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Relance verte : le potentiel d’un double bénéfice écologique et économique

Pour un plan de relance verte cohérent, les mesures budgétaires ne suffiront pas. Shutterstock

Le gouvernement a dévoilé début septembre les détails de France Relance, son plan de relance pour l’économie. Doté de 100 milliards d’euros sur 2 ans, il doit répondre à la crise majeure engendrée par la pandémie liée au coronavirus. Au sein de cette enveloppe, 30 milliards sont consacrés à la transition écologique.

Il n’est pas (encore) possible de proposer une évaluation macroéconomique de ces annonces. Néanmoins, à la demande du Haut conseil pour le climat (HCC), l’Agence de la transition écologique (Ademe) a simulé au printemps dernier les effets du plan de relance proposé par l’Institut pour l’économie du climat (I4CE) en avril, conçu pour permettre d’atteindre certains objectifs sectoriels de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) en 2030.

Si les plans du gouvernement et d’I4CE sont distincts, ils subventionnent les mêmes secteurs économiques, dans des ordres de grandeur similaires à court terme. Ainsi, les mécanismes déclenchés par le volet vert de France Relance devraient être les mêmes que ceux explicités par la modélisation de la relance I4CE : on peut donc s’attendre à des effets macroéconomiques proches.

Si ces effets se confirment, le programme du gouvernement pourrait amorcer une trajectoire énergétique compatible avec la SNBC, tout en présentant des effets positifs sur l’activité, l’emploi et les comptes publics.

Ceci toutefois à plusieurs conditions. En premier lieu, l’effort budgétaire vert doit croître dans le temps. De 10,6 milliards d’euros supplémentaires par an à court terme, il faudra passer à +20 milliards par an sur 2024-2028, selon I4CE, pour les trois seuls secteurs de la rénovation des bâtiments, des transports et de l’énergie renouvelable.

Ensuite, les mesures budgétaires ne suffiront pas : des évolutions réglementaires ambitieuses sont également indispensables.

Enfin, la relance verte doit être coordonnée. Au niveau français, cela passe par la compatibilité de toute mesure, qu’elle ait été prise au printemps, dans les autres volets de France Relance, ou qu’elle soit à venir, avec la SNBC. Au niveau européen, la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Union parait essentielle à la réalisation de nos objectifs à l’échelle planétaire.

Plus qu’une relance, c’est une transition ou une transformation profonde de nos économies qu’il s’agit d’opérer.

Plan de relance et objectifs climatiques

Think tank spécialisé notamment sur les sujets de financements nécessaires à la transition écologique, l’Institut pour l’économie du climat (I4CE) avait dévoilé début avril, puis actualisé en juillet, un scénario de plan de relance verte qui évaluait les investissements nécessaires pour être en phase avec 3 objectifs sectoriels fixés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).

En avril, ce plan donnait ainsi une fourchette basse des montants indispensables à mobiliser pour que la France respecte ses engagements climatiques. I4CE chiffrait alors ce besoin additionnel dans trois secteurs clefs de la transition énergétique (rénovation des bâtiments, transports, électricité renouvelable) à 5,2 milliards d’euros par an (0,2 point de PIB) jusqu’en 2023, avant de passer à 14,6 milliards d’euros par an sur la période 2024-2028.

En juillet, l’institut l’a actualisé en ajoutant les dépenses à engager sur la production de gaz renouvelable et les réseaux de chaleur, les infrastructures de recharge pour les véhicules électriques, à gaz et hydrogènes, les poids lourds et les bus bas carbone. Le besoin de dépenses publiques additionnelles est désormais évalué à 6,8 milliards d’euros par an jusqu’en 2023, avant de passer à 20 milliards d’euros par an de 2024 à 2028.

Dans les grandes masses et à court terme, les montants d’investissements verts prévus par France Relance (10,6 milliards d’euros par an supplémentaires sur deux ans pour les trois secteurs considérés ici : bâtiments, transports, énergies renouvelables) paraissent plus ambitieux que le chiffrage d’I4CE (6,8 milliards par an supplémentaires sur quatre ans).

