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Bibliothèque. Thomas Leuthard/Flickr, CC BY

Quand les écrivains se mêlent de physique

« De même que, de l’eau ou d’un miroir, le rayon lumineux rejaillit à l’opposé en remontant de la même manière qu’il est descendu, et en s’écartant autant de la ligne de chute d’une pierre, ainsi que le démontre la science et l’expérience ; de même il me sembla être frappé par une lumière réfléchie devant moi. »

Quel est donc l’écrivain qui paraphrase ainsi la loi de réflexion lumineuse dite de Descartes (ou de Snell pour le public anglo-saxon) ? C’est Dante Alighieri, dans son Chant XV du Purgatoire, écrit trois bons siècles avant Descartes. La Divine Comédie se voulait une somme du Savoir et il n’est donc pas étonnant d’y trouver quelques bribes de physique. Notons que dans l’auguste poème, l’Enfer c’est le chaos, et il faut se rapprocher de Dieu, pour que la raison prévale !

Dante et la cité de Florence. Domenico di Michelino

Au fil de mes lectures, je collectionne les perles de pure physique semées dans les œuvres littéraires. Balzac écrit dans Les illusions perdues :

« Camille a tant d’intelligence qu’elle saisira sur-le-champ tout ce que vous lui direz. N’a-t-elle pas compris un jour la raison inverse du carré des distances ? »

On trouve aussi chez Tolstoï, dans Guerre et paix, une allusion à la loi de Newton :

« Plus il approchait, plus fortement, beaucoup plus fortement s’imposait à lui la pensée de la maison paternelle, comme si les sentiments étaient soumis à la loi de l’attraction en raison inverse du carré des distances. »

Balzac usa d’une image plus approximative en écrivant :

« Ces deux lignes sont des asymptotes qui ne peuvent jamais se rejoindre. »

Mais la littérature prend parfois des libertés avec les lois de la physique. Ainsi, Thomas Mann exagère quand il écrit dans La montagne magique :

« L’atome était un système cosmique chargé d’énergie, au sein duquel des corps gravitaient en une rotation frénétique autour d’un centre semblable au soleil, et dont les comètes parcouraient l’aire à des vitesses mesurées en années-lumière, maintenues dans leurs orbites excentriques par le pouvoir du corps central. »

Envolée lyrique fortement critiquable : d’accord pour le modèle planétaire de l’atome, mais pur charabia confondant planètes et comètes, et prétendant mesurer une vitesse en années-lumière ; l’analyse aux dimensions ne le supporte pas !

Quant à Italo Calvino, il déclare sans sourciller :

« Le livre s’émiette en molécules et en atomes, passant entre les atomes du ciment armé, se décomposant en électrons, neutrons, neutrinos, particules élémentaires de plus en plus subtiles. »

Marcel Proust. geudensherman

Je doute que le livre émette des neutrinos lors de sa disparition. Laissez donc la poésie des particules aux physiciens ! Messieurs les écrivains, allez d’abord réviser le b, a, ba du langage scientifique avant de vouloir épater la galerie…

295 références scientifiques dans À la recherche du temps perdu

Sans doute un écrivain peut-il se rappeler ses leçons de lycée. C’est flagrant chez Proust :

« Pour un physicien la place qu’occupe la plus petite balle de sureau s’explique par le conflit ou l’équilibre de lois d’attraction et de répulsion qui gouvernent des mondes bien plus grands. »

Cela restitue le charme désuet des leçons d’antan quand on électrisait une barre d’ébonite en la frottant avec une peau de chat. On découvre aussi dans À la recherche du temps perdu qu’« avec la conservation d’énergie que possède tout ce qui est physique, la souffrance n’a même pas besoin des leçons de la mémoire. » La métaphore n’est pas transparente mais la conservation d’énergie reste un pilier de la physique. Le même auteur écrit ailleurs : « Les distances ne sont que le rapport de l’espace au temps et varient avec lui. »… Mais ceci est une grosse bourde !

Parmi tous les romanciers, Proust recueille la palme des références à la physique. Dévot lecteur d’À la recherche du temps perdu, j’y ai comptabilisé 295 extraits à connotation scientifique. Certains sont quelque peu obscurs :

« Il y avait aussi un nouveau sifflet qui était exactement pareil à celui d’un tramway, et comme il n’était pas emporté par la vitesse, on croyait à un seul tramway, non doué de mouvement, ou en panne, immobilisé, criant à petits intervalles, comme un animal qui meurt. »

Mon instinct de physicien reconnaît là l’effet Doppler. Marcel Proust écrit aussi :

« Il rencontrait chez elle la force électrique d’une volonté contraire qui le repoussait vivement ; dans les yeux d’Albertine j’en voyais jaillir des étincelles. »

Ici, la volonté est assimilée à un nombre quantique de l’individu, une sorte de charge évidemment électrique, puisque produisant des étincelles. Mais la loi de Coulomb nous dit que deux charges de signes contraires s’attirent tandis que deux charges de même signe se repoussent, or ici les contraires se repoussent. La physique ne tolère pas de telles libertés.

