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Un homme portant le sarrau observe une femme, bras levé et main sur l'épaule
Les personnes souffrant de douleurs chroniques et inexpliquées sont souvent considérées comme des personnes qui se plaignent. Or, il peut être très difficile de bien diagnostiquer ce type de problèmes. Shutterstock

Pourquoi les maladies liées au stress sont-elles si difficiles à diagnostiquer et comment y pallier

Depuis au moins 30 ans, les chercheurs recueillent des preuves qui confirment que les maladies chroniques poussent le corps à s’adapter constamment afin de retrouver son équilibre physiologique. Ce processus est appelé charge allostatique et provoque une cascade d’événements métaboliques toxiques qui exposent le corps à une forme d’usure.

Ainsi, la charge allostatique rend les personnes vulnérables à divers types de problèmes cardiaques, gastro-intestinaux, endocrinologiques, immunologiques, neurologiques, métaboliques et psychiatriques.

Des études montrent que le stress psychologique et économique a des répercussions sur la santé. Cependant, les médecins et les intervenants du système de santé ne détiennent ni les outils ni les méthodes nécessaires pour intégrer ces facteurs sociaux et économiques dans leurs diagnostics et leurs soins préventifs.

À titre d’exemple, j’ai récemment appelé ma médecin pour lui parler de mystérieuses nouvelles douleurs. L’enquête et la prise de notes qui ont suivi auraient été d’une grande aide si je souffrais d’une infection ou d’une blessure particulière ou si mes résultats sanguins présentaient des anomalies. Or, mes symptômes sont apparus lentement et augmentaient en fréquence quand je vivais du stress lié à la Covid-19 et à mon travail.

Plus ma médecin me posait de questions pour savoir comment, où et quand ma douleur avait commencé, plus je me sentais coupable d’avoir une maladie indéfinissable. Quand j’ai voulu faire une blague en disant que tout ce dont j’avais besoin, c’était de passer un mois dans les Alpes avec Freud, elle m’a suggéré des antidépresseurs. « En effet, tout ceci est peut-être psychosomatique », ai-je reconnu non sans une certaine autodérision.

La stigmatisation des douleurs inexpliquées

Beaucoup trop de gens vivent de telles expériences. Les préjugés et les partis pris implicites contre les gens qui souffrent de douleurs chroniques et inexpliquées (plaignards, faux malades, dépendants aux médicaments) sont profondément ancrés. Ces discriminations sont fondées sur le genre. Elles sont aussi fondées sur la race.

Il est bien connu que le stress et les disparités sociales et économiques rendent les gens malades, mais les médecins n’ont pas les outils nécessaires pour traiter ces causes pathologiques. Au mieux, ils pourront suggérer, en plus des médicaments, d’entreprendre une psychothérapie, ce qui demeure un service inaccessible et inabordable pour la plupart des gens. Notre système de soins de santé n’est pas non plus en mesure de traiter les facteurs psychosociaux de la santé, des facteurs situationnels et culturels pour lesquels une approche clinique ne suffit pas.

Par exemple, une recherche sur la prescription d’analgésiques auprès de minorités ethniques montre que la douleur des patients noirs n’est pas adéquatement traitée. Cela indique que les médecins manquent de confiance envers les patients qui souffrent déjà d’une forme de disparité socioéconomique. En 2020, la mort de Joyce Echaquan, qui a enduré des abus et de la douleur dans un hôpital québécois, a rendu le problème d’inégalité en santé impossible à ignorer plus longtemps.

Les approches combatives engendrent des préjugés

Des images d’une femme présentant des points de douleur
Près de 20 pour cent des Canadiens souffrent de douleurs chroniques. (Shutterstock)

Depuis la publication de la première étude épidémiologique en 1662, si ce n’est avant, nous essayons de prédire et de réduire au minimum les causes de mortalité. Nous utilisons la science et la technologie dans notre bataille contre les maladies et les invalidités. Une vision structurelle particulière façonne notre culture médicale actuelle. Notre approche est combative : nous luttons contre le cancer, la crise des opioïdes, la dépression, le diabète et les autres maladies.

Implicitement, les cultures combatives valorisent et récompensent les gagnants. En faisant l’éloge des héros (comme les centenaires au mode de vie actif), nous donnons implicitement aux gens qui échouent le statut de perdant. C’est ainsi que certains patients génèrent la honte et les préjugés associés aux maladies chroniques et même au vieillissement.