Le plan gouvernemental a donc le potentiel d’amorcer une trajectoire compatible avec la SNBC, s’il veille à respecter trois conditions.

La première est d’amplifier dans le temps l’effort budgétaire : la transition écologique nécessite en effet un effort accru à moyen terme – 20 milliards d’euros supplémentaires par an de 2024 à 2028 selon I4CE.

La deuxième condition implique des mesures non budgétaires, par exemple réglementaires, ambitieuses. Citons en exemples les obligations de rénovation des bâtiments séquencées dans le temps (en fonction de leur consommation énergétique), la structuration de filières professionnelles, l’interdiction à la vente des véhicules les plus polluants, des voies de circulation et de stationnement réservées aux véhicules bas-carbone, etc.

Enfin, la dernière concerne les autres mesures du plan de relance (par exemple le soutien aux filières aéronautique et automobile, la baisse des impôts dits de production), qui ne doivent pas contrecarrer les efforts attendus en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Comparaison des plans de relance verte « France Relance » et I4CE. Ademe

Énergies renouvelables, transport et bâtiment

Le plan d’I4CE présente des mesures dans trois secteurs de transition : le bâtiment, les transports et les énergies renouvelables.

En la matière, une hausse de dépenses publiques de 2 puis 5 milliards d’euros par an d’ici à 2028 est indispensable afin de parvenir aux 44 % d’électricité d’origine renouvelable prévus par la programmation pluriannuelle de l’énergie à horizon 2030.

France Relance propose un soutien à l’hydrogène de 1 milliard d’euros supplémentaires par an, mais ces dépenses devraient être complétées par le volet « Technologies propres » du Programme d’investissement d’avenir 4. Chiffré à 1,1 milliard d’euros en plus par an, ce volet doit fournir des solutions relatives à l’hydrogène et aux biocarburants, mais également au recyclage, à la réincorporation de matériaux recyclés, aux produits biosourcés, aux agro-équipements pour la transition écologique à la décarbonation de l’industrie.

En ce qui concerne les transports, le plan d’I4CE prévoit une augmentation des dépenses publiques de 0,5 puis 1,5 milliard d’euros par an d’ici à 2028 pour l’acquisition de véhicules bas carbone (hors hybrides), notamment via l’augmentation à 8 000 d’euros de la prime au véhicule électrique (contre 7 000 euros aujourd’hui pour les véhicules de moins de 45 000 euros). Toujours selon ce plan, l’État investirait également dans les réseaux cyclables (+1 milliard d’euros par an) et ferroviaire (doublement du taux de subvention au réseau, +1 puis +2 milliards d’euros par an d’ici à 2028). Le plan gouvernemental, en jouant sur les mêmes leviers, parait plus volontariste à court terme (+4,4 milliards d’euros par an, contre 2,3 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici à 2024, mais 5,2 milliards d’euros en plus par an d’ici à 2028, pour I4CE).

Quant au bâtiment, il est notamment question d’augmenter les aides et l’accompagnement à l’isolation des logements particuliers. Un supplément de dépenses publiques de 1,7 milliard d’euros par an est prévu par I4CE jusqu’en 2023, puis de 8,6 milliards d’euros par an d’ici à 2028, contre 1 milliard d’euros par an au sein de France Relance. L’effort du plan gouvernemental se concentre sur la rénovation thermique des bâtiments publics, la rénovation des immeubles du tertiaire privé nécessite relativement moins de soutien.

Rappelons que ces montants d’investissement supplémentaires ne permettront d’atteindre les objectifs de la SNBC que s’ils sont couplés à des mesures non budgétaires. Pour un plan de relance global comme le propose I4CE, il ne suffit pas d’agréger des dépenses. C’est bien d’un programme de transition cohérent dont nous avons besoin, ayant recours aux différents leviers de politique publique à disposition afin de minimiser le coût global de la transition.

