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Recyclage : les entreprises sociales et solidaires face à un marché de plus en plus concurrentiel

Conteneur Le Relais
La structure le Relais collecte aujourd'hui moins de vêtements : les consommateurs les revendent de plus en plus sur des plates-formes comme Vinted. Wikimedia commons/Chabe01, CC BY-SA

Dans les années 1990, au Québec et en France, naissaient les entreprises de l’Économie sociale et solidaire (ESS), mises à l’honneur en ce mois de novembre, spécialisées dans le recyclage. Les ressourceries québécoises, dans le cadre de l’Alliance recherche universités collectivités en Économie sociale (ARUC-ES), cherchaient déjà à détourner les déchets de l’enfouissement ou de l’incinération, en développant des circuits de collecte, de revalorisation et de réemploi.

Au même moment, en France, des associations de solidarités internationales, collectant des encombrants et des équipements courants à destination des populations précaires en Afrique de l’Ouest et en Europe de l’Est, prenaient la forme d’« entreprise sociale d’insertion par l’économique », comme nous l’avions observé dans nos travaux. Via les régions de Picardie et des Hauts-de-France, la France a ensuite élargi son modèle de collecte-revalorisation-réemploi solidaire en 2000 avec ses premières ressourceries en milieu urbain et périurbain.

Selon les chiffres publiés en 2023 par l’Observatoire national des ressourceries et recycleries (2023), on dénombrait en 2021 158 structures exerçant ce type d’activité. Depuis plus de 20 ans, ces organisations de l’ESS collectent, réemploient et valorisent les déchets qui proviennent soit des dépôts des particuliers (textiles, livres, vaisselles, bibelots, jouets, équipements de puériculture, meubles, etc.) soit des déchetteries.

En d’autres termes, comme le soulignait le sociologue Baptiste Montsaingeon dans son ouvrage Homo detritus (Éditions du Seuil, 2017) :

« Après avoir enfoui les déchets, la pratique est devenue celle de leur réduction mais surtout de leur recyclage et de leur réutilisation. Avec l’économie circulaire, l’idéal d’un monde sans déchets, sans rebut, a créé un certain marché de la vertu écologique ».

Or, ce contexte a incité des sociétés commerciales, hors du champ de l’ESS, à se saisir de cette opportunité de marché générée par l’essor de « business écologique ».

La concurrence de Vinted

Vinted en constitue à ce jour sans doute le meilleur exemple. Cette entreprise a été créée en Lituanie en 2008, sur un projet de marché de l’occasion du textile. Depuis, la plate-forme d’achat-vente de vêtements a bâti son succès en permettant au consommateur de faire des économies ou de gagner quelques euros tout en réalisant un « geste écolo », en l’occurrence la réutilisation d’une pièce destinée au rebut. L’entreprise Nord Sud Export a développé, de son côté, un commerce international de vêtements d’occasion hommes-femmes-enfants en quittant l’Europe où elle a été créée en 1985, pour rejoindre en 2003 les Émirats arabes unis. Eurotex Discount, basée à Nantes, s’est également spécialisée dans la collecte et le recyclage de textiles en se déclarant « grossiste en friperie ».

En conséquence, ce type de stratégies participe à l’appauvrissement des acteurs de l’ESS déjà présents sur ce marché. Un certain nombre de ressourceries n’ont ainsi pas survécu à cette dynamique, à l’image de la Ressourcerie de l’Île en agglomération nantaise placée en liquidation judiciaire en mars 2023 après 13 ans d’activité. Une entreprise comme Le Relais, dont les boîtes de collecte de vêtements, linge et chaussures sont présentes dans de nombreuses villes françaises, pâtit également d’une baisse du nombre de pièces recueillies, que les consommateurs préfèrent désormais revendre.

Or, ces entreprises sociales portent des postes d’insertion par l’activité économique au service des personnes et du territoire. Mais, la perte d’activités de collecte, de tri, de revalorisation par le nettoyage ou upcycling, ou encore de réemploi via la filière de production d’isolant, peut rapidement les mettre en difficulté sociales et financières. Pourtant, ces entreprises de l’ESS ont été des innovatrices socioécologiques en défrichant une opportunité d’affaires devenue rentable que d’autres s’approprient sous objectif de profitabilité.

Des entreprises pionnières de l’innovation

Le Relais agit par exemple depuis 30 ans pour l’insertion de personnes en situation d’exclusion du marché du travail, en créant des emplois durables dans l’activité textile-linge de maison-chaussures : collecte, tri, réparation et valorisation. Pour ce faire, ce réseau a créé les premières entreprises à but socioéconomique (EBS). Le Relais, aujourd’hui membre d’Emmaüs France et de l’Inter réseaux de la fibre solidaire (IRFS), défend les valeurs de solidarité et de générosité défendues par l’abbé Pierre et l’ESS.

Ces entreprises d’ESS, qu’il convient de soutenir au service des personnes, des citoyens et des territoires dans le cadre du développement durable et de leur capacité d’innovation de rupture (projet, expérimentations, défrichage), doivent donc continuer à innover face à des sociétés commerciales qui interviennent désormais via l’économie circulaire sous processus d’innovations incrémentales.

C’est par exemple ce que nous montre le cas d’Envie autonomie, un réseau de magasins de matériel médical reconditionné. Lauréat du « French’Impact » en 2018, elle se transforme en Société commerciale d’intérêt collectif nationale (SCIC.N). Envie autonomie de manière à développer la collecte, la revalorisation des matériels et équipements médicaux inutilisés afin de les remettre à disposition à prix solidaire, et ce en respectant des conformités réglementaires. Une autre manière d’envisager un modèle d’économie écologique : l’ESS au service du développement durable !

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