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Quel rôle pour l’OTAN dans les Balkans ?

Le drapeau macédonien et le drapeau de l'OTAN flottent au vent pendant la cérémonie officielle de lever du drapeau de l'OTAN devant le siège du gouvernement macédonien à Skopje le 12 février 2019. Robert Atanasovski/AFP

Alors que l’OTAN vient de tenir son sommet annuel à Londres, Emmanuel Macron n’est pas le seul à s’interroger sur l’avenir d’une alliance en théorie défensive, créée en 1949 dans le cadre de la Guerre froide pour protéger les pays d’Europe de l’Ouest contre une éventuelle attaque soviétique. Donald Trump, on le sait, n’est pas un grand admirateur d’une Alliance qu’il juge obsolète. Il est cependant une région où l’OTAN semble, à première vue, en phase avec son temps : les Balkans occidentaux, où son élargissement a été jusqu’ici plus rapide que celui de l’Union européenne.

Quatre pays de cette zone ont rejoint l’OTAN au cours des quinze dernières années : la Slovénie en 2004, la Croatie et l’Albanie en 2009 et le Monténégro en 2017. Un cinquième, la Macédoine du Nord, est en cours d’adhésion. Les trois autres – la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo et la Serbie – se trouvent, pour leur part, dans l’antichambre de l’OTAN, le « Partenariat pour la paix ». Cette dynamique est toutefois quelque peu trompeuse : dans les Balkans aussi, l’action et la présence de l’Alliance sont loin de faire l’unanimité. Ne serait-ce que parce que nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié son intervention contre la Serbie en 1999, à la légalité pour le moins discutable. Analyse de cinq cas emblématiques.

Manifestation le 24 mars 2019 à Nis, en Serbie. Sasa Djordjevic/AFP

Monténégro : une adhésion coûteuse

Les États-Unis ont réussi à intégrer le petit Monténégro à l’OTAN en 2017, en faisant pression sur le gouvernement de Milo Djukanović. Presque 20 ans après les bombardements de l’OTAN sur la Serbie et le Monténégro, il fallait arriver à persuader l’ancien partisan de Slobodan Milošević de se placer sous protection étatsunienne. La Maison Blanche avait déjà, depuis de nombreuses années, obligé le Monténégro à abandonner ses équipements militaires hérités du Pacte de Varsovie, réduisant par exemple sa flotte navale à la portion congrue. L’intérêt géostratégique pour Washington est de s’assurer d’un contrôle sur le canal d’Otrante, au débouché de l’Adriatique, là où arrivent les tubes gaziers TANAP et NABUCCO.

C’est donc logiquement que, le 2 décembre 2015, l’OTAN a invité le Monténégro à rejoindre l’Alliance atlantique, ce qui a abouti à son intégration à la mi-2017. Le Pacte atlantique est perçu par le gouvernement de Podgorica comme « la garantie la plus fiable pour les investisseurs » et le seul moyen d’assurer la sécurité. Mais Moscou, voyant lui échapper un point d’appui en mer Adriatique et une nation toujours très proche de ses positions diplomatiques, objet de toutes les convoitises des gouvernements russes depuis Pierre le Grand, a vite réagi. Vladimir Poutine a annoncé, dans les jours suivant la décision de l’OTAN, l’arrêt de l’ensemble des échanges commerciaux avec les entreprises monténégrines. Depuis, les investisseurs russes ont largement quitté le pays.

Kosovo : la passivité de l’OTAN

Depuis les accords de Kumanovo du 10 juin 1999, le Kosovo est partagé en cinq zones militaires contrôlées par l’OTAN. Les soldats de la KFOR (Force de l’OTAN au Kosovo) sont aujourd’hui au nombre de 4 000, après avoir été de 42 000 en 2000 et encore de 16 500 en 2010. Mais la présence de l’OTAN n’a pas permis de pacifier pleinement le Kosovo : 250 000 Serbes, 140 000 Roms et des milliers de Bosniaques, Goranis, Turcs et Juifs ont été expulsés de leur terre natale par les milices de l'UCK entre 1999 et 2004, au nez et à la barbe des soldats de la KFOR. En mars 2004, un pogrom anti-serbe, lors duquel 19 personnes ont été tuées et 34 églises orthodoxes serbes détruites, s’est déroulé sous le regard quasiment impassible des soldats de l’OTAN.

Cette passivité de l’OTAN explique en partie qu’en octobre 2018, le Parlement de Pristina ait voté, en violation flagrante de la Résolution 1244 de l’ONU, une loi permettant de créer une « Armée du Kosovo » forte de 5 000 hommes. Au grand dam de Belgrade et Moscou, les États-Unis soutiennent ce projet.

