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Plan « eau » : la politique des petits tuyaux fera-t-elle les grandes rivières ?

Le lac de Serre-Ponçon, dans les Alpes, où Emmanuel Macron a dévoilé son plan sur l’eau. Nicolas Tucat/AFP

Dans son discours du 30 mars 2023, le président de la République a annoncé un vaste plan d’action de 53 mesures pour organiser la sobriété des usages de l’eau à l’heure du changement climatique, lequel « va nous priver de 30 % à 40 % de l’eau disponible dans notre pays à l’horizon 2050 ».

Cette prise de parole politique était très attendue. La sécheresse de l’été 2022 a marqué les esprits avec un nombre record de départements en situation de crise. Des centaines de communes ont été confrontées à des difficultés d’approvisionnement en eau potable, tandis que les productions agricoles, interdites d’irrigation, ont accusé des baisses de rendements de 10 à 40 % selon les régions et les filières.

À ce pic de chaleur s’est ajoutée une exceptionnelle sécheresse hivernale : les précipitations, d’habitude abondantes en cette période, ont été trop faibles pour réalimenter les nappes, ce qui fait craindre un déficit de ressource avant même d’entamer la saison estivale. La conscience est désormais là que le temps de l’« eau facile », liée à un climat tempéré, est révolu et que des économies doivent être réalisées dans tous les domaines.

Le programme d’Emmanuel Macron est présenté comme une modernisation sans précédent de notre politique de l’eau. Si ces mesures ont le mérite de couvrir de très nombreux champs, se pose la question des moyens sur lesquels elles pourront s’appuyer.

Objectifs du plan et ses principales mesures

Les objectifs poursuivis diffèrent dans leur temporalité. À court terme, il s’agit, par des mesures d’urgence, d’éviter la pénurie qui menace l’été prochain. Le gouvernement choisit de reproduire sa stratégie en matière énergétique de cette année : il veut la mise en place rapide d’un dispositif d’« écowatt de l’eau » pour alerter les consommateurs sur les tensions hydriques. Des plans de sobriété sont aussi réclamés à chaque secteur économique.


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À plus long terme, le plan promet de réduire les volumes d’eau globalement prélevés de 10 % d’ici à 2030 (chiffre en-deçà des ambitions des Assises de l’eau : 25 % en 2035). Pour cela, un vaste chantier de résorption des fuites d’eau est lancé, abondé par un budget de 180 millions d’euros par an. Surtout, le plan prétend adapter un certain nombre de secteurs à la nouvelle donne climatique, par des changements plus structurels.

Un programme d’investissement est prévu pour les centrales nucléaires qui devraient, à l’avenir, fonctionner en circuit beaucoup plus fermé. L’objectif est, par ailleurs, de parvenir à 10 % de réutilisation des eaux usées traitées – soit 300 millions de m3 – d’ici à 2030, contre 1 % actuellement.

L’agriculture assez peu mise à contribution

D’un côté, aucun effort supplémentaire ne sera demandé à la production agricole en baissant à nouveau les volumes qu’elle prélève, a précisé le ministre de l’Agriculture. Qu’on le veuille ou non, sans eau, il n’y a pas d’agriculture, et sans agriculture, il n’y a pas de souveraineté alimentaire !

Il faut cependant préciser ici que la détermination de la quantité d’eau allouée aux agriculteurs n’est pas du ressort du gouvernement ; elle dépend des prescriptions des documents locaux de gestion de la ressource et du fait qu’ils prennent en compte les études hydrogéologiques actuellement menées. Il y aura donc fatalement une baisse des volumes agricoles sur la plupart des territoires.

tournesols désséchés sur un fond de ciel bleu
Des tournesols flétris en raison de la sécheresse pris en photo le 24 août 2022 dans la région de Rhône-Alpes. Olivier Chassignole/AFP

Pas de chèque en bleu sur les bassines

Mais d’un autre côté, l’agriculture va devoir être beaucoup plus sobre et résiliente.

