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Pourquoi une souris doit manger plus qu’un éléphant (proportionnellement)

Une souris en train de manger un grain de maïs.
Plus un mammifère est petit, plus il doit produire de la chaleur pour compenser les déperditions. Et donc manger beaucoup ! Benjamin Lecomte / Unsplash, CC BY-SA

En biologie, la taille, ça compte ! Être un animal de plusieurs tonnes ou un animal de quelques grammes définit bon nombre de traits biologiques d’une espèce : ses prédateurs, ses proies potentielles, le nombre de petits, la quantité de nourriture ingérée, etc.

La masse corporelle influence ainsi l’ensemble des processus et des structures biologiques, de l’échelle cellulaire jusqu’aux dynamiques des populations. Notamment, elle joue un rôle important dans l’adaptation à la température extérieure, mais aussi dans la production interne de chaleur. Le métabolisme des petits animaux est ainsi plus actif et plus adaptable que celui des gros animaux.

Quelle relation entre la masse corporelle et la température extérieure ?

D’un point de vue énergétique, s’il est facile de comprendre que de gros mammifères consomment plus d’aliments et d’oxygène que les petits, il est surprenant de constater que cette relation s’inverse quand on divise ces flux par la masse de l’animal. En d’autres termes, même si une souris mange moins qu’un éléphant, 1 gramme de souris nécessite plus d’énergie que 1 gramme d’éléphant pour fonctionner.

Cela est dû au fait que le métabolisme (qui représente l’ensemble des réactions chimiques au sein d’un organisme) augmente moins vite que la masse : on parle d’une relation allométrique entre ces deux composants.

Ces différences de métabolisme sont en partie attribuées aux différences de rapport entre la surface du corps et le volume du corps (rapport S/V).

La surface évoluant moins rapidement que le volume corporel, cela induit chez les espèces de petite taille une surface de contact avec l’air importante par rapport à leur volume (et donc un rapport S/V élevé). Cela se traduit par des pertes de chaleur élevées, qu’elles doivent compenser par une forte activité métabolique.

À l’inverse, les mammifères de grande taille ont un rapport S/V plus faible : ils gardent donc plus facilement leur chaleur corporelle et peuvent de plus stocker davantage d’énergie sous forme de graisse. Ils sont donc avantagés dans les milieux froids, polaires ou montagnards.

Ours polaire assis sur la glace, semblant faire coucou à la caméra
Vivant dans un environnement froid, les ours polaires sont parmi les plus massifs des ursidés. Hans-Jurgen Mager/Unsplash

Cette tendance générale chez les mammifères à observer des espèces plus grandes dans des milieux froids que dans les milieux plus chauds est regroupée sous la règle écologique dite de Bergman. Par exemple, un ours polaire peut dépasser les 700 kg, alors que l’ours lippu (qui vit dans les chaudes régions tropicales asiatiques) ne dépasse pas 140 kg.

Le rôle des mitochondries

Au cœur des processus métaboliques se trouvent les mitochondries. Ces organites sont présents au sein des cellules, et produisent des molécules riches en énergie (principalement de l’Adénosine Triphosphate, ou ATP) qui permettent d’assurer toutes les fonctions cellulaires. En termes de quantité, un homme adulte de 70 kg produit aux alentours de 70 kg d’ATP par 24h.

La production d’ATP est effectuée grâce à un groupe particulier de protéines mitochondriales, appelé chaîne respiratoire. Certaines de ces protéines utilisent les produits de notre digestion (sucres, lipides…), et la dernière de la chaîne consomme de l’oxygène. C’est donc pour que nos mitochondries puissent produire de l’ATP que nous mangeons et respirons.

Or, ce processus n’est pas particulièrement efficace : seuls 40 % de l’énergie est stockée au sein de l’ATP, le reste étant libéré sous forme de chaleur. Les mitochondries sont donc des véritables fournaises microscopiques, qui libèrent inévitablement de la chaleur comme sous-produit de ses réactions. Cela contribue au réchauffement corporel, en particulier chez les organismes endothermes (c’est-à-dire qui produisent de la chaleur grâce à leur métabolisme interne), comme les oiseaux et les mammifères.

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À ces échelles cellulaires et subcellulaires, l’influence de la masse corporelle sur le métabolisme cellulaire est toujours significative. Ainsi, comme pour le reste des flux métaboliques, la respiration des cellules est corrélée négativement avec la masse corporelle chez les mammifères : les cellules des grands animaux consomment moins d’oxygène que celles des petits mammifères.

