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Theresa May, le Brexit et l’avenir de l’égalité des genres au Royaume-Uni

Theresa May quittera le 10, Downing Street, le 7 juin. Drop of Light / Shutterstock

L’annonce de la démission de Theresa May en tant que premier ministre, le 24 mai, n’était peut-être pas si surprenante, tant sa période au pouvoir a été marquée par l’absence de progrès dans la mise en œuvre du Brexit, comme elle l’a souligné dans son discours. Sa démission, d’abord comme leader du parti conservateur le 7 juin, marque également la fin du mandat de la deuxième femme premier ministre du Royaume-Uni. Bien qu’elle n’ait pas forcément fait de l’égalité des sexes l’une des priorités de son mandat, son bilan sur ce sujet mérite néanmoins d’être mentionné. Qu’a-t-elle accompli exactement pour les femmes depuis sa prise de fonction en 2016 ?

Des avancées et des concessions

Au passif de son bilan, on pourra déjà noter (comme les détracteurs de May) qu’elle a constamment soutenu les mesures d’austérité pour lesquelles les femmes sont souvent les premières touchées en raison des coupes dans les services publics et des gels dans les salaires du secteur public. En outre, son traitement des réfugiées, dont les associations d’aides ont aussi vu les subventions diminuer pendant son mandat de secrétaire d’État à l’Intérieur entre 2010 et 2016, a terni sa réputation.

Theresa May annonce sa démission devant le 10, Downing Street, le 24 mai dernier (France 24).

Pour beaucoup, même dans son propre parti, une grosse déception fut par ailleurs ses concessions en échange du soutien politique du Parti unioniste d’Irlande du Nord (DUP), réputé pour ses positions catégoriquement anti-avortement.

À son actif, on pourra noter ses efforts dans la promotion des femmes en politique, tant en public que dans les coulisses du parti conservateur. Un engagement qui remonte au lancement de la campagne Women2Win en 2005. En outre, bien que cela ne soit pas suffisant pour certains et malgré les effets d’austérité, elle s’est engagée à réduire les disparités géographiques dans le soutien aux femmes victimes de violence domestique.

De même, son gouvernement a fait de la lutte contre la mutilation génitale féminine une priorité politique. Bien qu’initié sous le gouvernement précédent, cette action a été prolongée, notamment via la publication des rapports publics sur les écarts de rémunération entre hommes et femmes, malgré l’opposition de certaines grandes organisations. En outre, elle a supervisé une modernisation partielle du fonctionnement du parlement britannique avec des mesures visant à aider les parents qui travaillent au parlement.

Le Brexit, un projet très masculin

Compte tenu du Brexit, il n’est sans doute pas surprenant que la propre survie politique de Theresa May ait été privilégiée par rapport aux droits des femmes. À ce sujet, on peut d’ailleurs considérer son mandat comme une illustration du glass cliff, selon lequel les femmes assumeraient des rôles de leadership en période de crise, lorsque les chances d’échec sont maximales.

Depuis le début, le Brexit semble en effet avoir été un projet mené et incarné d’abord par des hommes, à l’image de Nigel Farage et Boris Johnson. Tout au long de la campagne du référendum en 2016, les voix des femmes avaient d’ailleurs été sous-représentées dans les médias et dans les rôles politiques. Des études ont ainsi montré que 59 % des invités des principaux programmes de télévision politiques britanniques pour Brexit étaient des hommes.

Bien qu’il y ait des femmes soutenant le Brexit à la fois à gauche et à droite du spectre politique, les voix féminines les plus présentes sont restées celles des journalistes principales – sans parler de celles des candidates de l’émission de télé-réalité Love Island dont la discussion sur la sortie de l’UE fut l’une des vidéos les plus largement partagées sur les médias sociaux en 2018.

Les participants de Love Island discutent le Brexit.

Cette sous-représentation féminine apparaît également dans les postes de la fonction publique chargés du Brexit, comme l’ont souligné des travaux de recherche sur le politique global. Plus précisément, parmi les neuf membres de l’équipe initiale chargée de négocier le Brexit, on compte une seule femme, Sarah Healy.

Dans ce contexte, des élues travaillistes et conservatrices ont souligné la nature aveugle du Brexit concernant les questions de genre. Nombreuses recherches soutiennent en effet que les impacts du Brexit toucheront en premier lieu les femmes britanniques.

Les impacts genrés du Brexit

Une des nombreuses conséquences imprévues du Brexit concerne la remise en question des progrès réalisés par le Royaume-Uni en matière d’égalité des sexes ces dernières décennies. Les partisans du Brexit, à majorité masculine, ont largement ignoré les avantages de l’adhésion à l’UE sur la parité des sexes, ainsi que les risques de retrait des mécanismes d’égalité européens.

Bien que le type de Brexit qui sera mis en place reste encore flou, de plus en plus de signes indiquent que les femmes britanniques pourraient en subir les conséquences majeures. Plus particulièrement, le Brexit risque de conduire à un ralentissement économique avec une réduction des dépenses publiques – comme on l’a vu, ces réductions ont un impact disproportionné sur les femmes en tant qu’utilisatrices principales des services publics, travailleuses du secteur public et prestataires de la plupart des travaux non rémunérés lorsque les services publics sont supprimés.

La perte des normes du droit du travail de l’UE, qui ont été un atout pour l’égalité des sexes au Royaume-Uni – souvent contre les tribunaux britanniques – constitue un autre risque. Une grande partie de la législation protégeant l’égalité et les droits sur le lieu de travail dont ont bénéficié les femmes a en effet été élaborée ou renforcée par le biais des mécanismes de l’Union européenne. Après la sortie de l’UE, ces avancées seront susceptibles d’être modifiées par un gouvernement futur. De ce fait, les protections de l’UE pourraient ne pas s’appliquer en vertu de la législation britannique.

Quelle égalité après Brexit ?

La dimension de genre du Brexit interagit également avec l’ethnicité. Le référendum de 2016 a en effet déjà eu un impact sur les Britanniques issus de l’immigration avec une augmentation notable du nombre d’abus racistes recensés. Pour les femmes de certaines minorités, il y a donc le risque de subir une forme de double peine. Des études montrent en effet que les ménages noirs et asiatiques ont très impactés par les mesures d’austérité économiques.

À l’heure actuelle, il n’est pas encore possible d’identifier les effets exacts du Brexit mais, quel que soit le scénario, les perspectives ne sont pas au beau fixe en matière de lutte contre les inégalités. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il y aura nécessairement un retour en arrière rapide. Comme Theresa May l’a elle-même fait remarquer au moment de sa démission, elle est « la deuxième femme premier ministre, mais certainement pas la dernière ».

Cependant, alors qu’il est question de bâtir une toute nouvelle relation économique et politique entre le Royaume-Uni et l’Europe, il semble improbable que l’égalité entre les hommes et les femmes soit érigée en priorité. Or, il ne faut pas oublier que l’élaboration de politiques aveugles à l’égalité des sexes aboutit généralement à des résultats négatifs pour l’égalité…


Cet article a été co-écrit par Mallory Fanton, étudiante en politique et relations internationales à l’Université de Bath.

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