Comparaison des plans de relance verte « France Relance » et I4CE, détail. Ademe

Les conditions du succès

Selon les travaux de l’Ademe le plan d’I4CE générerait un « double dividende » positif à la fois pour l’économie et pour le climat : un regain d’investissement dans la transition écologique permettrait à la France de relancer son économie, d’améliorer à long terme ses comptes publics, d’affirmer son indépendance énergétique, tout en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre. Les secteurs de la transition sont relativement plus intensifs en main d’œuvre, peu délocalisables et générant peu d’importations (le BTP en est un bon exemple). Ainsi, une hausse de l’investissement ciblée sur ces secteurs exercerait un effet d’entraînement positif sur l’emploi, la consommation et donc la production.

Cette relance verte déboucherait en effet sur la création nette de 320 000 emplois directs, indirects et induits à horizon 2025 et de 630 000 emplois d’ici à 2030 (le gouvernement de son côté a annoncé la création brute de 160 000 emplois en 2021).

Elle entraînerait également une augmentation du revenu disponible brut des ménages de 3,4 % en 2030, une progression de la consommation qui elle-même générerait une croissance de la production et donc du PIB de 1,7 % en 2025 et de 2,7 % en 2030 par rapport au scénario tendanciel – c’est-à-dire sans relance verte.

Grâce au regain d’activité, l’État percevrait un supplément de recettes fiscales, si bien que le déficit public diminuerait de 0,5 point de PIB et la dette publique de 7 points de PIB en 2030.

Notons néanmoins que le supplément de consommation générerait une hausse des importations de biens manufacturés, qui compenserait la baisse de la facture de combustibles fossiles importés. Le déficit de la balance commerciale en pourcentage du PIB augmenterait de 0,5 point.

Une taxe aux frontières pour réduire notre empreinte carbone

Les travaux de l’Ademe montrent également que dans un scénario sans relance verte, l’empreinte carbone de la France – qui comprend l’ensemble des biens consommés sur le territoire, y compris importés – pourrait croître de 120 MtCO2 en 20 ans.

Le plan de relance conçu par I4CE freinerait cette hausse à 70 MtCO2, sous deux hypothèses implicites et assez pessimistes de notre étude : que les émissions domestiques dans l’industrie et l’agriculture ne baissent pas, et que le reste du monde ne réduise pas le contenu carbone des biens manufacturés qu’il produit. L’empreinte poursuivrait alors sa progression, mais dans des proportions moindres, malgré la relance.

Afin d’atténuer notre empreinte, il faudra accélérer les gains d’efficacité énergétique dans l’industrie, en France et dans le reste du monde. Pour éviter les délocalisations et la fuite des activités carbonées vers des pays moins contraignants en matière de législation environnementale, tout en incitant nos partenaires commerciaux à lutter contre le réchauffement climatique, l’Union européenne prévoit d’instaurer une taxe carbone aux frontières.

Une telle mesure diminuerait le déficit de notre balance commerciale, augmenterait la compétitivité de notre industrie et créerait davantage d’emplois, à la condition que l’on maintienne les prélèvements obligatoires constants – les recettes des droits de douane finançant une diminution des impôts et/ou une augmentation des aides versées par l’État aux entreprises.

D’après une recherche réalisée par le BRGM et Sereuco Erasme pour le compte de l’Ademe, un tel dispositif permettrait d’accroître les gains mentionnés ci-dessus de 1,5 point de PIB supplémentaires en 2030.

Le volet vert de France Relance pourrait permettre à la France d’atteindre ses objectifs climatiques, fixés par la Stratégie nationale bas carbone, tout en ayant des effets positifs sur l’activité, l’emploi et les comptes publics, s’il comprend aussi des évolutions réglementaires ambitieuses. Cette perspective requiert également que la relance « verte » ne soit pas contrariée par la relance tout court, laquelle s’est historiquement accompagnée d’une hausse des émissions : plus qu’une relance, c’est une transition ou une transformation de nos économies qu’il s’agit d’opérer, aux niveaux français, européen et international.

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