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Réciprocité, visibilité, équité : trois leviers essentiels pour lutter contre la crise climatique

Un écolier portant un casque et un gilet fluo lors d'un cours pour apprendre à se déplacer à vélo en ville
Un élève suit un cours pour apprendre à rouler à vélo en ville à Bordeaux en octobre 2022. AFP

En 2019, des millions de personnes manifestaient pour le climat dans le monde entier. En 2020, en pleine crise Covid, l’urgence climatique restait une préoccupation majeure pour les Français. L’année suivante, une étude publiée dans le prestigieux journal The Lancet montrait que plus de la moitié des jeunes entre 16 et 25 ans – et ce dans toutes les régions du monde – souffraient d’éco-anxiété.

Comment se fait-il que cette prise de conscience généralisée, et le désir authentique de préserver notre avenir climatique, ne se traduisent pas par des actions concrètes, telles que devenir végétarien ou soutenir des politiques climatiques plus volontaristes ?

On peut dire, tout d’abord, qu’un certain nombre de barrières structurelles limitent les possibilités d’agir pour le climat. De nombreuses personnes n’ont pas d’alternatives à la voiture pour se rendre au travail, ou n’ont pas les capacités physiques d’utiliser un vélo pour se déplacer.

Sur un plan plus psychologique, le manque d’information sur les solutions les plus efficaces pour limiter son empreinte carbone, la difficulté perçue pour mettre ces solutions en place, ou encore le manque de motivation lié au décalage entre le moment où les efforts doivent être consentis (aujourd’hui) et les bénéfices de ces efforts (une réduction du réchauffement climatique sur le long terme) sont autant de facteurs qui freinent les changements de comportements.

Bénéfices partagés, efforts individuels

Mais au-delà de ces barrières structurelles et psychologiques, l’urgence climatique présente un défi supplémentaire : les bénéfices sont partagés alors que les efforts sont individuels.

Par exemple, renoncer à prendre l’avion entraîne une réduction des émissions de CO2 qui bénéficie à tous, alors que le sacrifice, lui, est individuel. Ce problème d’action collective – aussi appelé « tragédie des communs » – mobilise le cerveau social, et en particulier la psychologie de la coopération.

À première vue, les extraordinaires capacités sociales de l’espèce humaine devraient faciliter la lutte collective contre le changement climatique. Malheureusement, les choses sont compliquées par le fait que la capacité humaine à coopérer dépend d’un certain nombre de conditions qui ne sont pas nécessairement remplies par les actions de lutte contre le réchauffement climatique.


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Tout d’abord, les citoyens sont plus enclins à contribuer à l’effort commun s’ils ont la preuve que les autres en font de même, et ils ajustent leurs comportements aux normes sociales prévalentes.

Si tout le monde jette ses déchets par terre, la probabilité qu’encore plus de déchets soient jetés augmente. Si, au contraire, il y a des indices que tous participent à un effort collectif de propreté, la probabilité que des déchets soient jetés diminue. C’est ce que les psychologues appellent la « conditionnalité de la réciprocité ».

Rendre visibles les comportements collectifs

Dans le cas de la crise climatique, la conditionnalité de la réciprocité pose un certain nombre de problèmes.

Tout d’abord, certaines normes sociales sont difficiles à observer. Ma voisine a-t-elle modernisé son système de chauffage pour qu’il soit plus efficace ? Est-ce que mon collègue soutient les politiques de rénovation thermique ? Or, en l’absence d’informations sur le comportement des autres, nous avons tendance à sous-estimer leur niveau d’engagement…


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La bonne nouvelle est que les normes sociales évoluent rapidement dès lors que les comportements vertueux sont rendus plus visibles. Par exemple, informer les personnes du fait qu’elles consomment plus de gaz ou d’électricité par rapport à leurs voisins fait baisser la consommation énergétique.

Le besoin de réciprocité peut par ailleurs créer un problème d’amorçage. Si les normes jouent un tel rôle moteur, comment passer d’une minorité d’acteurs engagés dans des comportements vertueux à une majorité ?

