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Pourquoi il faut juger les talibans pour les atrocités du passé

Homme enturbané tenant un fusil M4 devant un mur.
Un combattant taliban observe le bord de la route dans le village de Dashtan, dans la province de Balkh le 28 octobre 2021. Wakil Kohsar/AFP

En août 2021, après la prise de pouvoir éclair des talibans en Afghanistan, leurs combattants ont exécuté 13 personnes de la minorité hazara dans la province de Daikundi, où je suis née. Amnesty International a déclaré que ces exécutions extrajudiciaires s’apparentent à « des crimes de guerre ».

Ce n’est là qu’un exemple de la cruauté des talibans. Ces derniers mois, 20 autres civils auraient été massacrés dans la vallée du Panjshir, des agriculteurs hazaras auraient été chassés de leurs terres et les journalistes sont arrêtés et persécutés dans tout le pays.


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Depuis leur première arrivée au pouvoir en 1996, les talibans ont bénéficié d’une impunité quasi totale pour ces crimes. Cette impunité passée leur a permis de continuer à commettre des atrocités sans crainte de poursuites, de sanctions ou de toute autre forme de responsabilité.

Cela a de graves conséquences pour l’avenir de l’Afghanistan.

Les crimes des talibans

Les talibans sont bien connus pour les graves violations des droits humains qu’ils ont commises entre 1996 et 2001. Il s’agit notamment de massacres de civils, d’incendies de villages et de vergers, de torture de détenus et de déplacement forcé de civils.

Parmi ces exactions, l’une des pires eut lieu en 1998, dans la ville de Mazar i-Sharif, dans le nord de l’Afghanistan. 2 000 civils y furent abattus lorsque les talibans ont pris la ville, les minorités ethniques hazara, tadjik et ouzbek étant particulièrement visées.

De janvier à novembre 2001, les talibans ont perpétré plusieurs massacres dans la province de Bamyan. 178 civils furent tués en une seule journée dans la ville de Yakawlang.

Des combattants devant le site où se trouvait la statue du Bouddha Shahmama avant qu’elle ne soit détruite par les talibans en mars 2001
Des combattants devant le site où se trouvait la statue du Bouddha Shahmama avant qu’elle ne soit détruite par les talibans en mars 2001. Bulent Kilic/AFP

Après l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis en novembre 2001 et le renversement des talibans, le pays s’est enfoncé dans une guerre asymétrique, durant laquelle le groupe a continué à commettre des crimes.

Au cours de cette période, les talibans ont continué à tuer des civils, à pratiquer l’enlèvement et la séquestration, à attaquer le personnel humanitaire et à détruire des sites protégés, comme des mosquées, des lieux de culte et des hôpitaux. Ils ont également conscrit et enrôlé des enfants de moins de 15 ans, les forçant à participer aux combats.

Un système judiciaire effondré

Malgré le vif désir de justice exprimé par les victimes des crimes commis par les talibans, aucun mécanisme de détermination des responsabilités n’a été adopté, que ce soit en Afghanistan ou au niveau international, pour répondre à ces atrocités.

Depuis 2001, le système judiciaire afghan est généralement considéré comme une institution effondrée, caractérisée par un manque de ressources, l’inexistence de dispositions légales adéquates et une corruption généralisée. Par ailleurs, les lois d’amnistie ont protégé les auteurs de crimes de guerre, tandis qu’un manque d’impartialité a entaché les procédures pénales qui ont eu lieu. Dans le même temps, les systèmes de justice informels ont proliféré dans tout le pays.

De même, le gouvernement afghan ne faisait preuve que d’une volonté politique très limitée pour poursuivre les talibans lorsqu’ils n’étaient pas au pouvoir, les justifications de paix et de sécurité étant invoquées pour éviter les poursuites.

Enfin, dans le cadre de l’accord conclu entre l’administration Trump et les talibans en février 2020, 5 000 membres talibans ont été libérés, parmi lesquels environ 400 étaient liés à des crimes majeurs.

Le rôle de la CPI

Comme il y a peu d’espoir que justice soit rendue sous le régime taliban en Afghanistan, c’est à la communauté internationale qu’il revient de mener ces batailles juridiques.

La Cour pénale internationale (CPI) examine la situation en Afghanistan depuis 2007, et son procureur a demandé en 2017 l’autorisation d’enquêter sur les crimes commis dans le pays par les talibans, les forces gouvernementales afghanes et les forces étrangères depuis 2003.

La Cour pénale internationale à La Haye, Pays-Bas
La CPI pourrait faire face à un certain nombre de limites dans ce qu’elle peut faire pour juger les talibans pour leurs crimes. Robert Paul Van Beets/Shutterstock

Pourtant, il n’est pas réaliste d’espérer que la CPI – qui est fortement tributaire de la coopération des États membres pour l’émission de mandats d’arrêt, la collecte de preuves et d’informations et l’exécution des jugements – puisse juger et condamner les talibans à elle seule. Il convient par ailleurs de rappeler que les États-Unis, l’acteur international le plus important en Afghanistan depuis des décennies, ne sont pas membres de la CPI.

Le cas du Soudan montre bien combien il peut être difficile de rendre justice pour la CPI. Bien qu’elle ait émis deux mandats d’arrêt à l’encontre de l’ancien président Omar Al-Bashir pour des allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide, elle n’a pas encore été en mesure de le juger, en raison d’années de non-coopération entre États, rendant impossible son arrestation. Ce n’est qu’en 2020 que le gouvernement de transition du Soudan a accepté de coopérer avec la CPI.

Justice alternative

En dehors des tribunaux internationaux, les membres de la communauté internationale, y compris les gouvernements nationaux, les ONG, les communautés universitaires et les personnes militant pour les droits humains, peuvent travailler ensemble pour demander des comptes sur les crimes commis par les talibans. Cela pourrait inclure des mesures telles que l’établissement d’une commission de vérité et de réconciliation, ou l’utilisation de procédures coutumières pour faire entendre la voix des victimes sur les crimes passés.

Dans le cadre d’une telle approche, il est important de tenir compte des expériences de pays comme l’Afrique du Sud, l’Ouganda, le Kosovo, la Sierra Leone ou le Timor-Leste dans la recherche de solutions de justice alternatives. En même temps, la complexité du contexte politique, social et culturel de l’Afghanistan ne doit pas être ignorée.

Mettre les auteurs d’injustices passées face à leurs responsabilités est essentiel pour éviter de futures atrocités. En accordant jusqu’à présent une immunité permanente aux talibans, on envoie le message qu’ils peuvent continuer à commettre les crimes les plus effroyables sans crainte de poursuites.

This article was originally published in English

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