Cette même année 2018, plusieurs événements ont amené le Kosovo au bord de la guerre civile. En mars, le directeur serbe du bureau du Kosovo-Métochie, Marko Djurić, en visite officielle auprès des maires des communes serbes du Kosovo-Nord, a été littéralement kidnappé à Mitrovica puis molesté dans les rues de Priština par la police du Kosovo. En septembre, des membres de cette même police ont bloqué la centrale électrique de Gazivode, lors d’une opération commando digne des plus mauvais films américains. Enfin, en novembre 2018, les autorités de Priština ont déclaré un blocus commercial aux frontières avec la Serbie, provoquant des manques alimentaires importants dans la partie majoritairement serbe du Kosovo-Nord.

L’ancien président américain Bill Clinton (C), l’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright (deuxième à partir de la gauche) et le président du Kosovo Hashim Thaci (g) saluent des Albanais du Kosovo réunis sur la place principale à Pristina le 12 juin 2019, lors d’une cérémonie marquant le vingtième anniversaire de l’intervention de l’OTAN au Kosovo, qui a mis un terme à la guerre avec la Serbie et a ouvert la voie à l’indépendance. Armend Nimani/AFP

Bosnie-Herzégovine : le blocage

Dans ce pays à l’architecture étatique complexe – il est divisé entre la Fédération croato-musulmane (peuplée aux trois quarts de Bosniaques musulmans et pour un quart de Croates) et la Republika Srpska (RS, peuplée à près de 90 % de Serbes) –, la question de l’adhésion à l’OTAN reste très conflictuelle. Depuis quelques mois, ce sujet ravive les tensions en Bosnie-Herzégovine, à la fois entre Serbes et musulmans, mais aussi au sein de la RS.

En effet, les négociations sur la formation d’un gouvernement central plurinational achoppent précisément sur l’adhésion à l’OTAN. Alors que la Fédération défend cette adhésion depuis de longues années, la RS refuse bec et ongles. Or, mi-novembre, le membre serbe de la présidence tournante de Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik, a accepté un paquet de réformes qui comprend l’intégration au Plan d’Action de l’OTAN. Cette entrée dans l’antichambre de l’OTAN a provoqué les foudres de l’opposition serbe à Dodik. La Bosnie-Herzégovine n’intégrera pas l’Alliance avant longtemps.

Serbie : le principe de neutralité

Le 18 juillet 2005, la Serbie-Monténégro signait avec l’OTAN un accord autorisant le transit des forces armées atlantiques à travers tout son territoire et l’utilisation des garnisons le long des routes principales. Six ans après l’opération « Force alliée » de 1999, les autorités serbes semblaient vouloir à tout prix intégrer la structure atlantique, même au prix d’une limitation de leur souveraineté. Mais depuis cet accord, aucune progression n’a été observée.

L’opinion serbe est farouchement et très majoritairement hostile à l’adhésion. Par ailleurs, en 2012 arrive au pourvoir la coalition nationaliste du Parti progressiste serbe (SNS) et du Parti populaire serbe (SNP) ; ces derniers imposent une inflexion pro-russe à la politique extérieure. Aujourd’hui, les autorités de Belgrade – qui ont signé le 16 janvier 2015 un Plan d’action individuel pour le partenariat (IPAP) avec l’OTAN, soit la dernière étape avant l’adhésion définitive à l’Alliance – ont érigé en dogme le principe de « neutralité » : l’armée s’autorise donc à effectuer des manœuvres conjointes aussi bien avec des soldats de l’OTAN, sous domination américaine, qu’avec des troupes de la CEI, contrôlées par la Russie.

Macédoine : un accord qui ulcère les nationalistes

En juin 2018, la FYROM (ou ARYM en français, pour Ancienne République yougoslave de Macédoine) signe avec la Grèce les Accords de Prespa qui mettent fin à une dispute de près de trente ans sur le nom même du pays, les Grecs bloquant l’adhésion de la FYROM tant que le nom de Macédoine serait utilisé. Désormais, la FYROM s’appellera « Macédoine du Nord », ce qui permet d’accélérer son adhésion aux structures euro-atlantiques.

La suite logique de ce processus d’arrimage à l’Occident est la ratification par la Grèce, le 6 février 2019, d’un protocole d’adhésion à l’OTAN de la Macédoine. Mais les Accords de Prespa ne sont pas allés sans heurts. Les nationalistes grecs comme macédoniens les rejettent violemment. On peut donc estimer que le coût payé par le pays pour entrer dans l’OTAN aura été très élevé : les nationalistes macédoniens du VMRO-DPMNE pourraient revenir au pouvoir du fait des accords de Prespa.

Manifestation devant le Parlement macédonien à Skopje le 13 juin 2018. Robert Atanasovski/AFP

Le processus d’adhésion des pays du sud-est de l’Europe à l’OTAN, qui était en bonne voie dans la première décennie du XXIe siècle, semble moins dynamique depuis quelques années. Face à la crise actuelle que connaît l’Alliance et au vu du grand intérêt que la Russie, la Turquie et la Chine portent à la région, n’est-il pas temps que l’Europe de la défense prenne la situation en mains ? Au Kosovo comme en Bosnie-Herzégovine, l’EUFOR dispose en théorie des moyens et de la maîtrise du moment historique pour pacifier définitivement la région…

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