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« PSPP », l’étoile montante de la politique québecoise

Paul Saint-Pierre Plamondon souriant
Paul Saint-Pierre Plamondon, le leader du Parti québecois, a peut-être un avenir radieux devant lui. UnPingouin/Wikipedia

Lundi 2 octobre, au Québec, une élection législative partielle, dans la circonscription de Jean-Talon, a vu une nette victoire du Parti québécois (PQ), favorable à l’indépendance. Ce scrutin a constitué un test pour l’étoile montante du paysage politique québécois, Paul Saint-Pierre Plamondon, dit « PSPP », chef du PQ depuis 2020 et député à l’Assemblée nationale du Québec depuis 2022. Dans le présent article, j’applique la matrice de la réussite, un de mes objets de recherche depuis une dizaine d’années, au cas PSPP.

PSPP ne dispose encore que d’un poids modeste, puisque son parti – qui est présent uniquement sur la scène politique québécoise, l’indépendance du Québec étant défendue au niveau fédéral par une autre formation, le Bloc québécois – avait jusqu’ici trois députés à l’Assemblée nationale du Québec, qui en compte 125. Avec l’élection de Pascal Paradis dans la circonscription de Jean-Talon, il en aligne désormais quatre. Bien loin de la majorité. Cependant, d’après les critères de la matrice de la réussite, son potentiel est remarquable. PSPP sature déjà tous les critères qui forgent l’image du « héros-leader » dans nos sociétés contemporaines, sujet sur lequel j’ai publié des articles de recherche au Québec et aux États-Unis, ainsi qu’un livre en France.

J’examine successivement ces sept critères de la matrice de la réussite. Je les aborde, pour les six premiers, par paires de critères en tension entre eux : être (1) dans le cadre et (2) faire voler le cadre en éclats ; (3) dans la coopération et (4) dans la compétition ; (5) un grand acteur habile à jouer sur les signes extérieurs et (6) fortement branché sur son intériorité, son authenticité. Le septième critère, qualifions-le de « méta », au-delà des six autres, est (7) de montrer une aisance au milieu des paradoxes et de savoir leur donner du sens.

1. Être dans le cadre, solide sur ses objectifs

PSPP défend une mission. C’est le service minimum du leadership : avoir un projet clair, partageable avec les autres. Rien de très original, mais encore faut-il y parvenir, ce qui n’est pas toujours évident quand le paysage est complexe, ce qui est le cas ici. Pour PSPP, l’objectif est le renouveau du mouvement indépendantiste au Québec et son aboutissement à un État québécois indépendant.

Il l’énonce vers le milieu des années 2010, justifiant son action par l’idée qu’« à moyen terme, la question de l’indépendance du Québec reviendrait en force ». La proposition est de « faire de l’indépendance la locomotive du parti ».

La mission est de Rebâtir le camp du oui, titre de son livre paru en 2020 : un « oui » à l’indépendance clairement assumé. L’enjeu est « l’accession à l’indépendance », plus encore que la « prise de pouvoir » qui, dit-il en 2020, n’est qu’un « enjeu complémentaire ».

La franchise de l’énoncé programmatique fait partie de la stratégie : « parler sans détour de la cause qui nous anime » est le registre privilégié. Il recommande à son camp d’« être transparent quant à ce qu’on pense véritablement ».

2. Faire voler les cadres en éclats, oser nager à contre-courant

PSPP se distingue par une aptitude forte à la divergence. C’est une autre clé du leadership cherchant à s’affirmer : se faire remarquer en innovant par rapport à la norme.

Plusieurs aspects de sa personnalité et de ses initiatives alimentent ce récit de manière éclatante. Il y a le coup le plus visible, qui restera en mémoire : il refuse de prêter allégeance au roi d’Angleterre au moment de son accession au Parlement en 2022. Il restera le premier député de l’histoire québécoise, et canadienne, à ne pas prêter serment au roi.

