Le confinement menace les besoins fondamentaux humains que le psychologue Abraham Maslow compte pour sa part au nombre de cinq : physiologiques, de sécurité, d’appartenance sociale, d’estime de soi et d’accomplissement.
Ces besoins seraient organisés sous forme de pyramide avec l’idée que les besoins physiologiques doivent être assouvis en premier lieu, puis viennent ceux associés au sentiment de sécurité, et se terminent par les besoins d’accomplissement.
Dans ce cadre, on peut comprendre les réactions parfois vives des individus cherchant à faire des réserves de nourriture à tout prix, puisque le danger lié à l’épidémie fait peser un risque potentiellement vital sur chacun, sentiment de risque encore augmenté avec le confinement et l’entrave à la liberté de circuler.
Ici, les émotions de peur et les angoisses de mort sont accentuées par la difficulté ressentie à pouvoir librement assouvir ses besoins primaires. Les comportements associés sont donc à comprendre dans le cadre d’une lutte pour la survie, se transformant par exemple en rixes dans les supermarchés. Le confinement pourrait donc entraîner le repli sur soi et l’individualisme, c’est-à-dire la préservation de sa propre survie.
Les interactions sociales, un besoin humain fondamental
Les travaux de John Bowlby et sa théorie de l’attachement nous encouragent à envisager que le sentiment d’être en lien privilégié avec un être est un élément fondateur d’un développement harmonieux.
Ce lien d’attachement originel, avec des figures stables et aimantes, comme nos parents, se retrouverait dans notre besoin d’interaction sociale.
Ici aussi, la situation de confinement actuel menace cette nécessité d’interaction sociale puisque la population est exhortée à une distanciation sociale, ce qui peut expliquer les comportements, qualifiés de dangereux dans le contexte actuel, de regroupement, malgré les interdictions. Dans tous les cas, cela pourrait être une des raisons qui rendent ce confinement source de stress chez certaines personnes.
Comment, alors, en étant isolés, chacun chez soi, pouvons-nous combler ce besoin d’appartenance si vital ? En activant la présence sociale, c’est-à-dire le sentiment d’être en présence d’une personne « réelle ».
L’importance de la présence sociale
La présence sociale comprend deux éléments principaux : l’intimité et l’immédiateté. L’intimité correspond au lien qu’il y a entre deux personnes en interaction alors que l’immédiateté est la distance psychologique entre ces deux personnes.
Dans une interaction, ces deux éléments sont déterminés par plusieurs caractéristiques, comme les expressions du visage, la voix, l’apparence physique ou la gestuelle. Les outils du numérique peuvent remplacer une présence physique car ils donnent la possibilité de fournir certaines de ces caractéristiques. Ils servent de médiateurs entre les individus pour activer la présence sociale, ce qui est très important lors de ces temps de confinement. En jouant sur l’intimité et l’immédiateté, on peut renforcer l’impression d’être réellement en présence d’autres personnes.
Élodie, 30 ans, pense à cette voisine âgée qu’elle a souvent croisée dans l’ascenseur avant le confinement. Celle-ci doit se sentir seule maintenant. Elle décide de passer un petit mot sous sa porte. Elle lui laisse son numéro de téléphone et lui propose de l’aide, sans contact physique, quand elle en aura besoin. La voisine, émue et surprise, lui répond et promet de l’appeler si besoin. Elle dit se sentir moins seule. Ainsi, malgré les murs qui les séparent, elle a ressenti la présence d’Élodie : le petit mot active la présence sociale, la distance psychologique est raccourcie et l’intimité augmentée.
Quelles sont les réactions collectives spontanées ?
Les villes, grandes et petites, partout dans le monde, vivent des moments forts de partage, avec les habitants sortant les soirs sur les balcons ou se penchant à leurs fenêtres. Ainsi, on a vu des vidéos où des chanteurs et musiciens se font accompagner par les voisins. À Grenoble, Adeline Gueret, chef d’orchestre, mène sa baguette dans son quartier pour « maintenir les liens » grâce à la musique.
Au-delà du partage des moments musicaux, il y a le partage des moments de solidarité, par exemple, celle envers le personnel soignant manifestée aux balcons par des applaudissements.
Les images donnent l’impression d’être au théâtre où les spectateurs se trouvent aux balcons, et on imagine le personnel soignant sur la scène luttant contre le coronavirus : un sentiment puissant de présence sociale. Là aussi, la distance psychologique est raccourcie, l’intimité est intensifiée par les émotions partagées.
Plus dans la sphère personnelle, les « Apéros virtuels » se développent. Entre amis, en famille, on se connecte en ligne et on se rend compte qu’on n’est pas seul. Avec la vidéo, les voix accordées aux images renforcent ce sentiment de présence grâce à la capacité des technologies numériques à générer des expériences réalistes et immersives. Ces apéros peuvent aussi prendre des dimensions plus importantes, en termes de nombre de personnes impliquées, et sans médiateur numérique, quand on trinque aux balcons, « avec » les voisins.
Et du côté des entreprises et des acteurs des services ?
Certaines initiatives professionnelles vont directement dans le sens du renforcement de la présence sociale. Par exemple, Christophe Ruelle, coach sportif, a lancé un club de sport numérique.
Beaucoup de propositions de cours en ligne émergent, mais attention, s’ils ne sont pas en « live », ils peuvent ne pas autant renforcer la présence sociale. Or, s’il n’y a pas ce sentiment de présence sociale, les travaux montrent qu’autrui ne sera pas perçu comme un être social doté de sensibilité mais comme une entité artificielle.
En contexte numérique, ces initiatives de services gratuits « en groupe » sont particulièrement pertinentes afin de renforcer le sentiment de présence sociale. Des études montrent en effet que la présence sociale en ligne favorise l’attraction, la confiance et le plaisir.
Quelles autres idées pourraient être proposées ?
Dans les interactions médiatisées, professionnelles et personnelles, rajouter une photo de profil permet d’augmenter la présence sociale et de moins surcharger les réseaux que l’activation de la vidéo. Cela peut être particulièrement utile pour garder un lien dans le cadre éducatif actuel où les professeurs peuvent avoir la crainte de perdre le contact avec leurs élèves.
Parfois, des personnes sont isolées, vivent seules, sans connexion Internet, comme cela peuvent être le cas de certaines familles ou personnes âgées. Le besoin fondamental d’interaction sociale est pourtant bien là. Comment faire ?
Pourquoi pas, comme Élodie, imaginer des prises de contact entre voisins en faisant passer des messages par la boîte aux lettres ou sous la porte, en respectant les gestes barrières ? Dans ce cas, il est intéressant d’ajouter une photo de soi ou de sa famille, par exemple, pour augmenter la présence sociale, et favoriser l’émergence, chez les personnes isolées, du sentiment d’être en présence d’autrui malgré la solitude.
Et après ?
Certains préconisent que le coronavirus changera le monde d’une façon permanente.
La linguiste américaine Deborah Tannen, par exemple, suggère que le paradoxe de la communication en ligne sera renforcé : plus de distance physique, oui, mais aussi une meilleure qualité de la « connexion », c’est-à-dire de la présence sociale (plus d’intimité et moins de distance psychologique).
Cette crise permettra-t-elle ensuite de conserver cette rupture de barrières individualistes ? Garderons-nous la conscience du besoin de présence sociale ? Il faudra penser à ceux qui sont actuellement sur le front à sauver des vies, car ce sont eux qui auront le plus besoin de notre présence pour remonter la pente.