Heureusement, notre cerveau n’est pas seulement attentif au pourcentage de gens qui font une action, mais aussi à la dynamique des efforts collectifs. Autrement dit, si l’on observe que les comportements sont en train d’évoluer, alors nous sommes prêts à évoluer aussi. Là encore, cette dynamique est facilitée si les changements de comportements sont rendus visibles.

Communiquer sur ses propres habitudes

Les citoyens sont par ailleurs plus enclins à contribuer à l’effort commun si leurs propres actions sont visibles. Au-delà du geste sincère, cela peut motiver à entretenir son jardin, décorer sa maison ou encore s’habiller élégamment.

Il en va de même pour les actions écologiques vertueuses : les individus semblent plus motivés à faire des actions visibles, comme se déplacer à vélo, que des actions invisibles, comme remplacer une chaudière. C’est ce que les psychologues appellent la gestion de la réputation, qui opère souvent inconsciemment dans nos comportements.

Donner la possibilité de rendre les gestes vertueux plus visibles est donc un levier intéressant. En Angleterre, les plaques d’immatriculation des voitures hybrides et électriques peuvent ainsi obtenir une pastille verte, rendant leur faible niveau d’émission visible de tous.

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Cependant, faire une action écologique peut parfois entrer en conflit avec d’autres actions désirables. Par exemple, il est important de ne pas arroser sa pelouse lors d’une sécheresse pour préserver les ressources en eau. Mais cet effort de sobriété peut venir en conflit avec d’autres objectifs, comme celui de contribuer à l’effort collectif d’entretien du quartier.

Pour qu’un quartier soit globalement attrayant, chacun peut en effet se sentir le devoir de bien entretenir sa pelouse. Il y a alors un conflit entre la motivation à préserver les ressources et la motivation à apparaître comme un bon voisin. Pour réconcilier ces deux motivations, certaines communes aux États-Unis distribuent des panneaux indiquant « Je fais ma part pour préserver la planète » que les citoyens peuvent planter sur leurs pelouses jaunies par la sécheresse.

Ces panneaux permettent à chacun d’indiquer qu’il contribue à l’effort collectif de préserver les ressources en eau : ce n’est donc pas par négligence que la pelouse peut sembler mal entretenue.

Satisfaire le sentiment d’équité

Un dernier facteur qui conditionne la motivation à coopérer est le sentiment d’équité. Les citoyens sont prêts à faire des efforts, seulement si ces efforts sont proportionnels aux bénéfices retirés et s’ils sont en adéquation avec leur part de responsabilité.

Ces considérations individuelles trouvent également leur traduction dans les négociations pour le climat entre États. L’un des enjeux majeurs des discussions internationales est de trouver un accord sur la part de responsabilité qu’a chaque pays, afin de mieux répartir les efforts de lutte contre le réchauffement climatique au niveau mondial.

Dans ces débats, la psychologie de l’équité est mobilisée et se fonde sur ce que chacun perçoit être la situation de départ.

Or, un désaccord sur le point de départ entraîne nécessairement un désaccord sur le niveau de responsabilité et donc sur le niveau d’efforts à consentir. Si l’on considère que la situation de départ est le monde pré-industriel, alors les États-Unis et l’Europe sont responsables de la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre et doivent fournir la plus grande part de l’effort pour réduire les émissions mondiales.

Une petite Sénégalaise observant la construction d’une digue
À Saint-Louis (Sénégal), en août 2021, une petite fille observe les travaux de construction d’une digue contre la montée des eaux due au réchauffement climatique. John Wessels/AFP

Mais si l’on considère que le point de départ est la situation actuelle, alors c’est la Chine qui devient le premier émetteur mondial et qui doit faire le plus d’efforts. Autrement dit, la façon dont la situation de départ est conçue, par les pays et par les individus, conditionne les droits et les devoirs de chacun et détermine si les politiques climatiques coïncident avec le besoin d’équité des citoyens.

La lutte contre le réchauffement climatique nécessite le déploiement rapide de dispositifs techniques et de politiques publiques nouvelles qui ne peuvent pas considérer les questions d’équité comme une réflexion de second ordre.

Éviter la tragédie des communs suppose que la psychologie humaine, le besoin d’équité et de réciprocité et la gestion de la réputation, soient véritablement intégrés au cœur de la conception des politiques climatiques.

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