La règle est pourtant sans ambiguïté : selon la constitution, si vous ne prêtez pas serment, vous n’avez pas le droit de siéger. Avec les deux autres députés du PQ, il doit, physiquement, rebrousser chemin devant la porte d’entrée du Parlement, gardée par une huissière. La provocation est magistrale. À noter que, en décembre 2022, suite à cet épisode, l’Assemblée nationale a aboli l’obligation pour les députés québécois de prêter serment au roi.

3. Privilégier la coopération, construire avec les autres

PSPP se signale par une recherche constante d’entente. Pas de polémique inutile, pas de stratégie de la controverse, pas de scandale : l’inverse d’un Trump.

Même lors de l’épisode de la non-prestation de serment au Parlement, politesse et mesure guident les députés concernés. C’est d’autant plus remarquable qu’ils pourraient facilement faire de cet événement et, plus généralement, de leur action pour l’indépendance du Québec, un cheval de bataille qu’ils évoqueraient à hauts cris.

Or, sans arrogance et sans esclandre, PSPP maintient le cap de la coopération, à l’œuvre par exemple lorsqu’il salue les autres partis que le sien, ouvrant sans doute la voie à de futures coalitions : « Bravo aux autres chefs de s’être tenus debout pour leurs convictions. » Il répète à l’envi qu’il fait primer le commun sur les différences, bien que, par ailleurs, on l’a vu avec le critère (2) précédent, il est engagé dans une stratégie de la différenciation : il faut bien voir – je ne le rappellerai jamais assez – que c’est en jonglant avec des critères en tension entre eux, dans un équilibre précaire, que le profil de réussite se parachève.

4. Ne pas avoir peur du rapport de forces

Pour autant, PSPP ne rechigne pas à la compétition. Les sujets de discorde sont mis sur la table sans ambages, notamment la difficile cohabitation entre le français et l’anglais, avec, à l’horizon, ni plus ni moins qu’une question de « survie linguistique et culturelle » pour le Québec francophone.

Placer le débat sur le terrain de la survie veut dire, très explicitement, que la compétition est à mort. La coopération, oui – cf. le critère (3) ci-dessus – mais sans aucun angélisme. PSPP et le PQ ne se censurent pas pour qualifier le problème, avançant des arguments juridiques, culturels, éthiques, organisationnels, donc complexes et intriqués. Le point décisif est que, pour eux, le pronostic vital est engagé, ce dont ils auront à convaincre, dans le futur, de nouveaux électeurs et électrices pour progresser.

Remarquons que le registre de la lutte à mort, de la lutte tragique, est présent. Par exemple, PSPP défend l’idée que, entre le niveau fédéral canadien et le niveau provincial québécois, « il y a un gouvernement de trop », ou qu’« une véritable gouvernance environnementaliste implique de pouvoir se détacher des choix polluants du Canada. Cela implique donc que le Québec devienne un pays ». Sur cette base, il n’est pas étonnant que les campagnes se déroulent avec « énormément de pression ».

5. Être un grand acteur, habile à jouer sur les signes extérieurs

PSPP, comme tout leader politique aujourd’hui dans nos sociétés démocratiques, doit assumer, en public, une dimension de rôle. Il est à l’aise dans les médias, et passe très bien à la télévision et à la radio. Il a d’ailleurs lui-même animé une émission de radio et tenu des chroniques à la télévision pendant des années.

Le leader du PQ sait, et théorise en professionnel, que « la politique est une question d’images autant que d’idées, et celui ou celle qui incarne un mouvement politique joue pour beaucoup »… et « joue beaucoup », pourrait-on ajouter en se référant à Erving Goffman, le grand sociologue de la mise en scène de soi qui a montré que la moindre de nos interactions en société a une dimension théâtrale.

Autour de PSPP, tout un imaginaire est en train de se bâtir à partir de narrations (storytelling) et de symboles qui frappent. Avec ses deux autres collègues élus du PQ au Parlement, ils étaient « les trois mousquetaires ». Ils seront désormais, le destin le voulait, « les quatre mousquetaires », ce qui colle bien à leur image de rebelles, fortes têtes, et en même temps courageux pour servir des causes qui les dépassent.

