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Pourquoi se laisse-t-on avoir par les prédateurs financiers ?

Illustration d'une escroquerie financière
Pour les escrocs, la faute d’une arnaque revient aux victimes : elles n’avaient qu’à ne pas se montrer aussi naïves… Shutterstock

Vous êtes-vous déjà fait avoir ? Par un vendeur sans scrupule, un prêteur, un ami, un conseiller financier ? On peut parier que oui. Vous n’êtes pas un cas isolé. En ce moment, a lieu aux États-Unis le procès de Sam Bankman-Fried, au palais de justice de New York. L’homme né en 1992 est le fondateur de l’entreprise FTX, une plate-forme d’échange de cryptomonnaies et d’Alameda Research, dont les faillites en 2022 ont révélé un scandale international nourri à la fraude financière.

Cela a un air de déjà vu, car on pense tout de suite à Bernard Madoff, le magnat de la finance américain condamné en 2009 pour escroquerie et décédé en 2021 en prison, mais aussi à quantité de fraudeurs spécialisés dans les pyramides de Ponzi (dans son cas) ou de fausses données sur les avoirs réels (Bre-X Minerals à Montréal, Enron aux États-Unis).


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La question est brûlante ? Pourquoi se fait-on piéger, bon an mal an, par ces prédateurs financiers, qui utilisent divers outils pour nous subjuguer et nous vider les poches ? Et ce, malgré les preuves que le marché est plein de vendeurs, d’acheteurs ou même de régulateurs inefficaces (la Securities and Exchange Commission, le gendarme américain de la bourse dans le cas de Madoff) ?

Lors d’une entrevue sur un poste de radio populaire à Montréal, où on m’avait invité à parler de mes recherches sur la prédation financière, un auditeur avait téléphoné. Il avait admis être tout juste sorti de deux ans de prison pour escroquerie, mais n’y voyait aucun mal. La faute en revenait aux victimes ; elles n’avaient qu’à ne pas être naïves.

À qui la faute ?

Dans un certain sens, cet homme sans scrupules n’avait pas tout à fait tort. La finance comportementale a largement démontré l’« irrationalité » des investisseurs. Autrement dit, le commun des mortels ne respecte pas les règles élémentaires de tout investissement : s’assurer de vérifier les faits, les rapports de rendement, la réputation des acteurs économiques en jeu ; diversifier son portefolio d’investissements ; favoriser les rendements stables avant de plonger tête première dans des aventures risquées, etc.

L’irrationalité, telle que définie dans le jargon financier, constitue ainsi une variable dont on doit tenir compte, tout comme on doit considérer la vulnérabilité des investisseurs, experts comme novices. Celle-ci s’articule, entre autres, autour de l’avarice ou de la convoitise, le manque d’éducation financière, les réseautages douteux, l’asymétrie d’informations, et j’en passe. Mais il y a une variable comportementale que la théorie, les articles scientifiques et les journaux oublient : la déconnexion.

J’ai introduit dans mes écrits scientifiques sur le phénomène de la prédation financière le concept de déconnexion. Voici comment elle fonctionne : plus on est endetté, plus on devient nerveux, plus on a tendance à paniquer et plus on se détache de la réalité de nos besoins, objectifs et préférences financiers.

« Roue d’infortune »

Cette dynamique peut aussi s’articuler ainsi : plus le marché s’échauffe (à travers une formation de bulle immobilière par exemple), plus on a peur de manquer le bateau (pour s’enrichir le plus vite possible) et plus on se coupe de sa réalité financière. À mesure que l’on se déconnecte, on prend irrémédiablement de mauvaises décisions, notamment parce que nous nous coupons des informations vitales mais parfois pénibles qui devraient nous « ramener sur terre ». Plus nos décisions financières sont inadéquates (par exemple, contracter un emprunt à un taux élevé), plus notre dette augmente. Un cercle vicieux se forme, que j’ai nommé la « roue d’infortune ».

