Menu Close
Figurine en Lego du robot WallE de Disney, regardant une petite plante qu'il tient dans sa main articulé.
Alors que dans la fiction, c'est bien souvent sur les robots que se fondent des sociétés plus écologiques, la réalité semble encore loin de cet idéal. Jason Leung/Unsplash, CC BY

Que manque-t-il aux robots pour nous aider face à la crise écologique ?

Nous sommes maintenant des milliards d’humains à porter en permanence dans nos poches ou à nos poignets des ordinateurs connectés pour nous aider quotidiennement dans notre travail, nos loisirs, nos relations sociales, notre santé. Ces dispositifs sont intimement associés à notre vie physique, sociale et intellectuelle grâce à l’interface qu’ils fournissent entre notre monde numérique et notre monde physique. Mais ils restent totalement passifs physiquement, limités à un échange d’informations avec ou à travers ceux et celles qui les portent, incapables de se déplacer et d’agir par eux-mêmes.

Les robots sont aussi des ordinateurs, mais dotés d’un corps physique, mécanique, qui les rend capables de se déplacer, de percevoir et d’agir par eux-mêmes, faisant d’eux une interface directe entre le monde numérique et le monde physique, indépendante de notre présence. Ils peuvent nettoyer le sol de nos maisons en notre absence ou inspecter des zones dangereuses où nous ne voulons pas aller. Suivant l’exemple des ordinateurs que nous portons maintenant en permanence sur nous, ces robots sont amenés à s’approcher de plus en plus près de notre vie courante. Cela crée de grandes opportunités, mais aussi de grands risques. C’est pourquoi la Commission européenne a publié en 2019 une liste d’exigences pour que l’IA et la robotique soient véritablement dignes de confiance.

Des robots pour faire quoi ?

En 2021, un demi-million de nouveaux robots industriels ont été installés dans le monde, principalement pour contribuer à construire quelque 80 millions de véhicules à moteur et plus d’un milliard de nouveaux smartphones. Des chiffres à mettre en regard des 130 millions d’êtres humains nés cette même année. Ces robots participent donc à nous ensevelir sous des montagnes d’objets, le poids total des matériaux produits par les humains dépassant maintenant le poids total des êtres vivants sur notre planète.

Pourquoi ces robots ne nous aident-ils pas plutôt à répondre « aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice », pour « parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous » selon les termes choisis par l’ONU pour ses objectifs de développement durable ? Tout simplement parce qu’ils sont peu compétents, et qu’il n’y a pas besoin de l’être pour construire des voitures. Henry Ford le démontrait dès 1908 dans ses chaînes de production déshumanisantes, illustrées de façon éloquente par Charlie Chaplin dans son film Les Temps modernes.

C’est qu’il est « difficile, voire impossible de donner à un robot ne serait-ce que les compétences d’un enfant d’un an en matière de perception et de mobilité », comme le rappelle Hans Moravec dans le paradoxe qui porte son nom. Une tâche en apparence simple comme débarrasser une table sans tout casser et sans y passer la journée est encore aujourd’hui totalement hors de portée de nos robots. Que leur manque-t-il pour cela ? Un peu d’intelligence manuelle.

Quand l’IA vient aux robots

L’intelligence artificielle (IA) est longtemps restée un sujet lointain. Lorsque le champion du monde d’échecs Gary Kasparov fut battu par un ordinateur en 1996, cela fit beaucoup de bruit mais eut peu d’impact en dehors du monde des échecs. L’histoire se répéta lorsque le champion du monde de go Lee Sedol fut battu par un ordinateur en 2016. Mais lorsque le logiciel ChatGPT sort fin 2022, il devient soudain possible pour tout le monde de lui demander de l’aide pour toutes sortes de tâches courantes d’écriture sans presque aucun effort, en conversant le plus naturellement du monde dans sa langue maternelle. Tout à coup, l’IA est devenue un sujet de questionnement central dans nos sociétés.

