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S’inspirer du biomimétisme pour repenser l’organisation de nos sociétés

Le Garden by the Bay à Singapour s’est inspiré des arbres pour concevoir ses célèbres tours. Roslan Rahman/AFP

Le Covid-19 met au défi la communauté scientifique. Non seulement la médecine, la chimie ou la biologie, mais également les sciences humaines, de l’histoire à la science politique en passant par la géopolitique et l’économie. L’étude des événements et des ruptures, du rythme et des modalités de sortie du confinement, du consentement des populations au déploiement des projets de puissance… les interrogations sont aujourd’hui multiples.

De nombreux choix éthiques s’imposent à nous, entre santé et redémarrage économique, retour au modèle productiviste et transition écologique, groupes sociaux et territoires à sauver ou à négliger.

Et si la meilleure manière d’opérer ces choix collectifs dans un contexte incertain et complexe était de réunir sciences dites « dures » et sciences humaines, afin de construire une architecture du système international inspirée de la nature ? C’est cela que l’on appelle le « biomimétisme ».

Qu’est-ce que le biomimétisme ?

S’inspirer de la nature pour répondre à ses besoins élémentaires est une démarche extrêmement ancienne.

Dans l’Égypte antique, les colonnes des temples en bois ont été remplacées par la pierre tout en conservant la forme du palmier, du lotus ou du papyrus. À la Renaissance, Léonard de Vinci doit également à la nature nombre de ses inventions : « Apprenez de la nature, vous y trouverez votre futur », prophétisait-il. Le peintre italien Arcimboldo brossait quant à lui des portraits de ses contemporains à l’aide de végétaux, animaux ou objets astucieusement disposés.

Le biomimétisme n’a pourtant investi le champ de la science qu’assez récemment. Inventé au milieu du XXe siècle, le terme est popularisé par la scientifique Janine Benyus en 1997 dans son ouvrage Biomimicry : Innovation Inspired by Nature.

Elle lui attribue alors plusieurs définitions : la nature comme modèle, une source de solutions bio-inspirées pour résoudre les problèmes humains ; la nature comme mesure, en matière de standard d’innovation durable ; la nature comme mentor, source d’apprentissage.

En quelques mots, le biomimétisme consiste donc à s’inspirer des organismes vivants pour faire évoluer technologies et sociétés humaines vers plus d’efficience, en partant d’un constat simple : la recherche et développement du vivant a développé des innovations avec une économie de moyens… depuis 3,85 milliards d’années.

Trois types d’architecture fondés sur la nature

Le concept a connu un succès particulier en architecture, où la conception des bâtiments en a intégré les effets sur plusieurs décennies. Antoni Gaudí, bâtisseur du Barcelone moderne, avançait que « l’architecte du futur construira en imitant la nature, parce que c’est la plus rationnelle, durable et économique des méthodes ». On distingue trois sortes d’architectures fondées sur la nature.

Stade olympique de Munich. moerschy/Pixabay, CC BY-NC-SA

L’architecture biomorphique imite la conception inspirée des formes organiques du vivant, par la morphologie, la structure ou le matériau : le stade olympique de Munich (1972) était ainsi inspiré des caractéristiques des ailes de libellules et des toiles d’araignées.

« The Gherkin » (le Cornichon), à Londres, s’inspire des éponges de verre. Loco Steve/Flickr, CC BY-NC-SA

L’architecture bionique s’appuie sur une composition et des lignes de force empruntant aux fonctions naturelles (température, ventilation, luminosité, etc.) : c’est en s’inspirant des éponges de verre (hexactimellida) que Sir Norman Foster a créé le « Cornichon » londonien (« The Gherkin », 30 St Mary Axe) afin de résoudre, à la façon de cet animal, les problèmes de circulation d’air et de ventilation.

L’architecture biomimétique, enfin, cherche des solutions durables dans le vivant sans vouloir en imiter les formes mais en identifiant des règles de fonctionnement dans des environnements donnés. L’idée dominante est de trouver des systèmes d’organisation résilients, optimisés, adaptable et conformes au développement durable : c’est l’exemple de Kalundborg, système émergé au cours des années 1990 autour d’une collectivité portuaire danoise et de quatre entreprises pour une meilleure utilisation de l’eau, de l’énergie et des déchets.

Les quatre grands principes du biomimétisme

La pandémie du Covid-19 a mis en lumière les vulnérabilités de nos systèmes productivistes mondialisés et illustré leur caractère insoutenable. Face aux multiples choix éthiques, sociaux et moraux, l’approche biomimétique offre plusieurs principes d’organisation systémiques utiles.

Le premier est la parcimonie : le vivant est économe dans l’utilisation des ressources, notamment dans les matériaux utilisés. Il sait capter et utiliser l’énergie avec efficience, mais aussi faire systématiquement le choix du renouvelable pour ne pas épuiser les ressources existantes. Il utilise également les déchets comme des ressources, pouvant fonctionner en circuit quasi fermé.

Deuxième principe, la coopération. Il implique des échanges et des relations réciproques entre plusieurs éléments au sein d’un écosystème ou d’une même population. L’historien Yuval Noah Harari fait de ce principe l’explication du règne d’homo sapiens, l’espèce la mieux à même de collaborer largement. En ajoutant des « artères au système », la coopération permet d’en renforcer la résilience, avec le recyclage en fin de vie des produits. Elle est bien souvent située dans un environnement proche, permettant de s’approvisionner localement.

