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Science ouverte et Covid-19 : Une opportunité pour démocratiser le savoir ?

Le libre accès aux résultats scientifiques permet de lutter contre la pandémie. National Cancer Institute, Unsplash, CC BY

Nos chercheuses et chercheurs sont confrontés au quotidien au dilemme suivant, que la pandémie a révélé au grand public : « Comment faire bénéficier la société dans son ensemble des résultats de recherches financées par des fonds publics et qui concernent des questions de première importance pour l’humanité, alors que les grands éditeurs mettent ces travaux sous séquestre ? »

Depuis le début du siècle, un nouveau modèle a émergé pour briser les barrières qui enferment le savoir, celui de la science ouverte (Open Science), transparente et accessible à tous. Cette approche novatrice a convaincu de sa pertinence de nombreux chercheurs et des décideurs, au premier rang desquels l’Union européenne, la science ouverte constituant un pilier de l’Espace européen de la Recherche (ERA).

Elle a même conquis certains éditeurs tels que les géants de l’édition Elsevier ou Springer qui transforment leurs modèles économiques et font désormais payer aux auteurs des frais de publication en libre accès. En France et pour l’année 2017, ces frais s’élevaient en moyenne – tous types d’éditeurs confondus – à 1754 euros par article.

D’autres modèles économiques sont possibles cependant, depuis le dépôt des articles sur des répertoires numériques jusqu’au financement public de l’édition en Open Access (par exemple, toujours en France, OpenEdition). La science ouverte, surtout quand elle n’est pas mise au service des éditeurs et de leurs profits, permet de démocratiser les savoirs, de surmonter les inégalités dans l’accès à la connaissance, en particulier dans les pays et les institutions les plus pauvres, tout en accroissant l’utilisation des preuves scientifiques en soutien à la prise de décision politique.

Faire face à la pandémie

Depuis janvier 2020, le paysage de l’édition scientifique s’est transformé de façon accélérée, s’éloignant toujours plus du modèle traditionnel de l’accès restreint et conditionnel à la connaissance.

Répondant à l’appel des autorités scientifiques de douze pays et aux exhortations de l’ONU, de l’Unesco, de l’OMS et de la Commission Européenne, la plupart des éditeurs commerciaux ont rendu disponibles aux chercheurs du monde entier et de façon rétroactive les articles relatifs à la Covid-19 et aux coronavirus. Les délais entre la soumission et l’acceptation des articles ont aussi été considérablement diminués, passant de cent à six jours en moyenne au cours des douze premières semaines de pandémie ! Il s’agit cependant ici d’un geste commercial temporaire plutôt que d’un basculement durable vers le libre accès généralisé à l’information scientifique, d’autant que la plupart de ces éditeurs continuent d’imposer aux auteurs des frais de publication qui ne cessent de croître.

Dans ce contexte, on constate de plus en plus que les chercheurs s’orientent vers des solutions de publication où ils ne cèdent pas leurs droits d’auteur aux éditeurs, où les résultats sont accessibles gratuitement et où les frais de publication, quand il y en a, reflètent le coût réel de la production.

Adopter la « prépublication » rapide

Un auteur peut aujourd’hui déposer sur un serveur informatique un manuscrit complet avant même que des pairs ne procèdent à son examen et avant la publication dans une revue à comité de lecture. Cette « prépublication » (preprint) permet aux auteurs de revendiquer une idée, de prendre date et d’accélérer la diffusion gratuite de leur travail. Elle peut être modifiée ou mise à jour, commentée par des spécialistes et conservée sur le serveur de prépublication même si elle est publiée ultérieurement dans une revue. Les prépublications peuvent être citées et indexées et font l’objet d’une attention croissante dans les médias d’information et les réseaux sociaux. La tendance à prépublier doit toutefois s’accompagner d’une grande vigilance quant à l’intégrité scientifique et la reproductibilité des résultats, sans quoi la crédibilité du processus serait remise en cause. Il est essentiel également que la presse généraliste, les décideurs politiques et le public comprennent le statut fragile et temporaire des informations contenues dans ces prépublications qui demeurent en attente d’une consolidation, voire d’une confirmation.

