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Quand la crise sanitaire rebat les cartes entre les acteurs de la solidarité nationale et internationale

Des bénévoles offrent un petit-déjeuner à des personnes dans le besoin lors d'une opération de distribution alimentaire menée par la fondation L'Armée du Salut à Paris, le 12 février 2021.
La crise du Covid et la fermeture des frontières qu’elle a engendrée ont contraint temporairement les ONG à redéfinir leur champ d’action au niveau national. Ces acteurs ont ainsi initié ou développé leurs missions en France. Christophe Archambault / AFP

Alors que la France est officiellement entrée dans la cinquième vague de la crise sanitaire, on peut raisonnablement s’interroger sur les impacts durables de la pandémie liée au Covid sur l’organisation des acteurs de la solidarité.

Le champ de la solidarité a pendant longtemps été marqué en France par une définition nette des rôles entre, d’un côté, les grands acteurs de la solidarité internationale qui opèrent dans les pays des Suds (regroupés sous le terme d’ONG), et de l’autre, les acteurs de la solidarité nationale (souvent approchés sous le qualificatif d’associations).

Dans ce contexte, la collaboration entre ONG et associations était loin d’être évidente tant les différences semblaient prégnantes : celle des lieux d’intervention, celle des cultures organisationnelles ou celle des processus organisationnels. À grands traits, les ONG internationales étaient perçues comme des organisations dotées de nombreuses expertises et de moyens financiers importants, quand les associations nationales étaient réputées pour leur connaissance des territoires et leur capacité à mobiliser de larges équipes de bénévoles.

La crise du Covid et la fermeture des frontières qu’elle a engendrée ont cependant rebattu les cartes en contraignant temporairement les ONG à redéfinir leur champ d’action au niveau national. Ces acteurs ont ainsi initié ou développé leurs missions en France.

Action contre la faim a, par exemple, démarré fin 2019 une mission de sécurité alimentaire des populations précaires vivant en Île-de-France et à Marseille. De son côté, l’ONG Solidarités International spécialisée dans les opérations d’eau et assainissement à l’international (la majorité de ses missions sont en Afrique), a ouvert en 2020 une mission d’assainissement et de raccordement à l’eau potable de plusieurs bidonvilles en Île-de-France et dans les métropoles de Nantes et Toulouse.

Les deux années passées ont été l’occasion pour ONG et associations nationales de travailler ensemble en recherchant des synergies nouvelles afin de bénéficier d’un maillage terrain et d’un réseau fort à l’échelle des territoires. Pour ses missions en France, ACF a ainsi travaillé en étroite collaboration avec l’Armée du Salut, tandis que Solidarités International s’est entouré de plusieurs organisations comme Médecins du monde France ou la Fondation Veolia.

Il paraît légitime de se demander si ce type de rapprochements entre monde associatif et ONG relève de la conjoncture ou d’une tendance de fond. Nous penchons clairement pour la seconde option. Le travail sur des terrains partagés a révélé de nombreuses complémentarités : les associations sont capables d’impulser des solutions innovantes avec peu de moyens tandis que les ONG savent associer un grand savoir-faire opérationnel à une réactivité importante. Ces compétences plurielles permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives de collaboration et de croiser les regards (par exemple sur l’approche « genre », sur laquelle certaines ONG sont pionnières).

Au-delà des valeurs et des causes semblables, ONG internationales et associations nationales partagent d’autres points communs dans l’évolution de leurs métiers et du financement de leurs activités.

La coopération en réponse à la mise en concurrence

Depuis plusieurs années, les acteurs de la solidarité internationale sont mis en concurrence pour l’obtention de fonds institutionnels (européens et internationaux). En particulier, le principe de localisation de l’aide, poussé depuis 2016 par les bailleurs internationaux (non sans difficultés), interroge la place des ONG françaises dans l’architecture de l’aide internationale, et questionne leurs territoires d’intervention.

La structuration croissante des sociétés civiles au Sud ainsi que la globalisation des enjeux permettent de faire émerger de nouvelles logiques de solidarité entre territoires, davantage fondées sur la résolution de problèmes communs que sur des relations d’aide asymétriques.

Les associations nationales se retrouvent, de leur côté, en concurrence pour bénéficier des fonds nationaux. ONG et associations se voient donc contraintes de répondre à des enjeux communs en matière de légitimité, de recherche de financements, de gestion de leurs membres et de rationalisation de leurs activités.

La coopération permet à ces acteurs de répondre à leurs enjeux respectifs en mutualisant leurs ressources et en bénéficiant des expertises de chacun. En ce sens, la collaboration est devenue un moyen de répondre aux pressions institutionnelles mais aussi de développer des synergies.

