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Travailleur·e·s à domicile : envisager une vraie protection au-delà de la crise

Les employé-es de ménage sont particulièrement vulnérables en temps de crise sur le plan sanitaire mais aussi économique. Ici en Italie. Pinodema/Flickr, CC BY-SA

Ces derniers jours, nous sommes plusieurs chercheur·e·s à avoir pris la plume pour interroger les conditions de travail présentes et futures des travailleur·e·s les plus invisibles de la société. Ils sont aujourd’hui parmi les seul·e·s à poursuivre une activité professionnelle ; particulièrement exposée.

On imagine aisément que le télétravail n’est pas possible pour tout le monde, mais peut-être un peu moins l’impact concret de la pandémie et des mesures prises par le gouvernement sur le quotidien de celles et ceux qui doivent continuer à se rendre au travail, ou qui ne peuvent pas s’y rendre.

Il s’agit ici d’interroger plus frontalement ce que la crise fait en ce moment aux travailleur·e·s des services à la personne à domicile, et de mettre en lumière ce qui est ou peut être concrètement fait pour les protéger – sur le plan sanitaire comme sur le plan matériel.

La réaction bénéfique des entreprises et associations du secteur

Lorsqu’on ouvre le site web d’O2, l’une des plus grosses entreprises françaises de services à la personne qui emploierait à ce jour plus de 13 500 personnes, avec 4 000 à 5 000 recrutements par an selon leurs données, un encart rouge vif apparaît au milieu de la page : il comporte un ensemble de liens permettant de prendre connaissance des mesures d’hygiène à mettre en place lors d’une intervention à domicile, fondées sur les recommandations du gouvernement.

Encart pop-up sur le site d’O2. O2

Dans le cadre d’un entretien avec Guillaume Richard, PDG du groupe Oui Care auquel appartient l’entreprise, celui-ci affirme que ce sont les premières précautions prises pour sensibiliser tant les bénéficiaires des prestations de service que les salarié·e·s.

À cela s’en ajoute la non-obligation, pour les bénéficiaires et les salarié·e·s, de poursuivre les services pendant le confinement. Cela signifie concrètement que les entreprises du groupe s’engagent à garder les salarié·e·s et les bénéficiaires dans leurs bases de données pour que les mêmes activités puissent reprendre leur cours après le confinement. Par ailleurs, l’entreprise a l’obligation, en revanche, d’interrompre les services si l’une des deux parties est atteinte du virus.

En cas d’interruption du travail, les salarié·e·s sont dans ce cas mis au chômage temporaire. Pour Guillaume Richard, il est clair qu’être salarié·e d’une entreprise de services à la personne est bénéfique en cette période de crise : les salarié·e·s bénéficient de la protection de leur emploi en CDI, et de l’encadrement institutionnel de leurs pratiques.

Même chose du côté des bénéficiaires, dont la responsabilité et le réajustement temporaire des demandes sont délégués aux intermédiaires. Rappelons que les entreprises et les associations de services à la personne salarient elles-mêmes les travailleur·e·s à domicile, sont chargées de les recruter et de les placer chez les bénéficiaires, et de faire toutes les démarches administratives nécessaires pour que relation de travail soit contractualisée et encadrée.

Avec un certain recul, la protection qu’offre le passage par un intermédiaire des services à la personne pour les salarié·e·s semble évidente. Ne pas obliger les salarié·e·s à travailler, leur proposer une protection économique – celle du chômage–, et les prévenir au maximum des mesures sanitaires à prendre sont malheureusement aujourd’hui des avantages dont ne peuvent pas toujours bénéficier les autres travailleur·e·s à domicile.

« Moi, Pôle emploi, j’y ai pas le droit »

J’ai été particulièrement attentive aux propos de quelques employées de ménage, gardes d’enfants et aides à domicile rencontrées au cours de recherches précédentes, ou tout juste rencontrées virtuellement sur des groupes Facebook fermés.