Proust et Einstein

En guettant ses articles proposés au Figaro, Proust se tient au courant des derniers développements du monde. On peut apprécier son souci de modernité. Il écrit de l’église de Combray :

« Tout cela faisait d’elle… un édifice occupant si l’on peut dire un espace à quatre dimensions, la quatrième étant celle du temps. »

Bien sûr, le temps joue un rôle central dans son œuvre comme dans celle de son contemporain Einstein, et on lui demanda s’il connaissait la théorie de la relativité. Dans une lettre il reconnut :

« On a beau m’écrire que je dérive de lui ou lui de moi, je ne comprends pas un seul mot de ses théories, ne sachant pas l’algèbre, et je doute pour ma part qu’il ait lu mes romans. Nous avons, paraît-il, une manière analogue de déformer le temps. »

Il invoque non seulement la relativité mais aussi les acquis des rayonnements : « Madame sait tout, Madame est pire que les rayons X. » Les rayons X furent découverts par Röntgen en 1895. Une autre phrase sent aussi sa physique :

« Un défi plus miraculeux aux lois de la chronologie que la conservation du radium à celles de la nature. »

Le radium est un élément radioactif qui se désintègre avec un temps de vie de 1 600 ans. C’est très élevé, ce qui illustre la longévité d’Odette. Mais il y a des éléments beaucoup plus résistants au temps puisque les matériaux stables ont une espérance de vie a priori infinie.

Image datant de 1900, intitulée « chauffage au radium », anticipant à tort l’usage massif du radium en l’an 2000. Villemard/Wikipedia

Mais à jongler avec les sciences, on arrive par trébucher : « Les palais m’apparaissaient réduits à leurs simples parties et quantités de marbre pareilles à toutes les autres, et l’eau comme une combinaison d’hydrogène et d’azote, éternelle, aveugle, antérieure et extérieure à Venise, et ignorante des Doges et de Turner. » De l’eau composée d’hydrogène et d’azote, même la lagune de Venise n’eut pas supporté un mélange si peu banal !

Mécanique quantique

La mécanique quantique aurait pu offrir à Proust des images intéressantes, mais il mourut trop tôt, la théorie naissait à peine. Il faut attendre John Updike pour lire :

« Il était stupéfait par cette émotion soudaine, moins un enchaînement de cause à effet que le mouvement simultané d’une vague et d’une particule, un seul photon passant par deux fentes en même temps. »

Le traducteur s’est bêtement trompé en écrivant vague pour wave, l’allusion à la dualité onde-corpuscule est patente. La métaphore reste toutefois tirée par les cheveux, sinon à simplement déclarer que les émotions restent imprédictibles. Le même Updike est plus convaincant avec un poème sur les neutrinos intitulé « Cosmic Gall » écrit en 1973.

J’espérais enfin trouver quelques clins d’œil dans Bouvard et Pécuchet, mais les vieux garçons de Flaubert évitent la physique. Dans cette liste non exhaustive, on serait tenté d’ajouter Les particules élémentaires, de Michel Houellebecq, titre usurpé d’un ouvrage de vulgarisation. Mais, au cours de la lecture, on ne rencontre guère que la silhouette lointaine du laboratoire de l’accélérateur linéaire d’Orsay. Pour le moins, Dan Brown avec Anges et démons, nous fait entrer de plain-pied au CERN où règne la physique des particules, mais ce qu’il y comprend de l’antimatière est tout sauf correct. J’ai scrupule à compléter la liste avec un pur roman scientifique : Les neutrinos vont-ils au Paradis ? On y parle de particules et de la communauté qui s’y greffe, mais l’auteur est de trop modeste plumage pour que son nom soit mentionné ici.

La littérature est affaire d’écrivains : libres à eux d’écrire ce qui leur passe par la tête dans la mesure où le lecteur applaudit. Proust écrit son œuvre comme l’oiseau construit son nid en rassemblant tous les éléments apportés par la vie, et à ce titre une loi de physique au détour d’une phrase peut faire office de bibelot décoratif. Mais le lecteur n’est pas neutre, il apprécie selon sa propre grille de lecture. Pour beaucoup, le radium rappelle seulement Marie Curie. Alors, pourquoi ajouter un soupçon de physique au milieu d’un roman ? Un physicien pourra sans doute y trouver son plaisir. Mais un lecteur non averti ?

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