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Quels effets les sondages auront-ils sur la présidentielle ?

Employés d'un centre d'appels de l'institut de sondage Ipsos à Ivry-sur-Seine en 2006. La première élection du président de la République au suffrage universel direct en 1965 a permis aux sondages de prendre toute leur place dans la vie politique française. Eric Feferberg / AFP

Depuis soixante ans, les sondages d’opinion jouent un rôle primordial et controversé dans le déroulement des campagnes électorales. Leur multiplication pour l’élection présidentielle 2022 s’explique par l’utilisation d’Internet et par la nécessité des chaînes d’information de nourrir leurs émissions en continu. Mais ces sondages auront-ils une influence sur les résultats de la « mère de toutes les élections » ?

La supposée influence des sondages en politique serait conforme à la théorie des « réponses cognitives ». Celle-ci montre que les opinions des autres comptent dans les prises de position individuelles sur des candidats ou des enjeux. En clair, les opinions d’une personne peuvent changer quand elle connaît celles des autres. La personne penche vers des arguments qui ne lui seraient jamais venus à l’esprit en temps normal ; elle s’interroge sur les raisons qui expliquent que tant de citoyens favorisent un candidat ; elle trouve des raisons pour le soutenir à son tour. Cette théorie offre une explication convaincante du comportement des individus moyennement impliqués vis-à-vis d’un enjeu, ce qui est souvent le cas pour une partie des citoyens lors d’élections.

Deux effets des sondages ont été beaucoup étudiés par les sociologues et les chercheurs en marketing politique : l’effet bandwagon et l’effet underdog.

Effet bandwagon : soutenir le gagnant

L’ effet bandwagon (littéralement « char à musique » : l’expression apparaît aux États-Unis dans les années 1850 quand les candidats défilaient avec un chariot sur lequel jouait un orchestre) pourrait se traduire par « effet d’entraînement » ou « effet de mode ». Cet effet désigne la propension à « sauter dans le bon wagon » ou « suivre le vainqueur ». L’électeur est encouragé à se retrouver dans le camp du gagnant, autrement dit à rejoindre la majorité.

L’effet bandwagon s’apparente à une forme d’opportunisme qui pousse l’individu à adhérer à l’avis du plus grand nombre. Et à voter pour celui qui est en tête dans les sondages. Cet effet « char à musique » a joué au moins trois fois dans la vie politique française.

En 1974, au premier sondage de l’élection présidentielle, Valéry Giscard d’Estaing devance Jacques Chaban-Delmas de seulement un point.

Chiffres des sondages donnés pour Valéry Giscard d’Estaing. Sofres

Au fil des sondages, l’écart s’agrandit de façon croissante. Et les résultats suivent cette tendance avec un écart encore plus important entre les deux concurrents. À la suite du premier sondage, le léger avantage de VGE va influencer certains électeurs indécis. Ainsi, les sondages suivants révèlent un écart de plus grosse ampleur entre les deux candidats. De ce fait, l’effet bandwagon grandit de façon exponentielle et l’influence des sondages est de plus en plus forte.

En 2006, la primaire socialiste donne les résultats suivants : 60,6 % pour Ségolène Royal, 20,8 % pour Dominique Strauss-Kahn et 18,5 % pour Laurent Fabius. Le très faible écart du début, qui devint énorme à la fin, soulève cette question provocante : sont-ce les sondages qui ont choisi Ségolène Royal, ou les militants socialistes ?

L’écart dans les sondages provoque un effet bandwagon pour le favori, qui à son tour creuse cet écart dans les sondages :

L’effet bandwagon nourrit l’écart et vice versa. Philippe Villemus, Fourni par l'auteur

En 2017, nombre d’électeurs de gauche ont préféré voter pour Emmanuel Macron parce qu’arrivant en tête dans les sondages, il était plus susceptible de battre le candidat de droite.

L’effet underdog : secourir le perdant

L’ effet underdog (littéralement « opprimé ») désigne la tendance qu’ont les individus à voter ou s’engager pour l’enjeu ou le candidat qui est à la traîne dans les sondages. On pourrait parler d’effet « chien battu ». En psychologie sociale, on parle d’effet « boomerang » quand « une tentative de persuasion a l’effet inverse de celui attendu et renforce les attitudes de la cible plutôt que de les modifier ». L’effet underdog désigne la mobilisation en faveur du candidat le moins bien placé dans les sondages ou les enquêtes. Le candidat en retard deviendrait sympathique aux yeux des électeurs qui voudraient lui éviter la défaite annoncée par les sondeurs. Il s’agit de secourir le « perdant ».

Lionel Jospin, l’underdog de 1995. Ici en campagne dans le sud de la France en avril 1995. Eric Feferberg/AFP

En 1995, aucun institut de sondage n’avait prévu l’arrivée en tête de Lionel Jospin au premier tour, devant Jacques Chirac et Édouard Balladur (le favori éliminé). Cette surprise s’explique en partie par la crainte d’une partie de l’électorat, alimentée par les enquêtes d’opinion, de voir la gauche absente du second tour.

En 2002, à l’inverse, on peut se demander si l’élimination surprise de Lionel Jospin au premier tour n’est pas due à l’interdiction à l’époque de publier des sondages la veille de l’élection. En avril 2002, si l’opinion publique avait été alertée de la possible élimination de Lionel Jospin au premier tour, par un effet underdog, les électeurs de gauche auraient plus voté pour lui. Et Jean_Marie Le Pen n’aurait peut-être pas accédé au second tour.

« Vote utile », mauvaise humeur et désertion

L’effet « vote utile », bien que nié par beaucoup de sociologues politiques, désigne la propension d’un électeur à voter pour un candidat, même si le votant préfère un autre candidat qui lui a moins de chance de passer le premier tour. Dans le système français à deux tours, des citoyens choisissent parfois leur candidat non pas en fonction de leur préférence, mais en fonction de leur aversion à d’autres candidats.

Enfin, des chercheurs ont identifié deux autres effets des sondages sur les élections. L’effet « humble the winner » (« humilier le vainqueur ») correspondrait à un effet de « mauvaise humeur » face au vainqueur proclamé : il s’agit de rendre « plus humble » le favori (Alain Juppé, en 2016, à la primaire de la droite et du centre ?). L’une des conséquences de cet effet serait de démobiliser des électeurs qui pensent que le candidat va gagner.

L’effet « snob the loser » (« snober le perdant ») correspondrait à une « désertion » du camp menacé par la défaite : il consiste à abandonner le perdant (Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite et du centre en 2016 ?). Une de ses conséquences serait de démobiliser des électeurs qui pensent que l’élection est perdue.

Alain Juppé, en course pour la primaire en 2016.

L’indépendance des instituts contre la méfiance des électeurs

Les sondages et leurs effets, parce qu’ils exerceraient une influence notable sur les résultats, sont souvent décriés par les politiciens. Or ces effets agissent surtout auprès d’électeurs indécis et peu motivés par les enjeux politiques, et très affectés par l’opinion collective. Ils sont le cauchemar des politologues et des sondeurs car ces effets sont connus mais non quantifiables.

A fortes doses, les sondages peuvent induire une méfiance des électeurs lassés de se faire rabâcher par les médias que tel ou tel camp possède les meilleures chances de l’emporter. Les instituts de sondage doivent donc rester indépendants, car une manipulation pourrait avoir de grandes conséquences sur le vote final. Plus globalement, l’étude des effets des sondages sur l’élection nous renvoie à une question fondamentale : comment faisons-nous nos choix ?

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