La recherche biomédicale a besoin de données accessibles. Christine Sandu/Unsplash, CC BY

La pionnière des plates-formes de prépublication est arXiv, née en 1991 et couramment utilisée depuis près de 30 ans par les physiciens et les mathématiciens. Plus récentes, medRxiv et bioRxiv, Research Square ou preprints.org ont vu leurs dépôts d’articles augmenter de façon très spectaculaire durant la pandémie de Covid-19.

Ce succès confirme que, lorsque l’urgence prime, c’est vers ces outils rapides que les chercheuses et chercheurs se dirigent en priorité, tant pour s’informer que pour informer. Les prépublications accélèrent également la mise en place de collaborations internationales permettant la compilation rapide d’un grand volume d’informations épidémiologiques et les manipulations d’un nombre gigantesque de données accumulées par de très nombreux scientifiques.

Ouvrir l’accès aux données

Au-delà de l’accès aux articles, la pandémie a souligné l’urgence de l’accès à des données génomiques, cliniques, mais aussi géographiques et économiques. Dès janvier 2020, les chercheurs ont téléchargé la séquence initiale du génome du SARS-CoV-2 dans une base de données en libre accès. Très vite également, la plate-forme de données européenne sur la Covid-19 a rendu accessibles les données issues de grands centres de données biomédicales en Europe et au-delà. Des informations essentielles sur le virus, ses mutations, son infectiosité, sa sensibilité à des médicaments existants, le terrain génétique de ses victimes, sont ainsi instantanément accessibles à tous les chercheurs intéressés. Sans le partage à un stade initial des données, ni les méthodes de dépistage ni les vaccins n’auraient pu être développés aussi rapidement.

La qualité et la fiabilité d’un article scientifique, publié dans une revue ou en prépublication, reposent en outre sur la qualité et l’accessibilité des données qui le sous-tendent et qui doivent être vérifiables. La rétraction du célèbre journal médical The Lancet d’un article sur l’inefficacité de l’hydroxychloroquine pour lutter contre la Covid-19 l’a démontré a contrario : les données, qui se sont avérées frauduleuses, n’étaient pas accessibles. Il faut donc encourager les scientifiques à gérer leurs données avec autant d’attention qu’ils publient leurs articles : en assurer la qualité scientifique – souvent trop faible actuellement –, les déposer dans des répertoires numériques certifiés et interopérables, selon les standards de leur discipline. À l’heure actuelle, seule une petite minorité des articles dédiés à la Covid-19 disponibles sur la base de données bibliographique en Open Access PubMed Central donne accès aux données sous-jacentes.

Impliquer les sciences humaines

Enfin, la pandémie, comme les autres défis de société, nécessite une collaboration entre spécialités. Si les sciences biomédicales tiennent le haut du pavé, la gestion de la communication et des politiques sanitaires ainsi que les effets de la crise sur la psychologie, l’économie et la culture requièrent d’urgence le partage des connaissances produites par les sciences humaines et sociales. La crise sanitaire y a suscité une prise de conscience et des efforts importants sont menés pour rendre visibles et mettre en connexion des initiatives jusqu’alors fragmentées.

Les chercheurs en sciences humaines et sociales s’impliquent également dans le débat public. Cent vingt académiques belges ont ainsi publié en Open Access des propositions argumentées pour une sortie de confinement durable tenant compte d’exigences d’équité sociale et de préoccupations environnementales. Les réflexions de certains d’entre eux ont été relayées également par le biais de chroniques publiées en libre accès dans la presse traditionnelle, contribuant notamment à mettre la santé mentale et la dimension psychosociale de la crise à l’agenda des décideurs politiques, quand bien même les comités d’experts mandatés continuaient de privilégier les considérations cliniques et épidémiologiques.

Indépendamment de la discipline, c’est donc la communauté scientifique dans son ensemble qui a l’opportunité de s’affranchir de son addiction aux revues « à haut facteur d’impact » et accélérer la circulation du savoir dans la société. Puissent les transformations suscitées par la pandémie inciter les chercheurs à s’inscrire plus résolument dans une trajectoire où l’ouverture et le partage rendront à la science et à la recherche leur fonction originale : servir l’intérêt de chacun et de la collectivité.


Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science en libre accès », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page Ouvrirlascience.fr.


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