Ces IA sont-elles vraiment intelligentes ? C’est une question qui n’a probablement aucun sens tant l’intelligence est une qualité difficile à cerner. Le pionnier de l’informatique Alan Turing avait d’ailleurs fini par s’en tenir à ce qu’il appelait le jeu de l’imitation : si une machine arrive à nous faire croire qu’elle est intelligente, que demander de plus ? De ce point de vue, ces nouvelles IA sont confondantes et plus d’un expert s’y est laissé prendre, mais l’illusion peine encore à durer longtemps. Comme chacun peut l’expérimenter aisément, ChatGPT profère régulièrement toutes sortes d’absurdités avec le plus grand aplomb.

Les robots équipés de ces nouvelles IA donnent également une illusion de compétence confondante. Les dernières avancées sont très impressionnantes et il est facile de s’y laisser prendre, mais la situation est exactement la même que pour ChatGPT : ils restent capables de prendre toutes sortes de décisions absurdes avec le plus grand aplomb. Sauf que cette fois-ci, leur capacité à se déplacer et agir par eux-mêmes dans notre monde physique peut vite mener à de véritables catastrophes.

Les exigences de la Commission européenne citées plus haut semblent d’autant plus primordiales. La fiabilité (fonctionner correctement dans des situations variées), l’explicabilité (les décisions prises par le système doivent pouvoir être expliquées aux personnes directement et indirectement concernées), la traçabilité (documenter précisément les processus de mise au point et de déploiement du système) sont par exemple autant de qualités évidentes et indispensables, mais pas encore acquises.

Nous avons besoin de robots plus compétents, mais aussi plus frugaux

À supposer que nous puissions doter un jour nos robots d’une intelligence convaincante, cela suffira-t-il pour autant à ce qu’ils nous aident à construire cet « avenir meilleur et plus durable pour tous » ? Si l’on regarde de plus près un robot agricole conçu pour limiter l’usage des pesticides en viticulture, et qu’on réalise un bilan environnemental de l’ensemble de son cycle de vie, on observe qu’il permet d’un côté de limiter l’émission de gaz à effet de serre, mais qu’il demeure de l’autre consommateur de ressources minérales importantes dont l’extraction et l’usage sont toxiques pour les humains et l’environnement.

Or, nous faisons face à une crise environnementale sans précédent : six des neufs limites planétaires dans lesquelles l’humanité peut vivre en sécurité sont actuellement transgressées. Cette crise est systémique, à l’échelle planétaire, et c’est donc à ce niveau que nous devons questionner le développement des robots. Le modèle économique du doughnut proposé par Kate Raworth permet de visualiser de façon très claire comment nos objectifs de développement doivent être équilibrés avec nos limites planétaires. C’est dans cet espace étroit en forme de doughnut que nos robots doivent trouver leur place, pour contribuer à nos besoins sans détériorer les conditions de vie sur notre planète.

Schéma en forme de dougnut représentant l’espace entre entre les limites planétaires (exemple : changement climatique) et les besoins sociaux (exemple : alimentation) dans lequel se placer pour envisager une société durable
Ce doughnut permet d’illustrer deux frontières à ne pas franchir pour construire un avenir meilleur et plus durable pour tous : un « plancher social » qui représente les besoins humains de base et un « plafond environnemental » qui représente la nécessaire préservation de notre environnement. Commissaire général au développement durable/Wikimedia, CC BY

Plus intelligente pour être plus compétente, et en même temps beaucoup plus frugale : c’est toute une nouvelle robotique qu’il faut réinventer de toute urgence, étant donnée l’ampleur de la crise environnementale en cours. Ce n’est pas gagné, mais ce n’est qu’à cette condition que la robotique sera en mesure d’apporter sa pierre à l’édifice de la transition écologique.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 185,400 academics and researchers from 4,982 institutions.

Register now