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os de dinosaure fossilisé et sectionné
Un tibia d’Ornithomimosaure provenant du gisement d’Angeac-Charente, et une lame mince pour étudier les cernes de croissance dans la section de l’os. @ Laurence Godart / DIM PAMIR / CNRS, Fourni par l'auteur

Quels âges avaient les dinosaures ?

Voici une section de tibia d’un « dinosaure autruche », ou Ornithomimosaure. Ce nom donné par les paléontologues signifie en grec « lézard qui imite l’oiseau », en raison de la ressemblance morphologique superficielle du squelette de ce dinosaure à celui des autruches modernes. Les Ornithomimosaures ont vécu au Crétacé (entre 140 millions et 66 millions d’années). Ces bipèdes portaient des plumes et pouvaient atteindre jusqu’à 11 mètres de long.

L’Ornithomimosaure propriétaire de ce tibia d’environ 50 cm de long provient du gisement d’Angeac-Charente, en Charente. Ce gisement, daté du Crétacé inférieur (140 millions d’années), a révélé des dizaines de milliers d’ossements, représentant les squelettes désarticulés de différentes espèces de dinosaures, dont plusieurs espèces de grands dinosaures herbivores et deux grandes espèces de dinosaures carnivores, mais également de tortues, de crocodiles, de lézards, de reptiles volants, d’amphibiens, de poissons, ou encore de mammifères. L’ensemble de ces fossiles ont été déposés et enfouis pendant une durée relativement courte, ce qui permet d’affirmer que ces différentes espèces cohabitaient au sein d’un même écosystème, dont l’environnement était un marécage d’eau douce subtropical.

Parmi l’ensemble de ces restes fossilisés, les os attribués à l’Ornithomimosaure sont les plus abondants, en particulier les fémurs et les tibias. Au moins 70 individus d’une même population ont été enfouis à cet endroit. Ils avaient des tailles très différentes, comme en attestent les fémurs et tibias retrouvés qui mesurent de 20 à 50 centimètres.

Si les plus grands fémurs et tibias appartiennent probablement à des individus âgés, quels âges avaient-ils exactement ? Étaient-ils arrivés à maturité ? Combien d’années étaient nécessaires aux plus petits individus pour atteindre la taille des plus grands ?

Compter l’âge des dinosaures comme celui des arbres

Depuis 50 ans, les paléontologues étudient l’âge des dinosaures. En effet, connaître l’âge précis d’un individu est un prérequis indispensable pour de nombreux domaines de recherche tels que la biologie du développement — qui étudie comment les organismes croissent et se développent, ou encore la dynamique des populations — qui étudie les fluctuations du nombre d’individus au sein d’une population au cours du temps.

Pour connaître précisément l’âge d’un dinosaure, il faut plonger au cœur de ses os. Chez l’ensemble des vertébrés, la croissance osseuse ralentit et peut même cesser de façon cyclique et saisonnière. L’interruption de la croissance osseuse est visible dans l’épaisseur de l’os, matérialisée sous la forme d’une ligne concentrique sombre, qui rappelle les cernes des arbres. On appelle ces structures des lignes d’arrêt de croissance. De la même façon qu’une durée d’un an sépare deux cernes successifs dans le tronc d’un arbre, deux lignes d’arrêt de croissance successives dans un os indiquent qu’un an s’est écoulé.

Pour estimer les âges de cette population, nous avons donc sectionné 13 tibias et 7 fémurs d’Ornithomimosaure et compté leurs lignes d’arrêt de croissance. Nous avons ensuite mis en relation ces données d’âge avec plusieurs indicateurs de la taille du dinosaure, par exemple la circonférence de la surface externe de l’os. Ceci revient à établir un « modèle » de la croissance de cet animal.

Nous avons ensuite appliqué ce modèle de croissance à 294 fémurs et tibias d’Ornithomimosaures d’Angeac-Charente : connaissant leur taille, on peut maintenant estimer leur âge à partir du modèle sans avoir besoin de les sectionner.

Nos estimations, encore préliminaires, montrent que les plus jeunes individus étaient âgés de un à deux ans et les plus vieux individus de 18 à 20 ans. Ces derniers avaient achevé leur croissance comme le montre l’espacement entre deux lignes d’arrêt de croissance successives qui diminue jusqu’à devenir infime pour les plus grands fémurs et tibias sectionnés. Le profil d’âge du troupeau est fortement asymétrique avec une surreprésentation des individus les plus jeunes centrée autour de 5-9 ans. Nous pensons qu’une mortalité accrue débutant à partir de 6-7 ans pourrait être la cause de cette distribution asymétrique.

Ces données biologiques d’âge et de croissance seront confrontées à des données isotopiques du carbone, de l’oxygène, du calcium et du strontium mesurées dans une cinquantaine de fémurs couvrant l’ensemble de la gamme de taille (et donc d’âge) observée. Ces données isotopiques permettent notamment de retracer les régimes alimentaires. Ainsi il sera possible de comprendre si ces individus partageaient ou non les mêmes ressources environnementales en fonction de leur stade de croissance ; par exemple si les plus jeunes individus avaient un régime alimentaire différent ou non des individus les plus âgés. Cela permettra de comprendre, in fine, comment s’intégrait cette espèce au sein de l’écosystème d’Angeac-Charente.

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