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Témoignage : Des jurys tirés au sort pour mieux recruter les enseignants-chercheurs ?

image de blocs de puzzle tangram avec des icônes de personnes sur une table en bois
Les comités de sélection (COS) sont élaborés par un professeur de l’université qui organise le recrutement. Shutterstock

Le recrutement des enseignants-chercheurs a été qualifié de concours par le Conseil d’État (CE, 25 février 2015, Université de Nice Sophia-Antipolis, Req n°374002). Dès lors, le principe d’égalité des candidats à un concours, découlant lui-même du principe constitutionnel d’égal accès aux emplois publics, implique que les candidats doivent être traités de manière identique tout au long du processus de sélection.

Par-delà des modalités dérogatoires encore embryonnaires, il s’agit de se demander si les procédures nationales permettent de garantir la qualité scientifique des recrutements d’enseignants-chercheurs mais aussi l’égalité des candidats devant des concours de la fonction publique et donc questionner l’endo-recrutement.


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Les enseignants-chercheurs sont des fonctionnaires recrutés par les universités au terme d’un processus exigeant. Leur parcours est d’abord soumis à l’évaluation et la validation préalable du CNU (conseil national des universités), instance collégiale de professeurs d’université et maîtres de conférences qui jugent si le profil du candidat répond bien aux critères définis sur le plan national. Puis, celui-ci peut postuler auprès des universités en fonction des besoins que celles-ci expriment, à travers la publication de fiche de postes.

Des comités de sélection (COS) sont alors élaborés par un président de COS, professeur de l’université qui recrute, et validés par les instances de l’Université. Les membres du COS sont des enseignants-chercheurs de la discipline ou des disciplines requises par le poste. Les règles de constitution de ces COS imposent des impératifs de quorum de genre et des impératifs de quorum de rattachement (la moitié au moins des membres du COS ne doivent pas être membres de l’université qui recrute).

Ces règles ont pour objectif de limiter le « localisme » (tendance à privilégier les candidats venant de l’université qui recrute) et le clientélisme cooptatif des recrutements. Le COS procède à une pré-sélection sur dossiers puis à des auditions des candidats présélectionnés. Sur le papier, tout semble réuni pour une équité des recrutements. Le CNU apparait comme un garant de la qualité des parcours et le COS garant de l’adaptation du candidat aux besoins. Mais le diable est dans les détails et plusieurs questions demandent à être ouvertes : qui définit la fiche de poste ? Qui choisit les membres du COS ?

Des failles aux garanties d’égalité

Les postes mis au recrutement sont supposés répondre aux besoins de formation des composantes et aux besoins de recherche des laboratoires, matérialisés par la fiche de poste.

Les présidents de COS ont des moyens d’action importants : définir les membres du COS, composition ensuite validée par une instance de l’Université, pluridisciplinaire par définition, et donc éloignée des enjeux de pouvoir de la discipline. Ils attribuent à chaque membre du COS les candidats sur lesquels ils doivent rédiger un rapport au regard du dossier envoyé par le candidat.

Dans une session première, le COS décide alors des candidats retenus pour audition. A l’issue des auditions, le COS dresse un classement des candidats pouvant prétendre à occuper le poste. L’instance décisionnaire de l’université entérine ou pas cette liste. Il est assez rare qu’elle ne soit pas entérinée.

Rangée de dirigeants d’entreprise aux visages souriants devant leurs visages
Les procédures nationales permettent-elles de garantir l’égalité des candidats aux postes d’enseignants-chercheurs ? Shutterstock

Les garanties d’égalité des candidats sont-elles respectées ?

Des failles existent. Ainsi, pour créer un écran de respectabilité à des pratiques non éthiques, un des moyens le simple est d’utiliser la définition des besoins grâce à une fiche de poste correspondant à un seul candidat. La fiche de poste est alors tellement spécifique que seul un candidat local prédéfini pourra y satisfaire : les postes que le jargon universitaire appelle les « postes à moustache ».

La seconde faille tient aux moyens d’action importants des présidents de COS : la définition des membres du COS, composition généralement validée par une instance de l’université, pluridisciplinaire par définition, et donc éloignée des enjeux de pouvoir de la discipline. Le choix des membres du COS mais aussi le pouvoir d’attribution des rapports de chacun des candidats à deux rapporteurs, membres du COS deviennent alors des moyens opaques d’infléchir la décision finale du jury.

Des « endo-recrutements »

L’ambition de la réforme de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) était de s’attaquer à la variante locale du clientélisme en prévoyant la condition d’extériorité posée à l’article L. 952-6-1. Le principe de cooptation collégiale par les pairs, règle universitaire, devrait-il être mieux encadré ? L’esprit de la loi est-il respecté ?

