Menu Close
Quête de soi, désaffiliation sociale, besoin d'engagement : les raisons de l'adhésion au salafisme sont multiples. Matthew Perry/Unsplash, CC BY-NC-ND

Pourquoi le salafisme attire-t-il certains jeunes ?

Samedi 2 décembre 2023, un terroriste armé d’un couteau a tué un touriste allemand et blessé deux autres personnes. Quelques semaines après l’attentat à Arras qui a coûté la vie au professeur Dominique Bernard, cet événement interroge à nouveau le processus de radicalisation qui touche certains jeunes.

Il souligne l’urgence de comprendre l’influence grandissante du salafisme en France, courant souvent au cœur des processus de radicalisation, et les ressorts de l’adhésion à cette mouvance religieuse.

Si l’on s’en tient aux résultats de nos récentes recherches, ce sont les jeunes adultes dont les repères sociaux et professionnels ne sont pas encore bien établis, voire incertains, qui sont attirés par le salafisme. Et c’est pour recouvrer une stabilité identitaire qu’ils empruntent parfois le chemin de l’extrémisme. Mais alors, de quoi le salafisme est-il le nom ?

Les salafistes, en général, cherchent à revenir aux pratiques et aux croyances des pieux « ancêtres » – désignant les générations fondatrices de l’islam appelés Al Salaf Al Sâlih, considérés comme les plus authentiques. Il existerait trois formes principales de salafisme :

  • Le salafisme quiétiste, majoritaire, prône l’ascétisme, la retraite spirituelle et l’abstention de l’engagement politique

  • Le salafisme politique aspire à établir un État islamique fondé sur la charia (loi islamique)

  • Le salafisme djihadiste, très minoritaire, considère la violence terroriste comme un moyen légitime pour imposer sa vision de l’islam.

Ainsi, toutes les personnes se revendiquant du salafisme sont très rarement impliquées dans des activités violentes. Cependant, certains aspects mis en avant par cette mouvance tel que le principe d’Al-wala’ wal-bara (« allégeance et désaveu ») ont pour effet d’encourager la distance sociale voire le séparatisme. Un séparatisme pouvant prendre la forme d’une désempathie ou d’une déshumanisation des autres.

Pourquoi le salafisme « fait sens » pour certains jeunes ?

L’enquête que nous avons menée en 2019 dans le cadre d’une recherche en sociologie permet de comprendre pourquoi le salafisme attire certains jeunes. À ce sujet, trois dimensions ont été révélées par nos observations :

  • une quête identitaire

  • une vision du monde structurée et un mode de vie clair

  • une volonté de se démarquer et de se sentir appartenir à une communauté

Autrement dit, l’attraction pour le salafisme trouve son origine dans sa capacité à proposer un modèle social alternatif. En fournissant des repères moraux et existentiels ; il constituerait une réponse à la crise d’identité et de valeurs éprouvée par ces jeunes en quête de sens. En offrant une alternative radicale à une culture dominante sécularisée, mue par l’individualisme, le salafisme s’apparente, pour certains, à un sanctuaire psychique. Les propos du jeune Othmâne, l’un de nos enquêtés, sont à cet égard éloquents :

« J’ai trouvé dans l’Islam ce que je ne trouvais pas dans les autres religions… Une communauté d’accueil, une communauté chaleureuse et disponible pour moi, des frères qui me guident et me conseillent dans ce que je veux faire… C’est dans cette chaleur humaine que mon vide a été comblé et que ma vie a totalement changé Hamdoulillah (Dieu merci). »

Le salafisme semble séduire en premier lieu parce qu’il offre l’occasion d’un ancrage existentiel pour ces jeunes dont l’identité n’est pas encore bien établie. Ensuite, en procurant un sentiment d’appartenance et de communauté, il constitue un bouclier contre une société perçue et vécue comme méprisante. En d’autres termes, cette mouvance religieuse offre l’occasion d’une appartenance à une communauté de valeurs et de pratiques. Elle nourrit un sentiment de cohésion et, par ricochet, de sécurité psychique. Ces jeunes trouvent donc dans cette voie un refuge contre le sentiment d’exclusion, d’assignation à résidence identitaire et géographique.


Read more: Terrorisme : ces individus instables qui se dopent aveuglement à la foi idéologique


Précisons aussi que les réseaux sociaux et la propagande en ligne jouent un rôle non négligeable dans ce processus d’adhésion : les jeunes y trouvent un soutien et une validation de leurs croyances. À noter également que la frustration face aux difficultés économiques, aux discriminations ou à l’absence d’opportunités peut conduire certains à rechercher dans le salafisme un espace de rébellion. Comme on peut le voir, les jeunes les plus vulnérables constituent des proies faciles.

Proposer un contre-horizon

En explorant la question de la perte de sens, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa offre un perspective précieuse pour appréhender les questions existentielles dans les sociétés modernes.

Dans son ouvrage Remèdes à l’accélération, il montre comment la vie moderne se caractérise par une accélération constante qui impacte tous les aspects de l’existence. Ces changements, de plus en plus rapides, affectent en premier lieu la relation à soi, à son bien-être et, plus largement, aux autres.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Dans cet ouvrage, Rosa interroge les notions d’autonomie, de progrès, le rapport au temps et, surtout, la notion de résonance comme une forme de relation au monde susceptible de se prémunir des écueils du phénomène d’accélération. Selon le sociologue, la résonance se produit lorsque les individus établissent des connexions significatives avec leur environnement humain, physique et – point important ici – transcendantal.

Par ailleurs, pour donner à voir les alternatives à la modernité, l’auteur distingue trois types de sujets : les surfeurs, les dériveurs et celui qui cherche un ancrage existentiel. Et c’est précisément de ce dernier groupe que peuvent émerger les comportements terroristes.

  • Le surfeur est celui qui saute de vague en vague, essayant de déchiffrer et maîtriser les éléments sans y parvenir. Tout comme Sisyphe, il est condamné à la répétition et donc à ne jamais accéder au repos et au bien-être.

  • Le dériveur, quant à lui, balloté de toute part, navigue sans amer dans un océan dépourvu de havres de paix. Ce faisant, il est condamné à l’errance.

  • En contraste du surfeur et du dériveur, le troisième type de sujet est celui qui, en quête de stabilité, pour échapper à l’accélération, cherche à jeter l’ancre pour se (re)poser.

C’est alors que les groupes terroristes (au sens large) apparaissent comme des rives stables et sécurisantes pour ces jeunes en quête d’existence.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now