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Des appartements en construction
Québec et Ottawa ont longuement négocié avant de conclure une entente pour débloquer 900 millions de dollars provenant du Fonds pour accélérer la construction de logements, ce qui a occasionné des délais supplémentaires, en pleine crise du logement. (Shutterstock)

Québec interdit aux villes de s’entendre avec Ottawa sans son autorisation, notamment en matière de transport et de logement. Un exemple à suivre ?

Les provinces canadiennes devraient-elles suivre l’exemple du Québec et interdire aux villes de signer des ententes directement avec le gouvernement fédéral, comme le suggèrent certains premiers ministres ?

Cette question m’a été posée lors d’une conférence organisée par l’Institut urbain du Canada (IUC). J’y étais invitée en ma qualité de professeure en administration municipale et régionale à l’École nationale d’administration publique et spécialiste des politiques visant l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire.

Selon la Loi sur le ministère du conseil exécutif, appelée communément « M-30 », il est interdit à un organisme municipal québécois de conclure une entente avec un autre gouvernement au Canada, sans l’autorisation préalable du gouvernement du Québec. Cette disposition, adoptée en 1984 par l’Assemblée nationale du Québec, alors que le Parti québécois de René Lévesque formait le gouvernement, visait à faire respecter la Loi constitutionnelle de 1867 qui stipule que les institutions municipales relèvent exclusivement des provinces. En imposant la nécessité de conclure une entente au préalable entre Québec et Ottawa, M-30 tente d’empêcher l’ingérence du fédéral dans ce champ de compétence provinciale.

Ma réponse spontanée à cette question a été catégorique : « Absolument pas. Cette situation ne fait que des perdants. Le Québec devrait opter soit pour l’indépendance, soit accepter le jeu du fédéralisme canadien, même s’il est dysfonctionnel, en permettant aux municipalités de recevoir directement les fonds d’Ottawa, malgré que cela puisse empiéter sur ses compétences ». Mary Rowe, la présidente et directrice générale de l’IUC, qui animait la conférence, a répondu avec humour que cette position pourrait m’exclure de plusieurs invitations à dîner…

Le bilan peu reluisant du Québec

Ma réponse était teintée d’une certaine frustration face au fait que Québec et Ottawa ont longuement négocié avant de conclure une entente pour débloquer 900 millions de dollars provenant du Fonds pour accélérer la construction de logements. L’entente, qui permettra aux villes québécoises de bénéficier de la contribution fédérale via la Société d’habitation du Québec, est intervenue en octobre 2023, alors que d’autres villes canadiennes ont pu profiter du FALC dès le mois de juin 2023. Bien que le délai puisse paraître court, il est considérable pour les personnes en attente d’un logement.

Par ailleurs, cette entente en matière de construction accélérée de logement est assortie de l’engagement du gouvernement du Québec à investir autant qu’Ottawa — ce seront donc 1,8 G$ qui serviront à résoudre la crise du logement. Les premiers ministres des autres provinces sont-ils prêts à en faire autant ? La question se pose.

Ma patience est également mise à l’épreuve par le bilan peu reluisant du Québec (et le mot est faible) en matière de gouvernance, de planification et d’investissements dans les infrastructures de transports collectifs. Ce retard ne date pas d’hier. Alors que d’autres provinces canadiennes investissaient dans le développement d’infrastructures lourdes en transport collectif grâce au programme fédéral Fonds Chantiers Canada, le gouvernement du Québec a plutôt choisi de privilégier son réseau routier.

Dans ce contexte, le régime québécois de planification des transports pourrait bénéficier d’exigences fédérales en matière de planification des infrastructures à l’échelle métropolitaine, à l’instar des États-Unis où les agglomérations urbaines de plus de 50 000 habitants doivent répondre à plusieurs critères pour recevoir des fonds du gouvernement.

Jusqu’à maintenant, aucun ministre des Infrastructures fédéral n’a osé imposer de telles exigences de planification et de priorisation aux grandes régions métropolitaines du Canada, puisqu’elles sont sous la juridiction exclusive des provinces.

Des villes plus autonomes

La protection jalouse de ses compétences a permis au Québec de se développer de manière unique, avec des institutions, des infrastructures et des programmes qui lui sont propres, comme les Centres de la petite enfance, le régime d’assurance médicaments, le réseau de l’Université du Québec, les cégeps, la Caisse de dépôt et placement du Québec et Hydro-Québec.

Des enfants tenant une corde déambulent sur un trottoir, en compagnie de deux adultes
Des enfants d’un CPE montréalais déambulent dans la rue. La protection jalouse de ses compétences a permis au Québec de se développer de manière unique, avec des institutions, des infrastructures et des programmes qui lui sont propres, comme les Centres de la petite enfance. (Shutterstock)

En matière d’affaires municipales, on pourrait même avancer que le Québec est la province où les villes ont le plus d’autonomie et de reconnaissance depuis l’adoption récente de la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives qui leur offre davantage de latitude et de possibilités en matière de financement, notamment avec l’octroi d’une part de la croissance d’un point de la taxe de vente du Québec (TVQ).

À cela s’ajoutent les dispositions de la Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs en termes de taxation et de redevances. Les villes québécoises ont ainsi la possibilité de diversifier leurs sources de revenus et de répondre à certains objectifs de politique publique, notamment via l’écofiscalité.

En somme, une plus grande autonomie vient avec de plus grandes responsabilités et avec une certaine obligation d’efficacité et de performance, qu’elle soit sociale ou environnementale, sans quoi l’ingérence du fédéral pourrait paraître légitime, comme dans certaines provinces dirigées par des gouvernements qui peinent à reconnaître la crise du logement. Le gouvernement du Québec aurait-il investi 900 millions de dollars, n’eût été l’initiative du gouvernement du Canada ?

Les bons — et mauvais côtés de l’autonomie des provinces

Le Québec a fait le choix de rester dans le Canada, bien que l’histoire aurait pu être différente si la Loi québécoise des consultations populaires avait été respectée par le camp du NON lors du dernier référendum sur la souveraineté, en 1995. Dans ce contexte, un front commun des provinces pour une décentralisation accrue pourrait renforcer la position du Québec et sa capacité d’autodétermination, quoique ce qu’on a appelé « la Nuit des longs couteaux » (la conférence entre premiers ministres provinciaux et Ottawa en 1981) a prouvé le contraire.

Au final, le degré de succès de l’autonomie des provinces dépendra des valeurs portées par les gouvernements fédéral et provinciaux élus, et de la réelle capacité d’action des gouvernements provinciaux. Si l’ingérence fédérale peut être perçue comme salvatrice lorsque les gouvernements provinciaux faillent à la tâche, comme dans le cas du logement et du transport collectif, par exemple, elle peut représenter une menace au bon fonctionnement des programmes ou à l’atteinte de cibles environnementales, comme la possibilité pour le gouvernement fédéral d’abolir la taxe carbone.

La même analyse peut être appliquée aux interventions du gouvernement fédéral dans ses propres champs de compétences, comme la gestion de la frontière et des permis de travail, qui ont des conséquences sur les objectifs politiques des provinces.

Actuellement, avec le Parti Québécois en tête dans les sondages au Québec et le Parti conservateur en avance au Canada, le moment semble propice pour rouvrir cette conversation.

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