Déjà parce que le nombre d’agriculteurs candidats à l’irrigation va augmenter avec le réchauffement du climat : il faudra donc répartir un volume restreint entre plus d’usagers. L’État demande ensuite à l’agriculture un changement de modèle pour faciliter l’infiltration et le stockage de l’eau dans les sols, ce qui passe par des terres plus riches en matière organique et des infrastructures naturelles (arbres, haies) plus conséquentes dans le paysage rural.

Sur la rétention artificielle des eaux tombées en hiver qui fait aujourd’hui polémique, la position de l’État est réaffirmée. La construction des réserves doit être parfaitement alignée sur des données scientifiques prospectives ; elle doit s’inscrire dans des projets de territoire qui incluent un partage des usages et des conditions de changements significatifs des pratiques culturales, sur la baisse des pesticides en particulier. Les « bassines » ne sont donc pas un « chèque en bleu ».

Des moyens à la hauteur de l’enjeu ?

Mais c’est bien sur les moyens déployés que les interrogations demeurent. Pour atteindre les objectifs de sobriété hydrique, des investissements colossaux dans les infrastructures seront nécessaires (rénovation des réseaux, réalisation d’ouvrages, matériel plus performant…).

De ce point de vue, l’État met d’importants moyens financiers sur la table. Les agences de l’eau verront leur budget augmenté de 500 millions d’euros par an pour accompagner des projets de restauration hydraulique. L’État débloque aussi 30 millions par an pour soutenir des pratiques agricoles économes en eau (irrigation au gouttes à gouttes, modèles d’irrigation intelligents, filières peu consommatrices…).

Cependant les aides publiques, quels que soient leurs montants, sont impuissantes à changer les comportements : d’autres dispositifs, de type normatif, sont indispensables pour inciter sinon contraindre à la sobriété. L’un d’eux, avancé par le plan, est la généralisation d’une tarification progressive de l’eau. Si nous avons en France un seul circuit de distribution de l’eau potable, tous les usages domestiques ne se valent pas.

D’où l’idée d’augmenter significativement le prix du mètre cube d’eau à partir d’un certain niveau de consommation, de confort (remplissage de piscines, arrosage de propriétés…).

Pas de loi sur les usages et le partage de l’eau

Le plan annoncé, sur de nombreux aspects, ne dit pas quels leviers normatifs il compte actionner. Les incantations risquent ainsi d’être vaines, si on ne les double pas d’obligations de résultats à atteindre, secteur par secteur. Tout ce qui a trait à la préservation de la qualité de l’eau (prévention et réduction des pollutions), à l’amélioration du stockage dans les sols et les nappes, à la restauration de la fonctionnalité des écosystèmes, suppose des règles fortes de régulation des usages.

Cela fait aussi longtemps qu’on prône, à coup de millions de subventions, le changement de modèle agricole, mais sans y parvenir. Alors que la nouvelle politique agricole commune vient tout juste d’entrer en vigueur, l’État refuse de prescrire de nouvelles mesures en la matière. Le volontariat restera le principe, l’appel à projets la modalité.

vue aérienne d’une mégabassine
Une mégabassine à Cramchaban, dans le Marais Poitevin. Water Alternatives/Flickr, CC BY-NC

En somme, il n’est pas prévu que ce grand plan accouche d’une grande loi sur l’eau (la dernière est datée de 2006). Comme si la politique de l’eau n’était affaire que de tuyaux et pas de débat politique qui arbitre des choix de société. Pourtant l’arsenal législatif, aussi complexe qu’inefficace, aurait bien besoin d’un grand nettoyage.

Réanimer la gouvernance de l’eau

L’adaptation se jouera donc vraisemblablement, à droit constant, au niveau local, par une réanimation de la gouvernance de l’eau. Tous les sous-bassins devront se doter, d’ici à 2027, d’une instance de dialogue (la commission locale de l’eau) et d’un projet de territoire organisant le partage et les priorités d’usage de la ressource : le fameux SAGE (schéma d’aménagement et de gestion des eaux).

À peine un peu plus de la moitié du territoire national est couvert par ce type de document. Ce sont aussi les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), véritable déclinaison opérationnelle des actions, qui sont appelés à devenir cruciaux.

Avec le paradoxe que c’est dans les zones où les conflits sont les plus intenses – en particulier autour des réserves – que les protocoles sont actuellement les plus ambitieux sur le papier.

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