme réglementaire, définie par une directive européenne parue de 1998, n’est pas basée sur des critères toxicologiques, mais sur les limites de détection des appareils d’analyse de l’époque.

Plus précisément, au sujet des pesticides et de leurs métabolites, la Commission européenne suit le principe dit ALARA (pour as low as reasonnably achievable) : elle suggère ainsi de maintenir leurs concentrations au niveau le plus faible qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre dans un objectif de protection des ressources.

Il ne s’agit donc pas d’une norme sanitaire et ne signifie pas que l’eau est impropre à la consommation lorsque cette valeur est dépassée.

Dépassement des normes réglementaires

La limite au-delà de laquelle l’exposition à la molécule est considérée comme dangereuse est définie par la valeur sanitaire maximale, dite Vmax.

La Vmax est fixée par l’Anses de la façon suivante : chaque composé se voit attribuer 10 % d’une valeur toxicologique de référence via l’exposition hydrique alimentaire (en considérant qu’un individu de 60 kg consomme 2 litres d’eau par jour durant sa vie entière).

L’OMS considère en effet que 10 % de notre exposition chronique aux pesticides est liée à l’eau que nous buvons (selon l’Anses, cette valeur descend à 5 % en France), tandis que l’alimentation constitue 80 % de cette exposition ; le reste provenant de notre environnement, via l’air que nous respirons par exemple.

Une personne prenant de l’eau du robinet dans un verre
En 2020, selon une enquête du Centre d’information sur l’eau, 67 % des Français consommaient de l’eau du robinet quotidiennement. Franck Fife/AFP

La Vmax n’a pas de valeur légale et peut être parfois très supérieure à la valeur réglementaire pour les raisons expliquées ci-dessus : le principe ALARA est appliqué afin de protéger l’environnement et comme principe de précaution pour notre santé.

Ces Vmax ont une utilisation limitée de neuf ans, pendant laquelle des actions dites de remédiation (amélioration de la qualité de l’eau de la ressource, mise en place de traitements par exemple) doivent être mises en œuvre.

Seul le dépassement de la Vmax conduit à des restrictions immédiates de la consommation de l’eau du robinet.

Le respect de la Vmax autorise donc une distribution d’eau même lorsque celle-ci dépasse la norme légale au niveau des pesticides. Dans ce dernier cas – c’est-à-dire lorsque la valeur réglementaire est dépassée, mais pas la Vmax –, les collectivités font une demande de dérogation afin de continuer à distribuer cette eau non conforme et de nouveaux seuils réglementaires sont alors établis pour une durée de 3 ans, reconductible une fois.

Ces valeurs dérogatoires peuvent être plusieurs dizaines de fois supérieures aux valeurs réglementaires initiales et sont établies afin de ne pas couper l’eau à des milliers de personnes.

Les modalités d’information du public par les mairies sont décrites dans l’article D1321-104 du code de la santé publique : la mairie doit afficher les résultats du contrôle des eaux sous deux jours ouvrés suivant la date de leur réception, sauf en cas de situation d’urgence où des mesures sont prises afin d’informer les usagers dans les meilleurs délais et de proposer des solutions palliatives, comme la distribution d’eau en bouteille.

Lorsque la Vmax n’est pas encore établie par l’Anses, faute notamment de données scientifiques, des restrictions d’usage sont appliquées, ou une valeur sanitaire transitoire peut être définie par la DGS et soumise à l’avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

Le 15 juin 2022, une instruction du ministère de la Santé a déterminé une valeur sanitaire transitoire de 3µg/L suite aux recommandations du HCSP.

C’est donc cette valeur qui s’applique désormais pour la mise en place de mesures de restriction de consommation de l’eau.

Un manque de données sur les métabolites de pesticides

Toujours du point de vue réglementaire, les métabolites de pesticides présents dans l’eau potable sont classés en deux catégories, en fonction de leur dangerosité : les « pertinents » et les « non pertinents ».

Selon l’Anses, un pesticide est considéré comme pertinent pour les eaux destinées à la consommation humaine « dès lors qu’il y a lieu de considérer qu’il pourrait engendrer (lui-même ou ses produits de transformation) un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur ».

En fonction de la catégorie considérée, les valeurs limites dans l’eau potable diffèrent. Les métabolites pertinents sont soumis à la même limite de qualité de 0,1 µg/l que les pesticides, tandis que les non pertinents sont soumis à une limite de 0,9 µg/l.

Décider si un pesticide doit être classé comme « pertinent » est loin d’être aisé, car cette définition laisse une marge importante d’interprétation. À cela s’ajoute un manque de données et d’études concernant ces produits et empêchant de connaître l’impact réel de ceux-ci sur la santé.

C’est pour cette raison qu’à l’automne 2022, les métabolites du S-métolachlore avaient déjà fait parler d’eux : en réévaluant la pertinence de ces derniers, leur limite était passée à 0,9 µg/l, rendant ainsi l’eau impropre à la consommation dans certaines communes françaises de nouveau potable, sans toutefois que sa qualité ait été modifiée. Ces changements sont une source d’incompréhension chez les consommateurs et peuvent, de façon justifiée, être à l’origine de doutes sur la qualité de l’eau de leur robinet.

Quelles marges de manœuvre pour limiter la contamination ?

Une première option pour limiter la contamination de l’eau potable concerne logiquement la limitation, à la source, des intrants en cessant l’utilisation massive de pesticides. Reste toutefois la question des polluants organiques persistants, qui peuvent demeurer dans l’environnement pendant des années, voire des décennies.


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Il existe également une solution curative, qui consisterait à adapter les filières de traitement existantes. En effet, la filière conventionnelle typique, actuellement en place, ne suffit en général pas à éliminer tous les pesticides. Pour cela, une approche dite multibarrières doit être adoptée en ajoutant plusieurs traitements aux étapes classiques.

On peut citer, par exemple, la combinaison du charbon actif en poudre et de l’ultrafiltration (une technique membranaire) qui semble pertinente pour l’élimination de pesticides et de leurs métabolites.

Les membranes pourraient ainsi trouver leur place sur les filières de potabilisation. En particulier, la nanofiltration permet d’éliminer un grand nombre de pesticides, à l’instar de ce qui se fait à Mery-sur-Oise où l’unité de potabilisation intègre un procédé de nanofiltration depuis 1999. Seules les membranes conforment à l’arrêté du 22 juin 2012, qui garantit leur innocuité, peuvent être utilisées dans le cadre de la production d’eau destinée à la consommation humaine.

Vidéo explicative sur le traitement des eaux à l’usine de production d’eau potable de Méry-sur-Oise. (SEDIF, Service public de l’eau, 2022).

Quelle conduite adopter ?

Si la consommation d’eau en bouteille ne doit pas être une solution systématique à cause de son impact environnemental catastrophique, ainsi que de possibles risques sanitaires liés à la consommation de microparticules de plastiques et plastifiants, elle peut néanmoins être une solution en cas de contamination de votre réseau d’eau de distribution.

Cependant, si l’eau embouteillée est soumise à un contrôle sanitaire de la part des ARS, les mi-croplastiques et les plastifiants ne figurent pas sur la liste des paramètres recherchés…

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