Cette consommation moindre pourrait être expliquée par trois raisons : une diminution de la taille des cellules, une diminution du nombre de mitochondries, ou une diminution de l’activité des mitochondries. Or, étant donné que ni la taille des cellules ni le nombre de mitochondries ne varient en fonction de la masse corporelle, cette diminution de la consommation d’oxygène ne peut s’expliquer que par une activité mitochondriale plus faible.

Pour résumer, les grandes espèces ont une activité mitochondriale plus faible que les petites espèces. Et les petits animaux, quant à eux, ont une activité mitochondriale importante, ce qui explique leur fort taux métabolique par unité de masse.

Quelle relation entre la masse corporelle et la production de chaleur ?

Les petits mammifères ont donc des mitochondries plus actives. Mais quid de l’efficacité (c’est-à-dire la production d’énergie stockée sous forme d’ATP et non émise sous forme de chaleur) de ces mitochondries ?

Un colibri en vol en train de butiner une fleur
Les colibris ont un métabolisme très actif, leur permettant de compenser les pertes de chaleur dues à leur faible poids. James Wainscoat/Unsplash

On comprend assez aisément qu’il existe un compromis entre flux et efficacité. Prenez votre voiture : elle consomme plus d’essence à 150km/h qu’à 80km/h pour une même distance parcourue. Comprendre les performances d’une voiture nécessite ainsi de connaître son flux (la consommation d’essence du moteur), mais aussi son efficacité (le nombre de kilomètres qu’elle peut parcourir).

Pour revenir à nos mammifères, une augmentation du flux des mitochondries (c’est-à-dire de leur activité respiratoire) diminue leur efficacité (moins de production d’ATP) et augmente la production de chaleur. On s’attendrait donc à avoir des mitochondries moins efficaces chez les petites espèces de mammifères comparées aux grandes.

Pour le savoir, il faut calculer la quantité d’ATP produite par unité d’oxygène consommée : l’ATP/O. En comparant l’effet de la masse corporelle sur l’ATP/O mitochondrial du muscle squelettique chez 12 espèces de mammifères allant de 6 g à 550 kg, Mélanie Boël, Damien Roussel et moi-même avons montré 1) que l’ATP/O était dépendant de la masse corporelle, mais 2) que cette dépendance est variable en fonction de l’intensité métabolique.

En effet, l’efficacité mitochondriale dépend positivement de la masse corporelle (plus l’animal est grand, moins ses mitochondries sont actives, plus elles sont efficaces) lorsque les mitochondries sont proches du taux métabolique basal (animal au repos, en sommeil…). En revanche, elle est indépendante de la masse corporelle au taux métabolique maximal (animal en mouvement). En conséquence, il s’ensuit que les grands mammifères présentent une augmentation dynamique plus rapide de l’ATP/O que les petites espèces, lorsque les mitochondries passent des activités basales aux activités maximales.

Cela signifie que les espèces de petite taille, sujettes aux pertes de chaleurs à cause de leur surface/volume désavantageux, possèdent des mitochondries à l’efficacité plus flexible que les grands animaux. Cela leur permet de faire fonctionner leurs mitochondries de façon à privilégier la production de chaleur (au détriment de la production d’ATP, et donc d’énergie) quand ils sont eu repos (et consomment donc peu d’oxygène). À l’inverse, leurs mitochondries augmentent leur efficacité de production d’ATP lorsque l’animal est actif (et consomme donc beaucoup d’oxygène). Pour les animaux de grandes tailles, le besoin de production de chaleur est moindre au repos, car ils conservent mieux leur chaleur grâce à leur rapport surface/volume faible et réduisent ainsi leurs besoins énergétiques.

Les mitochondries des muscles squelettiques des petits mammifères participeraient donc au maintien de leur température corporelle élevée au repos en diminuant leur efficacité (beaucoup d’oxygène consommé, peu d’ATP produite et beaucoup de chaleur libérée), et seraient aussi efficaces que les mitochondries des grands mammifères lors des périodes d’activités afin de fournir assez d’ATP.

Une question se pose alors pour les quelques très très petits mammifères (type musaraignes ou souris pygmées, qui ne dépassent pas 5-6 grammes à l’âge adulte). Ces espèces ont un métabolisme extrêmement élevé par grammes de tissus et doivent produire beaucoup de chaleur ; or, rendre les mitochondries inefficaces impliquerait une prise de nourriture quasi constante, ce qui est impossible. Dans ce cas, comment ces quelques espèces réussissent-elles à maintenir leur température corporelle constante ? La question reste ouverte.

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