L’appellation commune « sports de glisse » regroupe selon les classifications nombre d’activités sportives. Les classifications existantes n’ont pas toujours une approche scientifique et sont souvent basées sur le fait d’utiliser un équipement… qui glisse. L’aviron ou le patinage sur glace sont ainsi souvent placés sous la même étiquette. Mais si une planche est presque toujours le dénominateur commun des pratiques de glisse (snowboard, surf, skate, ski, kitesurf, wakeboard, etc.), le type d’engin utilisé ne suffit pas à définir un sport de glisse.
Qu’est-ce que la glisse ?
La glisse est définie avant tout comme un système original de valeurs sportives faisant partie intégrante d’un mouvement culturel. Au-delà de la pratique d’un sport, cette communauté se définit par une manière de le pratiquer, et par un ensemble de codes culturels liés à un style de vie. Celui-ci est par ailleurs mis en avant depuis plus d’une décennie par les marques de l’industrie des sports de glisse. Pour Rip Curl par exemple, le style de vie est orientée par « the search », autrement dit la « quête », philosophie et slogan de toute la communication de la marque véhiculant les images de liberté, de nomadisme et d’hédonisme liée à la recherche du « spot » parfait, des conditions parfaites, mais aussi à la recherche de la découverte de soi, via les voyages, les rencontres et le partage d’expérience. Les membres de la communauté glisse sont devenus les managers de ces marques qui, lors des salons professionnels, sont regroupées sous l’ombrelle « Action sports ». Selon la communication d’ISPO, le plus gros salon international des sports outdoor :
« Le sport d’action, c’est de l’adrénaline pure : le snowboard, le skateboard, le longboard, le surf, la descente, le freeski, le VTT et bien d’autres choses encore accélèrent vraiment votre rythme cardiaque. »
Pour comprendre les valeurs et l’esprit de la glisse d’une manière générale, il convient d’analyser ces activités sportives par le biais d’une approche technique. En effet, pour Alain Loret la glisse peut se définir comme « la désorganisation à l’échelle de l’individu des systèmes rationnels et géométriques de la pensée sportive », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de geste à reproduire. C’est un passage du geste mesuré au mouvement vécu. L’action motrice est liée aux émotions qu’elle va engendrer et non à la performance qui ne résulte. Pour Vigarello, la glisse c’est l’aventure motrice et perceptive, mais à l’échelle de la sensation privée, le « vertige de l’intime ». La pratique sportive n’est donc pas centrée en priorité sur une approche rationnelle du sport et à la performance mais est liée à la recherche d’émotions.
Cette description de la part des historiens et sociologues du sport va au-delà de la pratique et permet de percevoir les notions de sensible, imaginaire et d’instant dionysiaque typiques des valeurs de cette communauté. Les glisseurs sont sensibles à l’esthétisme ; ils accordent beaucoup d’importance aux photos dans les portfolios des magazines spécialisés, au graphisme et au design du matériel. La vie de la communauté est aussi axée sur les moments de rencontres, moments festifs lors desquels l’imaginaire est cultivé. Le succès des films de glisse ou festivals de films, mais aussi la forte implication des marques dans la production de films de glisse en est une illustration.
Ainsi, La glisse se définit plutôt à travers une manière de pratiquer telle ou telle activité sportive et de s’immerger dans son univers.
Freeride vs freestyle
L’observation des communautés de glisseurs montre que la culture glisse est séparée en deux. Elles revendiquent toutes deux leur appartenance à la « grande » communauté des glisseurs et s’inspirent des mêmes valeurs, mais elles n’en sont pas moins bien distinctes, que ce soit au niveau du type de pratique, au niveau vestimentaire, comme au niveau des codes et des types de fonctionnement. On retrouve les freeriders et les freestylers. Le distinguo est important pour bien saisir le fonctionnement des deux groupes. La pratique freeride, c’est la pratique libre, hors des cadres, « hors pistes », à la recherche de l’aventure et de la ligne parfaite dans une confrontation avec les éléments naturels. L’influence de la culture de la montagne pour les pratiques hivernales y est prégnante.