Le partage d’enjeux communs et la mise en œuvre d’activités collectives ont par ailleurs engendré une meilleure intercompréhension de ces organisations. Elles ont construit et affiné des logiques multi-acteurs afin de mieux coordonner leurs intérêts respectifs et ceux de leurs parties prenantes (bailleurs, bénéficiaires, acteurs publics locaux, etc.) avec qui elles interagissent.

La régulation concurrentielle a été, en ce sens, un catalyseur de la collaboration entre organisations de la solidarité, en les amenant à trouver les moyens de mutualiser leurs ressources et de travailler en commun.

La crise sanitaire a contribué à ce rapprochement (comme le montrent les exemples cités plus haut). Cependant ce travail de coopération a été initié bien en amont par des acteurs que l’on peut qualifier d’hybrides, à savoir capables de conjuguer intrinsèquement des compétences d’ONG internationales et d’associations nationales.

Il en est ainsi pour Médecins du Monde ou pour la Croix Rouge qui ont su habilement conjuguer les talents et font aujourd’hui figure de précurseurs. Moins connues, des initiatives comme « coopérer autrement en acteurs du changement » du Comité français pour la solidarité internationale expérimentent déjà depuis 2014 les coopérations de territoire à territoire.

Des membres de la Croix-Rouge française marchent sur une allée pour rencontrer des vacanciers lors d’une campagne de sensibilisation à la vaccination contre le Covid-19 dans un camping, le 13 août 2021 à Argelès-sur-Mer, dans le sud de la France
Médecins du Monde et la Croix rouge font aujourd’hui figure de précurseurs. Bien avant la crise sanitaire, ils ont opéré un rapprochement afin de conjuguer leurs compétences. Raymond Roig/AFP

Ces organisations intègrent la dimension multi-acteurs propre à ces nouvelles coopérations, privilégiant ainsi des collaborations plurielles entre acteurs associatifs, chercheurs, acteurs publics et entrepreneurs, à la fois au Sud et au Nord.

La crise sanitaire n’a fait, finalement, que révéler – et sans doute accélérer – une tendance de fond de rapprochement des acteurs de la solidarité œuvrant aux niveaux national et international, dans la lignée des enjeux de localisation cités. Si les effets de ces nouvelles logiques sont encore à apprécier, ces pratiques font primer la demande (à l’opposé des approches par l’offre).

Dès lors, les logiques d’intervention des ONG et des acteurs associatifs sont moins guidées par les opportunités de financement que par les demandes et besoins de communautés d’usagers et d’usagères inscrites dans une pluralité de territoires. Une thèse de doctorat est actuellement engagée à l’IAE Paris en partenariat avec Coordination Sud pour collecter des données sur ces questions.

De nouveaux rapprochements pour de nouvelles solidarités

Ce rapprochement entre niveaux d’action constitue par ailleurs une réponse aux grands défis à venir pour la solidarité. La crise de l’accueil de migrants a montré que les sujets de la solidarité internationale sont aussi ceux de la solidarité nationale.

Pour y répondre, les ONG sont contraintes de mobiliser une pluralité de territoires d’intervention (au Nord et au Sud) et d’acteurs (associations, groupements de citoyens et institutions nationales et internationales). Elles construisent alors des stratégies d’intervention qui allient à la fois lutte contre le réchauffement climatique (par des actions d’atténuation et d’adaptation) et lutte contre la pauvreté et les inégalités (par des actions médico-sociales, d’urgence ou encore d’éducation), en pleine adéquation avec la logique de l’objectif de développement durable 17 qui consiste à nouer des partenariats efficaces et inclusifs.

De même, les enjeux environnementaux font peser des menaces communes à toutes les populations du globe conduisant à la diffusion de problématiques sanitaires sur de nouveaux terrains autrefois épargnés. Il en est ainsi avec des maladies ou des espèces invasives qui suivent l’évolution des courbes de température et entraînent une évolution des pathologies dans les pays du Nord (l’arrivée sur le territoire français du moustique tigre en étant l’exemple le plus connu).

La coopération entre ONG internationales et associations nationales est donc un enjeu majeur que ce soit au Nord comme au Sud. Elle est à même de déboucher sur des pistes essentielles pour définir le chemin étroit de la transition écologique et sociale. Les missions communes déjà engagées sont prometteuses et ont abouti à de belles réussites. L’action française de Solidarités International a d’ores et déjà touché près de 6 000 personnes. Et Oxfam et les trois ONG réunies au sein de l’« Affaire du siècle » ont réussi, en 2021, à faire reconnaître la faute de l’État en matière de lutte contre le réchauffement climatique par le tribunal administratif de Paris, avec injonction à agir.

Il est maintenant souhaitable qu’elles perdurent dans le temps. Cela passe par une prise de conscience de ces enjeux par les décideurs politiques et les bailleurs nationaux et internationaux mais aussi par une sollicitation plus systématique des acteurs des Suds, encore trop souvent cantonnés à un rôle de bénéficiaires et non de producteurs de savoirs et d’expertises.

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