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Pourquoi la poste américaine est-elle devenue un enjeu de la présidentielle ?

Rassemblement devant un bureau de poste pour protester contre la gestion du système postal américain par l'administration Trump, le 22 août 2020 à Los Angeles. Rich Fury/Getty Images North America/Getty Images via AFP

Bien que minoritaire, le vote par correspondance n’est pas nouveau aux États-Unis, et il est en constante augmentation depuis 25 ans : si 7,8 % seulement des électeurs ont envoyé leur bulletin par voie postale lors de la présidentielle de 1996, ils ont été un peu plus de 20 % à le faire durant celle de 2020.

Ce qui est nouveau en vue des élections du 3 novembre 2020, c’est la perspective que cette méthode de vote se généralise en pleine crise de coronavirus. Or si, constitutionnellement, chacun des États fédérés organise l’élection sur son territoire, c’est un service fédéral, le département des Postes (The United States Postal Service, USPS), qui est chargé d’acheminer les bulletins par correspondance.

La réorganisation de ce service public, dont le but officiel est de le rendre bénéficiaire, suscite actuellement une polémique majeure, les adversaires de Donald Trump soupçonnant le président de vouloir « détruire l’USPS » afin de restreindre considérablement le recours au vote par correspondance lequel, selon Trump, avantagerait son adversaire Joe Biden.

Un vote par correspondance populaire mais politisé

Selon un récent sondage paru dans le Washington Post, une majorité (58 %) des électeurs américains sont favorables à l’extension du vote par correspondance cette année.

Mais, comme sur beaucoup de sujets, les Américains sont idéologiquement divisés, même sur cette question à première vue purement technique : 90 % des démocrates estiment que c’est une bonne idée contre seulement 20 % des républicains. Ce fossé s’explique en partie par la politisation de la pandémie : en juillet 2020, seule une minorité de républicains (46 %) considéraient la Covid-19 comme une menace majeure pour la santé publique, contre 85 % des démocrates.

Perception du danger que représente la Covid-19 par les démocrates et les républicains. Pew Research Center

Il n’est donc pas étonnant que les démocrates se montrent plus inquiets que les républicains à l’idée de se déplacer dans les bureaux de vote pour voter en personne.

L’extension inéluctable du vote par correspondance

D’ores et déjà, cinq États organisent des élections presque entièrement par correspondance. De plus, les trente-quatre États, ainsi que le District de Columbia, qui autorisaient déjà tout le monde à voter par correspondance, sous certaines conditions, vont faciliter la procédure. Et de nombreux autres vont envoyer à chaque électeur inscrit un formulaire de demande de vote par correspondance.

Selon les calculs du Washington Post, plus de 80 % des électeurs américains pourraient potentiellement voter par correspondance à l’automne.

Même les États dirigés par des républicains ont favorisé le vote par correspondance, dans l’intérêt de leurs électeurs âgés ou résidant dans des zones plus rurales.

La stratégie républicaine : limiter l’accès des minorités au vote

Comme l’a encore récemment montré une étude de l’université de Stanford, le vote par correspondance n’avantage pas, en soi, un parti plutôt qu’un autre. Mais il permet une légère augmentation de la participation électorale, notamment celle des minorités, ce qui est perçu par les républicains comme une menace existentielle.

Cela met en effet en péril la stratégie républicaine consistant à limiter l’accès au vote des minorités, qui sont majoritairement démocrates. Une stratégie qu’a facilitée en 2013 l’invalidation par la Cour suprême d’une partie de la loi sur le droit de vote de 1965. Quatorze États ont ainsi pu mettre en place de nouvelles restrictions de vote lors des élections de 2016, y compris des États charnières comme la Virginie et le Wisconsin. Cette tactique a été récemment dénoncée par l’ancien président Barack Obama dans le discours qu’il a prononcé lors des funérailles du représentant et activiste civique John Lewis :

« Nous, les Africains-Américains, n’aurons peut-être plus à deviner le nombre de bonbons haricots dans un pot pour pouvoir voter. Mais alors même que nous sommes assis ici, il y a ceux qui sont au pouvoir et font tout leur possible pour décourager les gens de voter – en fermant les bureaux de vote, en ciblant les minorités et les étudiants avec des lois restrictives sur les pièces d’identité, et en attaquant nos droits de vote avec une précision chirurgicale, voire en sapant le service postal à l’approche d’une élection dont l’issue va dépendre des bulletins de vote envoyés par la poste pour que les gens ne tombent pas malades. »

Discours de Barack Obama lors des funérailles de John Lewis.

