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Un homme se prend en photo dans une tribune vide.
Rivé sur l’écran, le public connecté semble « seul avec du monde autour ». Franck Fife/AFP

Pourquoi aller au stade si c’est pour passer son temps sur son smartphone ?

Le 7 février 2023, en inscrivant à 38 ans le 38 888e de sa carrière, le basketteur LeBron James devient le meilleur marqueur de l’histoire de la NBA, la ligue d’élite américaine. Le précédent record détenu par Kareem Abdul-Jabbar aura tenu presque 40 ans. Le moment historique a été capturé par le photographe Andrew D. Bernstein. Au second plan, les fans vivent l’instant par l’intermédiation de l’écran de leur smartphone faisant barrière entre leur visage et le fait historique.

S’ils donnent le sentiment de ne savoir apprécier authentiquement le moment présent, c’est que tout se passe comme s’ils contrevenaient à ce qu’on attend d’eux dans le cadre d’un spectacle sportif. Le mot spectacle tire son étymologie du latin spectare, qui signifie en effet en latin regarder avec attention. Le spectacle serait donc fait pour retenir l’attention. Le smartphone devient alors un outil de diversion. Accaparé par son écran, le fan manquerait à ce qu’on attend de lui : regarder le terrain et encourager son équipe.

« F*ck wifi »

Depuis une décennie, les critiques se sont ainsi multipliées contre les spectateurs accros à l’écran. En 2014, des supporters du PSV Eindhoven, club de football des Pays-Bas, avaient déployé une banderole sans équivoque : « F*ck wifi, support the team ». Ils envisageaient l’émergence de la technologie dans les tribunes comme une nouvelle expression de la gentrification du public de stades.

Des supporters du club de football néerlandais du PSV Eindhoven déploient une banderole « F*ck wifi, support the team » (PSV Support, 2014).

En France, un supporter niçois militait en 2017 pour une tribune sans selfie, estimant que cela nuisait à l’ambiance. Aux États-Unis la même année, des étudiantes se sont vues moquées par les commentateurs d’un match de baseball pour avoir pris des selfies alors que le public était appelé à participer aux encouragements.

Des commentateurs se moquent de spectatrices rivées sur leurs téléphones lors d’un match de baseball (MLB, 2015).

Le repli sur son smartphone semble en effet aller à l’encontre de la célébration collective qu’on attend d’un évènement sportif. Rivé à l’écran du smartphone, le public connecté serait « seul avec du monde autour ».

Regarder Netflix au Super Bowl

Pourtant, cinq attributs de l’évènement sportif favorisent le recours au smartphone :

  • Les émotions ressenties ne valent que parce qu’elles sont partagées, ce que permettent les réseaux sociaux.

  • Unique et éphémère, le match invite à en faire l’expérience du souvenir. Par ses stories, on apporte donc la preuve « j’y suis/j’y étais ».

  • L’évènement sportif n’a d’intérêt que s’il est vu dans l’instant présent. Or, les médias sociaux sont des outils de l’instantanéité.

  • Le smartphone permet de partager en direct un contenu lié à un évènement à ceux qui n’ont pas pu/voulu y assister.

  • Il est créateur de données et permet aux spectateurs d’obtenir une couche de réalité augmentée directement sur leur smartphone comme lors de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022 avec l’application FIFA+.

Ainsi, depuis l’apparition de l’iPhone en 2007 et le développement dans la foulée de « stades connectés » aux États-Unis, le comportement des fans dans les enceintes sportives s’est considérablement transformé et le smartphone figure bien au cœur de ce bouleversement.


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Il est possible de prendre la mesure de ces usages grâce aux données partagées occasionnellement par des opérateurs. Par exemple, la 57e édition du Super Bowl, la grande finale du championnat de football américain qui s’est déroulée début 2023, détient le record de données consommées sur le wifi d’un stade avec 31,5 téraoctets. C’est l’équivalent de 700 000 heures de musique sur une plate-forme de streaming. Le pic d’utilisation a eu lieu au moment de l’entrée des deux équipes sur le terrain. Pendant le show de Rihanna à la mi-temps, l’utilisation de la bande passante a augmenté de 450 %.

