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Politique : une histoire de confiance ?

La première ministre Elisabeth Borne prononce son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale le 6 juillet 2022.
La première ministre Elisabeth Borne prononce son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale le 6 juillet 2022. Bertrans Guay / AFP

Dès le remaniement de son gouvernement effectué, Élisabeth Borne a annoncé qu’elle ne solliciterait pas de l’Assemblée un vote de confiance, se contentant de présenter ce mercredi une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale et le Sénat.

Elle a ainsi fait usage de l’article 50.1 de la Constitution introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et qui permet au Premier ministre de faire une déclaration devant l’une ou l’autre des Assemblées, suivie ou non d’un vote qui ne peut engager sa responsabilité politique. Confrontée à une majorité relative, la Première ministre a donc choisi de s’appuyer sur le parlementarisme négatif, qui caractérise la Ve République dans lequel la confiance est présumée.

La confiance, au cœur du régime parlementaire

Ces deux termes méritent explicitation : la confiance est LE principe du régime parlementaire. Elle unit les représentés-citoyens aux représentants et notamment les députés. Aussi, lorsque ceux-ci se dotent d’un gouvernement, ils doivent à leur tour l’investir de leur confiance, habituellement en exprimant celle-ci grâce à un vote qui peut prendre la forme d’une investiture (Italie, Portugal, Grèce, République tchèque…) ou d’une élection (Allemagne, Hongrie, Slovénie, Estonie, Finlande…).

Ce qui explique que nos voisins belges (494 jours après les élections de 2019) ou allemands (172 jours en 2017) doivent au lendemain des élections mener de longues phases de négociation avant qu’un gouvernement ne puisse se présenter devant les députés. Certains régimes parlementaires se dispensent de cette procédure et fonctionnent sur la confiance présumée comme on le voit par exemple au Danemark, sujet bien présent dans la série Borgen, une femme au pouvoir.

Dans ce cas, le Gouvernement bénéficie d’une présomption de confiance : ce n’est plus à lui d’apporter la preuve qu’il jouit bien de la confiance de l’Assemblée. C’est à celle-ci, si elle estime que cette confiance n’existe pas, de démontrer son hostilité.

Aucune disposition de la Constitution de la Ve République ne rend obligatoire l’investiture du Gouvernement, qui peut donc se contenter d’une confiance présumée. Certes, la rédaction de l’article 49 alinéa 1 est sujette à interprétation :

« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement une déclaration de politique générale ».

Il est en effet habituel que dans les textes juridiques l’indicatif vaille impératif. Le « engage » pourrait donc avoir un caractère obligatoire. D’ailleurs, Michel Debré, premier Premier ministre de la Cinquième a sollicité la confiance de l’Assemblée nationale le 15 janvier 1959, quand bien même il n’était soutenu que par une majorité relative (le vote lui a tout de même été largement favorable : 453 députés ont voté la confiance et seuls 56 l’ont refusé).

Ce n’est qu’en 1966 que le Gouvernement Pompidou est entré en fonction indépendamment de tout vote de confiance de l’Assemblée (3e gouvernement Pompidou nommé le 8 janvier 1966, puis le 4e Gouvernement Pompidou entré en fonction le 6 avril 1967. À sa suite, M. Couve de Murville nommé le 10 juillet 1968 ne sollicitera pas non plus la confiance de l’Assemblée). Il s’agissait pour le Premier ministre de démontrer que dorénavant le Président de la République était la source de l’équilibre institutionnel et que sa confiance, manifestée par les décrets de nomination du Gouvernement et de son chef, était suffisante à légitimer son action.

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Une obligation relative

Si à l’époque l’Assemblée nationale avait adopté une motion de censure démontrant au Gouvernement que son interprétation de la Constitution était incorrecte, le droit constitutionnel aurait retenu que la procédure du vote de confiance était obligatoire. En effet, les arguments tirés de l’exégèse du texte, en faveur du caractère facultatif ou obligatoire de la procédure, se neutralisent.

Pour les premiers, l’absence de délai rend l’obligation toute relative, le Premier ministre pouvant repousser l’engagement initial de sa responsabilité tant et si bien qu’il ne l’ait finalement pas engagé avant de quitter ses fonctions. D’autres font remarquer que la Constitution sait utiliser le verbe « devoir » quand elle doit expliciter une obligation. Comme dans l’article 50 qui tire les conséquences d’un vote négatif lors de l’engagement de responsabilité :

« Le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission de son gouvernement ».

À quoi il est répondu que la Constitution sait également insister sur le caractère facultatif des procédures, l’article 49 alinéa 3 prévoyant que le Premier ministre « peut… engager » ou l’article 49 alinéa 4 indiquant qu’il « a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale ».

Faute de cela, la recherche de l’expression initiale de la confiance est depuis devenue facultative et c’est à l’opposition de renverser la présomption en adoptant une motion de censure. Toutefois, les procédures ne sont pas équivalentes.

On remarque en effet que l’article 49 alinéa 1 ne fait mention d’aucune majorité nécessaire à accorder où refuser la confiance. Or il ne peut exister en droit de majorité absolue sans texte. La confiance de l’article 49 alinéa 1 est donc accordée ou refusée à la majorité relative : c’est l’option (oui/non) qui a remporté le plus de voix qui remporte le suffrage.

De manière caricaturale, si 100 députés seulement sont présents et que cinquante-et-un votent contre le Gouvernement alors que 50 ont décidé de le soutenir, ce dernier est mis en minorité. La confiance, élément fondamental du régime parlementaire, n’est pas accordée et le Gouvernement doit démissionner.

La motion de censure en question

L’encadrement de la motion de censure est moins favorable aux parlementaires puisque pour être adoptée, la censure doit recueillir le soutien de la majorité absolue des membres, soit 289 voix favorables. Dans ce cas, seuls les votes favorables à la motion de censure sont recensés, les abstentions sont ainsi réputées favorables au Gouvernement.

L’adoption d’une motion de censure est donc devenue quasi illusoire, ce qui explique qu’une seule ait été adopté sous la Ve République, en 1962, lorsque le général de Gaulle opéra un « contournement de la Constitution » afin de permettre l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Certes, dans le cadre d’un gouvernement soutenu par une majorité relative, mathématiquement, si toutes les oppositions se coalisent, elles détiennent plus que la majorité absolue des sièges. Toutefois et même dans le contexte actuel où l’Assemblée compte 10 groupes, chacun cherche à défendre son identité et sauf événement imprévu, il semble difficile de croire que l’opposition républicaine joigne ses voix à une motion de censure du Rassemblement national, ou que l’opposition de droite joigne les siennes à une motion de censure de la gauche.

La motion de censure déposée dans la foulée de la déclaration politique de la Première ministre a donc peu de chance de recueillir les 289 voix nécessaires, les quatre groupes de la Nupes ne détenant que 151 sièges, soit bien moins que la majorité absolue exigée par l’article 49 alinéa 2.

Paradoxalement, en cherchant à affirmer son leadership sur l’opposition de gauche, LFI, qui a initié cette motion de censure, joue le jeu du régime parlementaire négatif. Certes, le Gouvernement n’aura pas obtenu expressément la confiance, mais l’Assemblée aura démontré son incapacité à lui exprimer sa défiance. L’échec de la motion de censure va ainsi, quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la Ve République depuis 1991.

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