Des accusations de fraude sans preuve

Le coronavirus représente donc une double menace pour Donald Trump puisque le président se trouve également au plus bas dans les sondages, notamment du fait des reproches qui lui sont adressés pour sa gestion de l’épidémie.

Sondage – Août 2020. FiveThiryEight

Sa stratégie, dès lors, est de semer la confusion, y compris sur la légitimité des élections et d’un résultat qui pourrait lui être défavorable. Il est d’ailleurs le premier président américain à laisser planer le doute quant à son acceptation des résultats, en affirmant que le vote par correspondance allait truquer les élections et conduire à une fraude généralisée.

Il prétend ainsi que des millions de bulletins sont manquants ou falsifiés et que d’autres sont envoyés aux mauvaises personnes, voire à des électeurs décédés, quand ce n’est pas à leurs chiens ou à leurs chats. Des affirmations sans preuve qu’il répète à l’envi depuis début avril, pourtant largement démontrées comme fausses (ici et ici ou ici).

Une prédiction auto-réalisatrice

D’après les démocrates, Donald Trump cherche à réaliser sa prédiction de chaos électoral en empêchant le bon fonctionnement de la Poste qui livre les bulletins. C’est ce que semble dire le président lui-même :

« Les démocrates veulent 25 milliards pour la Poste. Ils ont besoin de cet argent pour faire fonctionner la poste afin qu’elle puisse recevoir tous ces millions et millions de bulletins de vote. Or, en attendant, ils n’y arrivent pas. […] Mais s’ils ne reçoivent pas les 25 milliards, cela signifie que vous ne pouvez pas avoir le vote par correspondance universel parce qu’ils ne sont pas équipés pour l’avoir. »

À ce genre de discours s’ajoute la nomination, en mai, de Louis DeJoy, un important donateur de Donald Trump sans aucune expérience dans le domaine postal, à la fonction de directeur général des Postes. Rapidement, DeJoy réorganise les services de la poste, au prétexte de résoudre de graves problèmes financiers, avec pour résultat la dégradation du service de distribution du courrier et une lettre des services postaux avertissant 46 États que leurs électeurs pourraient être privés de leur droit de vote en raison du retard des bulletins de vote par correspondance.

La destruction des services publics

L’ancien bâtiment central de la poste centrale de Washington, DC, est aujourd’hui un hôtel appartenant à Donald Trump. Mike Peel/Wikimedia, CC BY-NC-SA

Les critiques de Donald Trump envers la Poste ne datent pas d’hier. Mais elles se sont intensifiées en 2017 en raison de l’accord de tarification passé entre le service postal et Amazon dont le PDG, Jeff Bezos, est la bête noire du président parce qu’il est propriétaire du Washington Post, un journal dont le locataire de la Maison Blanche estime qu’il est profondément injuste à son égard.

Au-delà des objectifs électoraux à court terme, cette réorganisation est révélatrice de la vision républicaine de l’agence, qui doit être un business qui rapporte davantage qu’une institution qui fournit un service universel.

Rien de surprenant donc à ce que son nouveau directeur ait des investissements dans des entreprises concurrentes et sous-traitantes de la Poste. Il n’est d’ailleurs pas le seul donateur du candidat Trump à être devenu membre de l’administration et accusé de conflits d’intérêts, en violation de la loi fédérale. Pour l’historien conservateur Max Boot, Trump a mis en place une véritable entreprise de déconstruction de « l’État administratif » fédéral, agence par agence. C’est la destruction de ce soi-disant « État profond » tel qu’en avait rêvé l’ancien stratège de Trump, Steve Bannon.

Un pari risqué ?

Mais c’est un jeu dangereux qui pourrait se retourner contre le président sortant. La poste est en effet l’agence fédérale la plus populaire : elle fournit un service important pour son propre électorat situé dans les zones rurales, mais aussi parmi les personnes âgées et les anciens combattants. Sous la pression publique, Louis DeJoy a donc suspendu ses réformes et a dû s’expliquer devant le Sénat.

Le ministre des Postes Louis DeJoy lors de son audition devant la Commission de contrôle et de réforme de la Chambre des Représentants le 24 août 2020 à Washington, DC. AFP

Pourtant, Donald Trump pourrait réussir un autre pari. Celui d’installer un doute qui lui profitera et qu’il saura exploiter si, comme c’est probable, les résultats définitifs ne tombent pas le soir des élections, et que le « jour d’après » se transforme en « semaines d’après ».

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