Le troisième principe concerne l’optimisation, qui tend à privilégier la qualité d’un produit plutôt que sa quantité, réduisant ainsi l’impact environnemental. Alors que la maximisation recherche toujours plus, l’optimisation tente de combiner au mieux en fonction d’un environnement donné, pour des raisons sécuritaires ou environnementales. Disposer de bonnes informations et savoir les traiter est indispensable.

Enfin, l’approche biomimétique accorde une grande importance au principe de responsabilité. C’est l’idée selon laquelle un oiseau « ne peut pas souiller son nid » : le maintien de son environnement amène à prévenir la pollution plutôt qu’à la réparer.

Dans le contexte du Covid-19, le sociologue Bruno Latour reprend ce principe et appelle pour sa part à imaginer des gestes barrières afin non plus « de reprendre ou d’infléchir un système de production, mais de sortir de la production comme principe unique de rapport au monde », et de retrouver un équilibre au sein de la biosphère.

Au-delà du clivage entre souveraineté et mondialisation

Si le biomimétisme a déjà trouvé de nombreuses applications, nourri par la progression de nos connaissances sur le vivant, il n’a jamais été pensé pour guider l’organisation de nos sociétés.

Si louables soient-ils, ses différents principes ne fournissent pas en effet de ligne de conduite évidente. Ils nous exposent à des contradictions internes : toute imitation de la nature ne se fait pas nécessairement en faveur de l’environnement, si elle conduit à augmenter par ailleurs des ressources carbonées. Produire de nouveaux filets de pêche inspirés du monde vivant pour racler davantage le fonds des océans ne serait guère durable.

Il convient également d’appréhender ces principes dans un cadre mondialisé pour lequel cette transposition peut présenter de nombreuses difficultés : si un circuit court paraît vertueux, produire du blé en Arabie saoudite serait peut-être louable du point de la souveraineté alimentaire de ce pays mais aberrant au vu de ses ressources disponibles en eau.

Le commerce international est de ce point de vue bénéfique pour éviter les famines comme l’épuisement des ressources. Le débat ne peut donc se résumer entre partisans de la souveraineté et ceux du marché mondial, mais dans l’articulation entre différents niveaux.

Divers scénarios biomimétiques

La vitesse de propagation de l’épidémie a révélé le manque de résilience de nos systèmes sociaux et mondiaux. Les Européens, entre autres, seront amenés à envisager une nouvelle production sur une base plus locale ou régionale, mais dans quelle proportion ?

Le biomimétisme en matière architecturale peut nous inspirer un nouveau contrat social, à l’échelle des sociétés comme au niveau mondial. Selon le type d’architecture inspiré du biomimétisme – le biomorphisme, le bionique et le biomimétique – les scénarios pourraient être très différents.

Un modèle biomorphique garderait les principaux cadres de la situation actuelle, avec quelques réformes ciblées mais peu d’éléments nouveaux susceptibles de le faire évoluer en tant que système. C’est un modèle de statu quo qui en ressort.

Les modifications du système ne seraient qu’esthétiques, n’envisageant pas les changements environnementaux comme des priorités vitales. On peut imaginer des coopérations sectorielles ou l’inclusion de plus de productions locales, faisant prévaloir les principes de parcimonie et d’optimisation pour renforcer l’échelon régional, au détriment de principes plus larges de coopération et de responsabilité.

Par contraste, un modèle bionique d’architecture du système international, assimilant celle-ci à un organisme vivant, avec ses fonctions, son comportement et son métabolisme, s’intéressera moins aux réformes qu’aux changements induits par l’utilisation et l’exploitation du système par divers acteurs. Il chercherait à accroître la coopération dans un cadre existant, comme celui de l’OMS et d’autres organisations internationales, dont on reconnaît la nécessité tout autant que les insuffisances. Les barrières et régulations mises en place au niveau international mèneraient à davantage de coopération et de responsabilité, sans pour autant attacher trop d’importance aux principes d’économie et d’optimisation.

Enfin, le modèle biomimétique relationnel amène à une plus grande vigilance vis-à-vis des contraintes de la biosphère et à porter une attention privilégiée au principe d’optimisation, grâce à de nouvelles chaînes d’approvisionnement tenant compte des principes d’économie et de responsabilité dans un cadre coopératif, comme dans l’expérience de Kalundborg ou dans la permaculture et l’agroforesterie.

Un modèle possible pour l’après-Covid

La période qui s’ouvre engage à identifier politiquement les problèmes de soutenabilité, de résilience et d’agilité, ainsi qu’à les traiter à la bonne échelle, du local au multilatéral, du national à l’européen. C’est sur l’ensemble des échelles du politique que se joue le succès du biomimétisme, qui peut nous aider à transformer les imaginaires de nos sociétés.

Ce modèle du biomimétisme sera-t-il suivi, contribuant à indiquer une direction et donc à endosser le rôle d’une boussole ? Il doit pour réussir s’appuyer sur une masse critique d’acteurs, y compris économiques, à même d’entraîner avec lui l’ensemble des sociétés dans une transformation large et profonde de nos modes de vie.

La conjonction des crises environnementale et sanitaire offre à cette approche une occasion historique de contribuer à la prise en compte de solutions durables.

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