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Le jardin des entreprenants

Quand des cadres réparent l’ascenseur social

Matthew Oliver, NQT Centquatre

Un entrepreneur, Yazid Chir, choqué face à la résignation et la honte des diplômés des quartiers difficiles devant qui toutes les portes se ferment, lance une idée : pourquoi ne pas faire parrainer ces jeunes par des cadres ? L’ampleur du succès de cette initiative montre comment les entreprenants peuvent réinventer notre monde.

L’école de la honte

Le diagnostic est connu depuis longtemps. En France, l’ascenseur social est cassé et poursuivre des études ne garantit pas de s’élever dans la société. Pire, pour les diplômés des universités issus des quartiers, cela ne garantit même pas une insertion digne dans la société. Fabrique-t-on trop de diplômés ? Les entreprises pratiquent-elles une ségrégation sur des critères inavouables ? Les diplômes des universités sont-ils à ce point sans valeur par rapport à ceux des grandes écoles ?

Matthew Oliver, NQT Centquatre.

Ce gâchis conduit bien entendu à des situations humaines dramatiques. C’est ce que découvre en 2005 Yazid Chir, entrepreneur et président du Medef 93, lorsqu’il rencontre un jeune Français d’origine centrafricaine né à Saint-Denis et titulaire de deux masters. Ne trouvant rien à son niveau, il cache ses diplômes pour postuler à des jobs alimentaires. Cela choque Yazid Chir, né à Saint-Ouen d’un père chauffeur de taxi et d’une mère qui gardait des enfants, et qui après un BTS de micromécanique, a occupé différents emplois dans l’industrie avant de créer son entreprise.

« Quand je l’ai rencontré, il avait perdu toute confiance en lui. Il avait honte devant les amis de son quartier et devant sa famille qui s’était saignée pour lui payer des études supérieures ».

L’installation de grandes entreprises près du Stade de France, après la Coupe du Monde de football 1998 n’arrange rien : elles n’embauchent guère dans le bassin d’emploi qui leur tend les bras. À quoi cela sert-il de poursuivre des études si les meilleurs élèves n’ont pas accès à ces entreprises ? Que reste-t-il comme espoir ?

Le refus de la fatalité

Yazid Chir et Raynald Rimbault, délégué général du Medef 93, lancent alors une expérience de parrainage. Un jeune diplômé est pris en charge par un cadre d’entreprise, non pas pour le recruter, mais pour le conseiller et lui faire bénéficier de son réseau. Ils font un test avec 200 jeunes de niveau bac +4 et plus, en mobilisant les entreprises du département. Les résultats dépassent leurs espérances, avec 60 % de recrutements en six mois. Les bénéfices en matière d’estime de soi, de fierté de leur famille et d’espoir retrouvé sont considérables.

Début 2006, encouragés par le préfet de Seine-Saint-Denis et Laurence Parisot, présidente du Medef, ils créent l’association Nos Quartiers ont des Talents, qui propose à des entreprises mécènes de mettre à disposition des cadres pour parrainer ces jeunes dans leur recherche d’emploi, sans engagement de recrutement direct.

L’art du parrainage

L’association développe progressivement un savoir-faire du parrainage. Elle s’attache à assortir les jeunes et les parrains ou marraines. Elle prépare ces derniers à leur rôle : améliorer les CV des jeunes, les aider à préparer un entretien, ouvrir leur réseau, travailler à la confiance en soi, etc. Elle a élaboré un guide du parrainage, mis en place une plate-forme en ligne et une équipe permanente pour aider les parrains. Des réunions de lancement sont organisées pour répondre aux questions des nouveaux.

L’association prépare également les jeunes en organisant des visites d’entreprises, des sessions de découverte de métiers ou de secteurs, des ateliers sur les méthodes de recherche d’emploi, etc. Elle est attentive à la régularité et à la qualité de la relation entre les parrains et les jeunes, qu’elle rencontre régulièrement séparément.

Aux dires de chercheurs en gestion de l’École polytechnique, ce dispositif a réussi à faire quelque chose de très difficile : réaliser du sur-mesure à grande échelle. La singularité de chacun est en effet traitée avec soin. Rebaptisée NQT, l’association ne se limite plus aux quartiers difficiles. Elle étend son périmètre aux territoires ruraux isolés et essaime dans toute la France et outre-mer. Depuis 2006, 45 705 diplômés ont été accompagnés par 11 710 parrains et 930 entreprises et partenaires adhérents. 70 % des jeunes trouvent un emploi dans les six mois. Sur le site de NQT, de nombreux témoignages de jeunes et de parrains montrent l’étonnante énergie qui anime cette association.

Des relations qui font sens

Un phénomène frappe dans cette expérience : l’engouement qu’elle rencontre chez les cadres, ce qui peut étonner pour des personnes qui se plaignent de leur surcharge d’activité. Ainsi, l’opération permet-elle aux entreprises partenaires d’afficher une activité valorisante dans leur bilan social et environnemental, mais aussi d’offrir à leurs cadres, que les études décrivent comme étant de plus en plus désabusés, une gratification inattendue et inestimable.

Au fil des rencontres, ils nouent des relations avec un jeune, souvent d’une origine très différente de la leur. Ils développent une empathie, se passionnent pour ses projets et pour son avenir. L’émotion qui les saisit lorsque le jeune trouve une issue à sa galère montre à quel point les parrains trouvent du sens à cette relation.

Un investissement en capital social ?

Comment expliquer que des cadres d’entreprises parviennent à donner aux diplômés les clés d’un emploi que ni les enseignants ni les conseillers de Pôle emploi n’ont réussi à leur donner ? Les jeunes sont des virtuoses des réseaux sociaux, mais n’ont comme « amis » que ceux qui leur ressemblent. Ce réseau ne leur permet donc pas de s’insérer dans le monde économique. Leurs enseignants leur ont transmis des connaissances théoriques, mais n’ont pas partagé avec eux leurs réseaux de relations (d’ailleurs, probablement aussi peu utiles). Plus le candidat est éloigné des schémas mentaux des recruteurs, plus le travail de connexion doit être axé sur la mise en confiance.

Il est important que le jeune diplômé ait davantage confiance en lui et qu’il connaisse les codes sociaux, mais ce qui est déterminant est le fait que son parcours d’entraide lui procure des références rassurant l’employeur potentiel. Il s’agit finalement ici d’un petit « pécule de capital social », qui selon Bourdieu ouvre bien des portes. À l’heure où les entreprises investissent à l’envi dans les start-up, les cadres parrains de NQT investissent, eux, un peu de leur capital social et en retirent une gratification personnelle et sociale pleine de sens.

Économique et social : même combat

L’aventure NQT illustre plusieurs aspects de l’entrepreneuriat réinventé que nous cherchons à faire connaître à l’École de Paris du management et dans cette chronique. Devant une situation insupportable, l’entrepreneur Yazid Chir a fait ce qu’il sait faire le mieux : refuser la fatalité, mobiliser ses réseaux, trouver le chemin. Il a fait sur le terrain social ce qu’il sait faire sur le terrain économique. Une telle envie de changer le monde est communicative et, rapidement, fleurissent de nouveaux entreprenants sur des terrains jusque-là stériles. La surprise est toujours la même. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? Pourquoi ne pas essayer ailleurs ?

Pour en savoir plus, voir Nos quartiers ont des talents, une association nous le prouve.

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