Selon le professeur Charles Fortier dans Recrutement universitaire : accélérer le changement (AJFP 2015) reste caractérisé par une « fermeture du marché » et une « domination des pratiques clientélistes, qui portent atteinte non seulement à l’égalité entre les candidats, mais à l’objectivité du recrutement (pour reprendre le critère wébérien du bon recrutement) ». Il indique que l’une des dysfonctions tient au fait que les membres extérieurs sont proposés, pour chaque concours, par les ressortissants locaux de la discipline considérée, et que dès lors « rien ne pouvait exclure qu’ils fussent choisis au gré des relations personnelles selon les enjeux en cause. » Le dispositif s’avère au mieux « insuffisant et au pire contre-productif »

Son argumentaire résonne avec celui d’Olivier Beaud : avec une commission ad hoc, le fameux comité de sélection, rien ne peut empêcher que l’on compose un comité en fonction du résultat que l’on veut obtenir : après les profils de postes dits « à moustache », voici désormais les « comités de sélection à moustache ». Tout est donc calibré pour recruter la personne déjà identifiée que l’on veut recruter, sur un profil prédéterminé. Cette personne étant, comme par hasard, issue soit de l’université ou de l’établissement qui recrute… sans compter sur les réseaux et conflits de territoire de pouvoirs au sein des laboratoires.


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Selon une note d’information de la DGRH du ministère de l’enseignement supérieur, publiée en juin 2017, respectivement 20 % des maîtres de conférences (MCF) et 44 % des professeurs des universités (PR) ont été endo-recrutés et les données n’ont que peu évolué depuis 2000 : il s’agit de MCF qui ont passé leur thèse dans l’établissement où ils sont recrutés et, pour les professeurs, il s’agit de MCF exerçant préalablement au moment du recrutement, déjà en fonction dans ce même établissement.

Mais ces données masquent une partie importante des pratiques… et la question de la définition de la notion et donc des chiffres de l’endo-recrutement des universités mériterait une vraie analyse approfondie. Certes, les formes de détournement de pouvoir sont parfois difficiles à prouver mais il est de la mission des universitaires de penser cette question… En tout état de cause, la liberté universitaire ne peut pas être un paravent derrière lequel se cacheraient ceux qui ne respectent pas la déontologie universitaire.

Tirer au sort le jury de recrutement ?

Face aux deux facteurs principaux d’opacité, que peut-on faire ? Le laboratoire BONHEURS-EA 7517 de CY PARIS Université a décidé une procédure expérimentale pour recruter un MCF. Tout d’abord, la définition de la fiche poste a été large, pour permettre à de nombreux candidats de postuler : ce qui était requis était d’enrichir par ses travaux le projet scientifique du laboratoire, ce qui permettait à des candidats de disciplines différentes, d’objets de recherche différents de poser sa candidature en argumentant sur ce qu’il pourrait apporter l’équipe de recherche. Aucun « profil à moustache », donc et de fait 68 candidats ont postulé pour ce poste.

Ensuite le second levier était la constitution du COS. Nous avons donc :

  • intégré plus de membres extérieurs qu’intérieurs dans le COS (en l’espèce 6 intérieurs et 10 extérieurs)

  • tiré au sort les membres extérieurs du COS

  • attribué les dossiers aux rapporteurs selon une règle alphabétique

Ce tirage au sort avait pour enjeu d’éviter que le COS ne soit constitué de « proches » du président ou du laboratoire.

La première difficulté était d’établir une base de tirage au sort à savoir les universitaires des disciplines cernées par le recrutement. Aucune institution (ministères, Conseil national des universités, Direction générale de l’enseignement scolaire) n’a pu nous la communiquer.

Nous avons donc dû établir cette base de tirage au sort par nos moyens de recherche une liste de d’enseignants-chercheurs (EC), constituée à partir des sites des laboratoires français de sciences de l’éducation en y intégrant tous les membres sauf en ôtant les émérites et les MCF stagiaires qui ne peuvent pas être membres de COS. Elle n’était pas exhaustive, faute d’avoir accès à une telle liste nationale, notamment les enseignants-chercheurs dans des laboratoires d’autres disciplines, introuvables par des moyens « artisanaux » mais elle était conséquente (730 noms d’enseignants-chercheurs).

Nous avons aussi intégré une collègue d’une université étrangère (roumaine) que nous ne connaissions pas, dont la thématique de travail était la même que celle de note laboratoire et dont l’université est partenaire de la nôtre, collègue repérée par le service relations internationale de notre université.

Le tirage au sort à proprement parler a été réalisé par le vice-président de la recherche de notre université. Il a nécessité deux étapes : un premier tirage au sort n’a pas obtenu assez d’acception de participation des enseignants-chercheurs (trois, seulement un PR et deux MCF ont accepté immédiatement) : ce taux de refus important par les « tirés au sort » mériterait à analyse.

Le COS définitif a été constitué par un second tirage identique. Le recrutement a ensuite eu lieu selon la modalité d’une audition avec leçon.

Aucun système de recrutement n’est parfait. Le label européen HRS 4R (« Human Resources Strategy for Researcher ») vise notamment à améliorer les pratiques des organismes et établissements de recherche en matière de recrutement. Ce label impose des conditions d’ouverture des concours et d’équité des candidats notamment un code de conduite pour le recrutement des chercheurs et en appellent aux États membres pour assurer que les employeurs des chercheurs améliorent les méthodes de recrutement. Il s’agit de créer un système de recrutement qui soit plus transparent, ouvert, équitable et reconnu au niveau international, en tant que condition préalable à un véritable marché européen du travail pour les chercheurs.

Le tirage au sort des membres du COS pourrait-il se généraliser ? La toute nouvelle ministre de l’enseignement supérieur pourrait peut-être s’emparer de cette question.

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