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Mais comment décrire exactement ce qu’est la déconnexion ? J’ai emprunté ce concept de la psychiatrie, laquelle parle depuis plus d’un siècle de « dissociation ». Cette dernière se produit lorsqu’un individu faisant face à un stress trop grand, se détache de la douloureuse réalité pour préserver son sens du moi. On pensera au phénomène du stress post-traumatique suite à une expérience guerrière ou à un viol, par exemple.

Dans le cadre qui nous concerne, une rupture similaire se produit. Pour expliquer le concept, j’ai recours au processus du décrochage des avions. Lorsque les avions atteignent leur vitesse de pointe (ou lorsque l’entreprise performe sur le marché économique), ils s’appuient sur l’air, ce que l’on nomme la portance (pour une entreprise, les données sur marché et ses tendances). Celle-ci est dépendante de l’incidence aérodynamique de l’appareil (« angle of attack », ou AoA).

On l’a vu dans le cas des crashs des Boeing 737 Max en 2018 et 2019, lorsque les outils de mesure ont mal calculé l’angle d’attaque des avions qui permettait une portance adéquate. L’avion s’appuie alors sur du vide, perd contrôle, plonge et s’écrase.

La même chose se produit dans l’esprit humain : sa portance est assurée en grande partie par son accès aux informations vitales et sa capacité à les traiter. Or, en temps de surexcitation due à un marché qui nous pousse à agir vite pour bénéficier des revenus rapides espérés, ou de crise (panique comme lors des « paniques bancaires », qui sont la hantise de tout banquier), les individus tendent à décrocher. Ils perdent contact avec leurs besoins, objectifs et préférences (en anglais, les NGPs : « needs, goals, and preferences ») financiers initiaux. Le plus souvent, la catastrophe s’ensuit – banqueroute, faillite personnelle, surendettement aggravé, etc.

Pour le prédateur, le leurre à la bonne heure

Mes recherches dans le domaine de la prédation financière montrent que le prédateur financier promeut la complexité, car elle lui permet de subjuguer ses proies et de paraître en contrôle, et donc, de démontrer toute la compétence nécessaire pour naviguer dans les eaux troubles de la finance.

Le prédateur ne sera jamais complètement transparent : il évitera de vous donner les informations que vous demandez ou vous fera languir jusqu’à ce que vous abandonniez votre cause. Il dira avoir flairé la bonne affaire (en fait, c’est vous, la proie). Il aura des comptes dits fantômes et/ou à l’étranger. Ses résultats, après mûres analyses, seront « extraordinaires » (par exemple, des rendements élevés année après année). Il aura un rythme de vie qui ne correspond pas à son niveau social. Il nourrira un sentiment d’exclusivité ; vous êtes des élus.

Le prédateur financier joue immanquablement sur la confiance aveugle (ou quasi aveugle) qui caractérise les proies. La confiance qu’il est capable d’instaurer est un paravent, son outil privilégié de prédation : tôt ou tard, il la trompera. Il joue sur les quatre caractéristiques qui la façonnent : les affinités (il est comme vous, presque un membre de la famille), la bienveillance (il est gentil), la compétence (il démontre son expertise et affirme avoir des renseignements uniques) et l’intégrité (l’Autorité des marchés financiers ? Ce sont ses meilleurs amis).

Comment éviter la déconnexion ? Je propose treize questions toutes simples dans le lien ci-joint qui vous permettront de vous positionner facilement par rapport à un prédateur financier suspecté ou réel. J’inclus aussi treize questions qui vous permettent de déterminer si vous êtes relativement bien outillé pour parer à la déconnexion.

Et vous, êtes-vous une proie de choix pour les prédateurs financiers ? Faites le test !

Dessin d’un aigle chassant un poisson
L’effet de surprise, une caractéristique d’une situation de prédation. Pxhere, CC BY-SA

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