Par ailleurs, Facebook a été le média social le plus utilisé devant Instagram, Twitter, Snapchat et Reddit. Mais les personnes dans le stade semblent combler les moments d’attente par des services de streaming (Apple, YouTube, Disney ou Netflix). Ils sont par ailleurs nombreux à consulter Ring, une application de surveillance de son foyer.

Public du Super Bowl 2023
Lors du dernier Super Bowl, 31,5 téraoctets de données ont été consommés, soit l’équivalent de 700 000 heures de musique sur une plate-forme de streaming. Angela Weiss/AFP

Dans un article académique publié en 2020, des chercheurs ont essayé de comprendre comment 400 abonnés d’une franchise NBA consultaient leurs smartphones pendant un match. L’usage des médias sociaux reste globalement répandu (29 % des abonnés consultent au moins une fois Twitter et Facebook, 27 % consultent au moins une fois Instagram et Snapchat), même s’ils sont 53 % à relever au moins une fois leurs e-mails !

Selon les auteurs :

« Les abonnés utilisent les médias sociaux pour partager de l’information et en obtenir au sujet du match avec leurs amis sur Instagram et Snapchat. Ce faisant, ils satisfont leur besoin d’interaction sociale, d’expression d’une opinion et de partage d’information. »

« Sans connectivité, nous allons perdre les millennials »

Les stades connectés doivent également permettre de convaincre un nouveau public plus jeune et plus familial d’assister à des rencontres sportives, y compris en Europe. En 2017, Javier Tebas, le président de la Liga espagnole de football expliquait ainsi :

« S’il n’y a pas de connectivité dans les stades, nous allons perdre des spectateurs comme les « millennials » qui ont besoin d’un double écran. [Or], il y a deux publics que nous voulons toucher : les femmes, qui sont pour l’instant un marché de niche, et les nouvelles générations, pour qui la connectivité est très importante. »

Ces usages étant de plus en plus ancrés, les promoteurs de spectacle sportif y voient également depuis des années une opportunité pour lutter contre la concurrence de la télévision. Roger Goodell, le commissaire de la NFL,

« L’expérience du téléspectateur à la maison est exceptionnelle, et c’est dorénavant une concurrence que nous devons surmontant en nous assurant de créer le même genre d’environnement dans nos stades en permettant l’accès à la même technologie. Nous voulons nous assurer que nos fans, lorsqu’ils viennent dans les stades, n’ont pas à éteindre leur téléphone. »

Un (faux) corbeau géant à Baltimore

Au-delà des possibilités de partage, le smartphone intègre aussi le spectacle. En effet, des start-up conçoivent des chorégraphies lumineuses grâce à la lumière du téléphone ou animent le stade par la réalité augmentée, à l’image du corbeau géant (virtuel) qui survole la pelouse de la franchise de football américain des Ravens de Baltimore.

La franchise des Baltimore Ravens propose une expérience de réalité virtuelle à ses fans (en anglais).

Soucieux de satisfaire les aspirations digitales des publics, les exploitants de stade intègrent donc les innovations technologiques successives – plutôt que de freiner les usages. En France, l’Orange Vélodrome de Marseille est devenu en 2019 le premier stade européen à intégrer la 5G et à mettre en place un programme d’accompagnement de start-up pour repenser l’expérience du fan.

Aux États-Unis en 2020, le géant du numérique Microsoft s’est engagé auprès de la NBA à créer, selon Chris Benyarko, vice-président exécutif de la ligue :

« Une nouvelle plate-forme qui rassemble toutes les choses qui composent la vie d’un fan de la NBA – qu’il s’agisse de regarder des matchs, d’acheter un billet, de participer à des ligues Fantasy ou d’acheter des produits. L’un de nos principaux domaines d’intérêt sera d’innover et de repenser la façon dont nous présentons les matchs. L’objectif principal reste de tirer parti de la technologie au mieux pour approfondir ces expériences et les rendre plus attrayantes. »

Le concurrent de Microsoft, Apple, vient lui de lancer début 2023 un casque de réalité mixte qui pourrait modifier la façon dont on regarde du sport. La question n’est donc plus tant de savoir s’il faut ou non sortir son smartphone au stade mais quel appareil pourrait à terme le remplacer – voire de permettre de « vivre » une expérience au stade sans avoir à se déplacer.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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