Le pratique freestyle est celle du « style libre », centré sur les figures acrobatiques réalisées quel que soit le terrain, naturel ou urbain, et quel que soit l’engin (ski, snowboard, skateboard, roller, kayak, BMX, wakeboard, etc.). Serre les définit comme des sports ayant une approche acrobatique et créative de la pratique sportive, souvent appelés sports alternatifs en opposition aux sports fédérés. L’influence de la culture urbaine (skate, et maintenant hip-hop notamment) est importante pour ces communautés, comme le montrent leurs codes vestimentaires, la manière de se dire bonjour, mais aussi les musiques écoutées par ses membres. La communauté freestyle est plus jeune que la communauté freeride. D’ailleurs, souvent, le signe du vieillissement pour un membre de la communauté glisse consiste à passer de freestyler à freerider, le plus souvent entre 30 et 40 ans.
La glisse, une pratique multisport transversale
Le filtre « glisse » permet d’appréhender les sports non pas par leurs caractéristiques structurelles mais par le type de pratiques qu’on leur associe. Par exemple, la pratique du vélo tout terrain de descente est plus proche de la pratique du ski alpin, notamment de la pratique du boardercross (un parcours d’obstacle sur piste comportant des petites bosses, des sauts et des virages relevés), que du vélo de route. Ce n’est pas l’engin qui détermine la famille du sport mais la pratique elle-même, et tous les codes et signes qui lui sont associés. La figure ci-dessous cherche à mettre en valeur les synergies culturelles entre les sports au travers de leur pratique mais aussi leur culture de référence.
Ce tableau permet d’illustrer le fait qu’un skieur freeride va le plus souvent rester dans sa famille « freeride » même s’il change d’engin (longboard, surf, etc.). C’est le cas pour la famille du freestyle, dont les skateurs vont se transformer en snowboardeurs l’hiver et en wakeboarders l’été, (et vice-versa). Une caractéristique des membres de la communauté glisse réside d’ailleurs dans la pluralité de leurs pratiques glisse. Un groupe de glisseurs observé lors du Festival international des sports extrêmes (FISE) illustre cela parfaitement. Tous les membres du groupe pratiquent au moins trois activités freestyle ou freeride, réparties entre hiver, été et pratique urbaine. Tous se définissent comme des riders, quelle que soit leur discipline.
Les sports freestyle urbains tel le parkour, qui sont à la marge de la culture glisse, ne figurent pas dans ce tableau, mais du point de vue des valeurs et codes, ils sont très proches des pratiques de glisse freestyle.
Enfin, cette figure permet d’illustrer le fait que les systèmes culturels sont perméables et fortement soumis à l’influence d’autres systèmes culturels. Elle propose aussi une autre catégorisation, fondée sur une approche communautaire, qui pourrait servir de base pour les études sur les consommateurs « glisse » réalisées par les marques. Il est important d’en segmenter l’approche en ce sens, c’est-à-dire de sortir du modèle classique de catégorisation du pratiquant par type de sport. Cette typologie du consommateur-rider qui se réfère à sa tribu, son groupe d’appartenance, permet de prendre en compte les codes culturels de chaque catégorie et ainsi de répondre à ses attentes de manière plus pertinente et plus globale.
L’appartenance à la communauté glisse ne repose pas uniquement sur la pratique du sport (par exemple, les pratiquants occasionnels du ski : les touristes venant passer une semaine aux sports d’hiver n’appartiennent pas à cette communauté). La lecture de magazines spécialisés et le visionnage de vidéos de glisse fait partie intégrante de la vie du rider. Ainsi, les soirées autour du visionnage de vidéos, les apéros d’après-ski ou les discussions au bord du skatepark sont autant de moments permettant aux membres du groupe d’échanger, de partager leurs émotions, et de construire leur culture commune que ce soit au niveau du langage, de l’état d’esprit ou au niveau vestimentaire.
La connaissance commune des valeurs, pratiques et codes de l’univers du freestyle ou du freeride est un élément à la base de la constitution du groupe et de l’intégration d’un membre au groupe.