6. Être une personne complète, avec son corps, ses sentiments et ses émotions

PSPP est au contact de son intériorité. Ce point est essentiel à articuler avec le point (5). Aujourd’hui, pas de grand acteur sans implication forte de l’intériorité. Pas de signe extérieur efficace qui ne soit rendu crédible par une dose d’énergie intérieure. En même temps qu’il se montre très pointu pour maîtriser les signes extérieurs, l’acteur moderne est branché sur sa sensibilité, ses émotions, ses mouvements intérieurs. Le jeu doit être vivant, juste, authentique, personnel. Le public doit y croire : c’est la leçon d’un siècle d’école russo-américaine du jeu d’acteur, via l’Actors Studio, Stanislavski et Strasberg en référents de la Méthode – contre, soit dit en passant, l’école française (Diderot et le paradoxe sur le comédien).

La pure extériorité, non seulement ne suffit pas, mais se retourne contre l’émetteur aussitôt que le public sent le conventionnel, la recette mécanique, la désincarnation, le faux. Les registres varient : mettre ses tripes à l’air, se noyer dans l’introspection, annoncer une confidence, une valeur intime, ne pas tricher avec ce qu’on est, avoir des imperfections qui échappent, distiller la vérité de sa propre vie…

Pour PSPP, un registre qui lui échappe fréquemment est d’être ému aux larmes, comme, par exemple, un jour d’élection où il attend, devant les caméras, les résultats. Il a sa fille dans ses bras, la berce. Il commence à parler devant un petit groupe, et, d’un seul coup, il s’interrompt, il a un début de sanglot, il enfouit son visage contre l’épaule de sa fille, les larmes emplissent ses yeux. Dans le public, le signe est interprété bizarrement par deux personnes qui partent d’un rire sonore. PSPP confie, de manière presque inaudible, comme pour s’excuser, ou donner la clé de son hoquet : « Je suis émotif, mais… », pause, puis il se reprend et continue son discours.

7. « Paul Saint-Pierre Paradoxal ». Montrer une aisance au milieu des injonctions en tension et savoir leur donner du sens

PSPP sait naviguer parmi les paradoxes. Ce septième critère de réussite est « méta », car il englobe les critères précédents. Il condamne au funambulisme, dans un équilibre précaire entre plusieurs sources de contradictions. Un journaliste ne s’y trompe pas qui décerne à PSPP le surnom de « Paul Saint-Pierre Paradoxal ».

Comme pour tout paradoxe, soit la contradiction vous brise et le dilemme vous épuise ; soit vous en sortez par le haut, vous vous adressez à un spectre plus large de la réalité et en tirez votre énergie. Plusieurs paradoxes sont particulièrement actifs dans le cas de PSPP. Je n’évoquerai ici que celui qui tourne autour de la dialectique ordre/désordre, sur l’axe mission/divergence de la matrice de la réussite. Le désordre est difficile à évacuer d’un projet de sécession qui s’assume. L’aventure de l’indépendance peut attirer pour les opportunités qu’elle crée, mais elle peut aussi faire peur. L’ordre, PSPP le revendique fortement. Dans son livre, il détaille le budget de sa première année au pouvoir et sa feuille de route des 100 premiers jours, afin de répondre à « la stratégie de la peur économique » souvent opposée au projet souverainiste par ses adversaires.

Avec cette capacité à marcher en équilibre sur un chemin de crête, PSPP semble disposer des capacités nécessaires pour rassembler. S’il peut faire progresser le « camp du oui » en incluant des sensibilités divergentes, mises en dialogue, rien ne permet encore, évidemment, de prédire la victoire ultime : l’histoire du « Québec libre » reste à écrire. Mais l’élection de Pascal Paradis à Jean-Talon est peut-être le signe qu’une dynamique s’est enclenchée…

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