Heureusement, un changement se fait sentir en justice épistémique afin de reconnaître les pratiques culturellement appropriées et le savoir traditionnel, ce qui engendre l’émergence de pratiques de soins axées sur les patients. La gouvernance autochtone en décolonisation des soins de santé devrait accélérer ces efforts. Pour que le système de soins de santé commence à agir en fonction de ces principes, il importe d’adopter des méthodologies de recherche plus flexibles, qualitatives et écologiques.

Le rôle du jeu

En 1509, Érasme, un érudit de la Renaissance, explique dans « Éloge de la folie » que le jeu est une nécessité existentielle qui aide les humains à composer avec l’inévitabilité de la vieillesse et de la mort grâce à la distraction et à l’insouciance (à la façon des enfants).

Différentes formes de jeu sont offertes par les thérapeutes et les établissement de soins palliatifs pour faciliter la communication en cas de maladie grave ou en phase terminale.

Dans « Vers une écologie de l’esprit » (1971), l’anthropologue Gregory Bateson propose le jeu comme espace expérimental de communication et « d’apprentissage basé sur l’apprentissage », où les gens peuvent simuler, interpréter et évaluer leurs choix dans un environnement encadré mais flexible.

Le jeu est en effet un outil de recherche bien connu, notamment dans les domaines de la psychologie du développement, de l’anthropologie, de l’économie et des stratégies militaires.

Dans la cadre d’un effort mondial pour le suivi numérique et l’analyse des causes potentielles de maladies, mes collègues de recherche et moi avons récemment suggéré que le jeu offre une façon alternative d’approcher la recherche et d’intervenir dans l’écosystème numérique.

Prescrire le jeu

Une femmes portant sarrau et stétoscope transporte un tapis de yoga
Imaginez si mon cadre de traitement était plus flexible et permettait à mon médecin de me prescrire des cours de yoga ou de m’aider à explorer un programme de pleine conscience. (Shutterstock)

La douleur chronique touche 20 pour cent des gens. Que faire s’il est impossible de « gagner » la bataille contre la douleur ? Souvent, les médicaments sont le remède le plus rapide et le moins coûteux, mais ils ne suffisent pas toujours et leurs effets secondaires peuvent être désastreux. Voilà pourquoi un consensus grandissant se dégage auprès des membres de l’Organisation mondiale de la santé pour investir dans la recherche sur les soins alternatifs.

Dans « Homo ludens »(1938), l’historien Johan Huizinga a démontré qu’il est dans la nature humaine de recourir au jeu pour imaginer des scénarios esthétiques ou des rituels qui donnent une signification différente aux gestes servant à répondre à nos besoins biologiques, comme s’abriter, s’alimenter et se protéger.

En effet, le jeu peut engendrer la création et les connaissances. La thérapie par l’art ou l’écriture expressive peuvent aider à comprendre et à contrôler les causes de la douleur.

Imaginez que, plutôt que de me demander de donner une note à l’intensité et à la fréquence de ma douleur, mon médecin me demandait d’utiliser une métaphore et de lui expliquer ludiquement mes symptômes et mes besoins.

Imaginez si mon cadre de traitement était plus flexible et permettait à mon médecin de me prescrire des cours de yoga ou de m’aider à explorer un programme de pleine conscience.

Imaginez si les cliniciens utilisaient le savoir autochtone pour améliorer l’expérience des patients (utiliser un langage approprié, laisser la place à la personne, créer un moment de partage, tirer des leçons, s’engager auprès du patient et explorer les solutions).

Imaginez si les responsables de la santé publique n’attendaient pas que le stress chronique rende la population sujette aux maladies, et investissaient plutôt dans des politiques du bonheur comme celles des Pays-Bas, le pays d’Érasme et de Huizinga.

Transformer le jeu en action

Quand le savoir et les soins font défaut (comme pour les femmes souffrant d’endométriose), les médias sociaux deviennent un espace de génération du savoir. Dans « Coping with Illness Digitally », Stephan Rains, chercheur en santé et communications numériques, souligne que les gens s’associent à des communautés qui offrent de l’information et des soins grâce à des expériences communes.

La pandémie de Covid-19 a illustré la capacité des médias sociaux à générer des données sur la gestion du stress. Toutefois, si nous devons être régis par les chiffres, nous avons besoin d’un terrain de jeu qui mise sur la sécurité et non sur la surveillance passive.

Dans un vrai terrain de jeu, les participants ne sont pas surveillés, mais s’engagent plutôt dans des activités génératrices de connaissances sur les facteurs de stress psychosociaux à l’origine de leurs symptômes pathologiques. Des plates-formes comme « Patients Like Me » permettent aux patients de partager leur histoire de maladie causée par le stress et leurs stratégies de prise en charge.

This article was originally published in English

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