Le quotidien de certaines n’a rien de réjouissant. L’une, Malika, a 38 ans et deux enfants en bas âge. Elle vit seule et habituellement, elle « fait des ménages », comme elle dit. Sauf que depuis une semaine, elle ne travaille que pour un foyer, au lieu de huit habituellement.

Pour protéger ses enfants, elle a n’a pas souhaité poursuivre son travail chez sa plus vieille employeuse, « parce que j’avais trop peur de lui transmettre des microbes avec les enfants » dit-elle.

Tou.te.s les autres en revanche ont annulé leurs demandes hebdomadaires, alors que Malika comptait continuer à travailler en confiant ses enfants à sa sœur. Auparavant femme au foyer, et femme de ménage depuis peu, Malika a toujours travaillé au noir : « moi, Pôle emploi, j’y ai pas le droit ».

Il lui reste donc en cette période la maigre pension versée par son ex-mari, et les prestations sociales. Malika s’est déjà renseignée sur les distributions alimentaires associatives maintenues près de son quartier.

Un volontaire des Restos du Coeur près d’Orléans, sollicités pour venir en aide aux plus précaires. Christophe Archambault/AFP

Pour les femmes comme Malika, nombreuses dans le travail à domicile, le tableau est donc bien sombre. Ce sont des milliers d’employé·e·s à domicile qui, comme elle, sont non seulement susceptibles de perdre leur travail du jour au lendemain, mais aussi, de ne pas avoir de compensation financière. Jamais protecteur, le travail au noir s’annonce là destructeur.

Les limites du CESU

Du côté des salarié·e·s du « particulier-employeur » déclaré·e·s par le dispositif du Chèque emploi service universel (CESU), l’anticipation des risques économiques s’annonce limitée.

Rien n’oblige les particuliers-employeurs à continuer d’employer leur femme de ménage, nounou ou aide à domicile, ni même à mettre en place les mesures de protection hygiénique adéquates pour se protéger et les protéger.

Cependant, le gouvernement a annoncé que des dispositions seront prises pour protéger les travailleur·e·s à domicile déclaré·e·s par CESU. Le chômage partiel leur a été ouvert, mais cela n’empêche pas les femmes rencontrées de paniquer, comme Caroline, 45 ans, aide à domicile employée via le CESU auprès de différents ménages de personnes âgées dépendantes.

Elle écrit sur Facebook :

« Je travaille pour une vieille petite dame, dont le fils est adorable et continue de me payer alors qu’il a pris le relai lui-même pour aider sa mère. Mais ça, personne ne fait ça ! Trois autres personnes m’ont annulée, et je ne sais rien de ce que je vais toucher, si elles vont me déclarer ce mois-ci. »

Elle explique qu’une famille lui a en revanche demandé de doubler ses visites quotidiennes à leur mère, malade. Elle dit que cela va aider à compenser un peu le manque à gagner, mais à quel prix ? Sans masques, Caroline a peur pour sa santé, et pour celle de cette personne, qui n’en bénéficie pas non plus. Quand elle rentre des courses, elle passe du temps à nettoyer les produits, car elle doit ensuite se charger de la toilette de cette femme.

Des travailleur·e·s malgré tout bien peu protégé·e·s

S’il est évident que le travail au noir, et l’emploi direct non contrôlé par l’État ne sont, de base, pas favorables à la protection des travailleur·e·s à domicile, ne surestimons pas celle que peuvent apporter actuellement les entreprises de services à la personne.

D’une part, et le PDG de Oui Care le confie, les travailleuses qui continuent à rendre visite aux personnes âgées dépendantes manquent crûment de matériel, à l’heure où les hôpitaux, les laboratoires, les EPHAD, en manque aussi.

