En 2022, la sécheresse a touché 64 % du territoire européen, d’après des analyses de l’Observatoire européen de la sécheresse. À la fin du mois d’août et selon la gradation de l’alerte utilisée par l’Observatoire, 47 % de la surface était en déficit de précipitations et d’humidité du sol et 17 % montraient en outre un affaiblissement de la végétation et des cultures par manque d’eau.
Ces derniers mois, nous avons été informés de plusieurs records de sécheresse tendant à dessiner l’image d’une année tout à fait exceptionnelle. Ces records concernent les trois formes de sécheresse : pluviométrique ; agricole (avec l’humidité des sols et la souffrance de la végétation) ; et hydrologique (avec l’état des cours d’eau). Ils sont établis sur différentes durées et différentes régions, voire différentes localités.
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La rareté pluviométrique est l’indicateur de sécheresse le plus simple à considérer dans la mesure où la sécheresse agricole et la sécheresse hydrologique en sont les conséquences successives. Les sols répondent plus vite que les nappes phréatiques à l’absence de précipitations, de même que les ruisseaux se tarissent plus rapidement que les grandes rivières, ou que les prairies souffrent avant les forêts.
Il existe une sorte de résonance entre le rythme de la pluie et son utilisation par la végétation, les sols et les rivières, chacun ayant un temps caractéristique au-delà duquel la sécheresse l’affecte. Il est certain que la température joue un rôle majeur dans le devenir de l’eau dans les plantes et les sols.
L’un des 10 étés les plus secs
À l’aide de la série de 73 ans de mesures pluviométriques journalières du réseau de Météo France, nous avons calculé, jour après jour, depuis 1950 jusqu’à la fin août 2022, les cumuls des pluies antérieures sur l’ensemble de la France pour des durées de 1 à 250 semaines. Considérer cet ensemble de durées permet de balayer les différents rythmes évoqués plus haut.
Pour qualifier la rareté de la sécheresse d’une année donnée, nous retenons le plus faible cumul de chaque durée atteint pendant l’année puis nous lui associons un rang entre 1 et 73, le rang 1 étant donné à l’année du plus faible cumul. Pour chaque période nous indiquons par une couleur le mois de l’année où ce plus faible cumul a été atteint.
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On remarque ainsi sur le graphe de l’année 2022 ci-dessous que nous avons été en août au deuxième rang des cumuls de précipitations sur la durée de 7 mois (30-34 semaines) correspondant au cumul de début janvier à début août. Seule l’année 1976 avait été plus sèche sur cette durée. De même, les mois de juillet et août se situent dans les premiers rangs des cumuls sur 3 à 6 semaines.
De manière plus globale, comme les services météorologiques l’ont pointé, nous avons eu un déficit de pluie dès le mois de mai et un été de sécheresse historique, c’est-à-dire parmi les 10 étés les plus secs en France.
Catastrophe agricole et hydrologique
Sommes-nous pour autant dans une année record comme l’ont pu être les années 1976, 1990 ou même l’année 1954 ?
Une lecture rapide des graphes montre à l’évidence que non.
L’été 1976 a vu tomber tous les records de sécheresse sur 6 mois à un an. À l’été 1990, prélude à une sécheresse historique de cinq années, ce sont tous les records sur des cumuls de 1 à 2 ans qui ont été battus. L’hiver puis le printemps 1954, remarquables par leurs cumuls antérieurs records sur un et deux ans sont la cause probable des problèmes d’approvisionnement en eau potable évoqués par la presse.
Nous sommes donc en ce mois d’octobre dans une sécheresse pluviométrique que l’on peut qualifier de presque « ordinaire ». Elle place l’année 2022 dans les 10 années les plus sèches sur des durées de 3 mois à 1 an pour les 73 années de mesure. Que nous réservent l’automne et l’hiver ? Il est trop tôt pour le savoir et nos statistiques ne peuvent qu’aller vers une plus grande sévérité jusqu’à la fin de l’année, puisqu’elles sont interrompues fin août, après seulement 8 mois de mesures.
Et pourtant, il semble que les conséquences en matière de sécheresse agricole et hydrologique soient d’ores et déjà pires que celles des années record évoquées plus haut. Depuis la mi-août, l’indice d’humidité des sols a dépassé le record national absolu de sécheresse observé pendant l’été de 1976. Les incendies de forêt paraissent également l’emporter sur ceux de 1976.
Des questions et une prise de conscience
Pour avoir provoqué des retours évaporatifs bien plus importants, les températures caniculaires sensiblement plus hautes que pour les années 1976 et 1990 sont-elles seules responsables de ces conséquences ?
Quelque chose aurait-il changé dans la répartition des pluies dans le temps et l’espace qui, à volume de précipitations constant, entraînerait des humidités des sols, des écoulements fluviaux et des niveaux de nappes différents ?
Ces questions sont ouvertes, mais il semble que la situation hydroclimatique que nous vivons soit d’ores et déjà « sociologiquement » exceptionnelle. Cette sécheresse, la canicule record qui l’accompagne et leur cortège d’impacts socio-économiques, pourrait marquer la fin d’une certaine insouciance climatique.
Baptise Ainési, étudiant en géosciences à l’École normale supérieure de Paris, a contribué à la rédaction de cet article.