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Petite histoire du spermatozoïde : la Belle au bois dormant et les missiles

On a longtemps perçu le spermatozoïde comme un preux chevalier venant réveiller la princesse endormie. Shutterstock

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Sujets sensibles, les spermatozoïdes intriguent, inquiètent ou inspirent. Produits dans les gonades mâles (les testicules), ce sont à l’origine des cellules sphériques (les spermatides), qui se transforment en cellules fuselées, propulsées par un flagelle – leur « queue ». Lors de la fécondation, l’union de deux cellules reproductrices, d’une part un spermatozoïde et d’autre part un ovocyte, rétablit la totalité du nombre de chromosomes et forme la cellule-œuf, qui se développera en embryon.

Cette fonction essentielle fait des cellules reproductrices un objet de préoccupation chez l’homme. Ce dernier surveille leur qualité et leur quantité avec la nervosité d’un conducteur, qui, l’œil sur la jauge, s’inquiéterait de ne pas arriver à bon port. Sa capacité reproductrice se voit en effet parfois affectée, lorsque des facteurs environnementaux tels que les perturbateurs endocriniens ou les métaux lourds diminuent la production ou la qualité des spermatozoïdes.

Peu surprenant donc qu’ils aient été dans l’histoire l’objet de tant de fantasmes et de métaphores. Antoni Van Leeuwenhoek, scientifique néerlandais, fut le premier à décrire la présence de spermatozoïdes dans le sperme en 1677, grâce aux améliorations qu’il fit du microscope. Ces « animaux » à mi-chemin entre le ver et l’anguille furent considérés par beaucoup comme des parasites présents dans la semence. Si le chercheur ne doutait pas de la portée biologique de sa découverte, il fallut attendre le XIXe siècle qu’Albert Kölliker – anatomiste et physiologiste suisse – montre que les spermatozoïdes n’étaient autres que des cellules produites par les testicules et que ces cellules fécondaient les ovocytes. Les spermatozoïdes y gagnèrent alors leurs premières lettres de noblesse.

Animalcules et homoncules

Animalcules. Daniel Friedman/Flickr, CC BY-NC-ND

Entre temps, les théories se sont succédé. À une époque, certains scientifiques virent même la forme d’êtres minuscules à l’intérieur de ces cellules flagellées qui se démenaient en tous sens : ce furent les homoncules (formes humaines minuscules) ou animalcules (animaux microscopiques). C’est en se fondant sur cette idée que N. Hartsoeker, biologiste et physicien néerlandais, expliqua qu’un fœtus tout entier se logeait dans la « tête » du spermatozoïde. La description d’un nouveau-né, roulé en boule, dans la tête du spermatozoïde est devenue emblématique de la théorie de la préformation. Cette théorie affirmait que les êtres se développent à partir d’une version miniature d’eux-mêmes – contenant elles-mêmes des versions miniatures de leur descendance à venir.

Le développement était alors envisagé comme une simple croissance de l’individu, l’être étant préexistant : les bras, les jambes, le torse et la tête formés étaient déjà formés dans les cellules reproductrices. Une théorie qui eut la vie dure, avec deux variantes. Les spermistes ou animalculistes estimaient que les êtres miniatures étaient présents dans les spermatozoïdes. Pour les ovistes, ils logeaient au contraire dans les ovocytes. Dans le premier cas, le rôle de l’ovocyte se cantonnait à leur fournir de la nourriture. Dans le second, l’assaut du spermatozoïde visait à le réveiller pour l’obliger à commencer sa croissance.

Exit le preux chevalier

Nous avons désormais délaissé ces théories au profit d’une approche plus constructiviste : la fécondation est aujourd’hui perçue comme le fruit d’interactions entre les cellules. L’ovocyte apparaît de moins en moins passif, n’attendant plus du spermatozoïde qu’il pourfende la couronne de cellules qui entoure l’ovocyte, afin de réveiller ce dernier – dans une analogie avec une lascive belle au bois dormant secourue par son preux chevalier.

Le spermatozoïde et l’ovocyte interagissent dans un phénomène de reconnaissance mutuelle qui déclenche plusieurs événements : un « frisson » sous la forme d’une vague de concentration élevée de calcium se propage dans tout l’ovocyte ; le cortex de l’ovocyte réagit et bloque la pénétration de tout autre spermatozoïde ; le cycle cellulaire reprend et l’ovule entreprend la fusion avec le spermatozoïde.

Balance des sexes. Daniel Friedman/Flickr, CC BY-NC-ND

Cette reconnaissance est permise par l’existence de protéines à la surface de chaque cellule. On pense notamment à Juno et Izumo, les plus célèbres. La première est essentielle à la fécondation – chez la souris, sa perte rend les ovocytes stériles. Mais elle agit de concert avec Izumo, son partenaire spermatique, dont le rôle est de faciliter la reconnaissance des deux cellules reproductrices et leur fusion.

Missiles à têtes chercheuses

S’il est à espérer que le récit chevaleresque de l’épopée des spermatozoïdes n’est plus qu’un lointain souvenir, une autre image persiste pourtant : celle qui associe la cellule reproductrice mâle au missile à tête chercheuse : les récepteurs présents dans leur membrane plasmique le rendent en effet sensible à la chaleur ou à des molécules spécifiques. À l’image du missile guidé vers sa cible, le spermatozoïde traque ces signaux qui le conduisent vers l’ovocyte.

Le système qui propulse notre missile est le flagelle. Les mouvements de ce dernier peuvent résulter de mécanismes différents. Dans le cas des bactéries – qui en sont elles aussi dotées – ils sont assurés par la rotation de moteurs moléculaires. La base du flagelle tourne sur elle-même, à l’image des hélices d’un hélicoptère.

Dans le cas des spermatozoïdes, le mouvement du flagelle est impulsé différemment : sa structure comprend des tubes microscopiques (les microtubules), qui glisser les uns contre les autres, provoquant des battements. L’amplitude, le rythme et l’orientation des battements des flagelles sont alors régulés. Dans certains cas de stérilité masculine, cette capacité de mouvement se voit altérée, entraînant un ralentissement voire une absence de propulsion des spermatozoïdes.

Des spermbots contre la stérilité

Les caractéristiques des cellules reproductrices mâles, comme leurs capacités de détection, de propulsion et de transport, continuent d’inspirer de nos jours. Désormais, c’est la nanomédecine qui s’y intéresse pour développer des systèmes hybrides de taille microscopique. Ces derniers intègrent les spermatozoïdes à des microstructures qui trouvent des applications dans le domaine de la procréation médicalement assistée ou de l’administration de médicaments. C’est par exemple le cas de micromoteurs appelés spermbots.

Un robot pour lutter contre la stérilité.

Ces mini-robots permettent par exemple aux spermatozoïdes d’exercer leurs fonctions quand leur nombre est trop petit ou qu’ils présentent de sévères défauts de mobilité : ces nanomachines peuvent être activées par un champ magnétique pour améliorer le guidage des spermatozoïdes vers l’ovocyte. À l’avenir, ils pourraient aussi conduire les médicaments dans des zones ciblées en évitant une propagation indésirable des agents pharmaceutiques dans tous les tissus de l’organisme.

Les spermatozoïdes deviendraient alors des missiles armés d’une charge pharmacologique ou médicament dans des stratégies ciblées de traitements des cancers du col de l’utérus, des ovaires ou de l’utérus.

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