En outre, il affirme que dans le cas du jardinage ou encore du ménage, les mesures sanitaires de distance et de nettoyage permettent de poursuivre sans crainte de contamination ces activités. Peut-être est-ce oublier que pour venir travailler, il y un coût sanitaire à se déplacer, et que respecter la distance entre personnes circulant dans une même maison ou appartement n’a rien d’évident à mettre en place – sans parler du fait de nettoyer des surfaces et des vêtements potentiellement infectés.

D’autre part, si les travailleur·e·s ne sont pas dans l’obligation de travailler, ils.elles y sont fortement incité·e·s par les entreprises. Et en sus de ces incitations et des éventuelles autocontraintes morales à poursuivre son activité pour aider les plus vulnérables, les raisons économiques peuvent pousser à prendre des risques sanitaires. Avec des emplois payés au smic, que reste-t-il du salaire au chômage partiel, sachant qu’une proportion considérable de travailleuses à domicile ne parviennent déjà pas à bénéficier d’emplois à temps plein, et donc de salaires décents à la fin du mois ?

Il ne s’agit pas pour autant de pointer du doigt les intermédiaires du secteur, quand, derrière, l’État est bien trop silencieux.

Encore mercredi 25 mars au soir, Emmanuel Macron assurait que les soignant·e·s de l’hôpital seraient valorisé·e·s pour leur action : on ne peut que s’en réjouir – si on oublie un instant les années de dévastation du secteur public hospitalier –, puis se demander : et les autres ?

Celles et ceux qui ne sont non seulement pas fonctionnaires, et qui œuvrent aussi au soin d’autrui ? Ce que la crise révèle, c’est qu’il manque à ces travailleur·e·s une véritable protection sociale et économique, en sus d’une reconnaissance de leur utilité sociale. Personne ne sait et ne veut savoir, en réalité, ce qu’il se passe à l’intérieur des maisons.

Des mesures concrètes

Alors, avant que ne soit proposée une restructuration des métiers des services à domicile, avec de vrais emplois rémunérateurs et stables pour tou.te.s, qui donnent accès aux droits sociaux, des mesures urgentes doivent être trouvées pour palier le gouffre économique dans lequel sont déjà plongées trop de travailleuses.

Au vu des faibles revenus que va générer le chômage partiel sur des salaires déjà très bas, inciter par exemple les entreprises et les particuliers-employeurs qui utilisent le CESU à garder leurs employé·e·s en emploi, via des aides financières plus significatives.

Pour celles qui continuent de prendre soin des personnes âgées dépendantes, une distribution prioritaire de masques et de protections adéquates, et que ce matériel soit une condition d’exercice du travail.

Le métier d’aide-soignant à domicile, association Yadlavie.

Faire jouer la solidarité économique

À l’échelle individuelle, il ne semble pas non plus aberrant de solliciter la solidarité économique des employeur·e·s et des bénéficiaires.

En-dehors des cas de soins pour personnes dites fragiles, il est important de rappeler qu’une certaine proportion des personnes qui délèguent les tâches domestiques appartiennent aux fractions les plus aisées de la population, et bénéficient de déductions fiscales si elles déclarent leurs employé·e·s, sans condition de ressources – près des trois quarts des dépenses fiscales assises sur l’impôt sur le revenu bénéficient aux 10 % les plus aisé·e·s des contribuables.

En période de crise, ne serait-ce pas normal que les bénéficiaires les plus doté·e·s, plus susceptibles d’être en CDI ou de bénéficier d’un chômage partiel confortable, protègent celles et ceux qui viennent toutes les semaines entretenir leurs intérieurs ou garder leurs enfants, en continuant à leur verser leurs salaires, par le CESU ou via l’organisme prestataire selon leur mode de recours ?

Cette proposition apparaît la plus concrète et réalisable en situation d’urgence, même si elle a pour grande limite de reposer sur des volontés individuelles. Elle est en tout cas la seule qui puisse sauver les personnes qui travaillent chez les autres, et qui risquent sinon de perdre à la fois de l’argent et leurs employeur·e·s à la fin de la crise, surtout si elles travaillent au noir.

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