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Le laboratoire créatif

Trois atouts « humains »… que les machines n’ont pas encore !

Hal Gatewood/Unsplash

Cette chronique est dans la droite ligne et se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.


Il fut un temps où l’apprentissage de l’écriture se faisait à la plume, en prenant soin, dans son cahier d’exercices, d’exécuter avec soin les pleins et les déliés. Ce temps est depuis longtemps révolu. De nos jours, les enfants abandonnent le crayon et se précipitent sur les tablettes graphiques.

Selon une étude américaine, les enfants et les adolescents, en 2005, consacraient déjà aux médias une moyenne quotidienne de sept heures et trente-huit minutes, en hausse d’une heure et dix-sept minutes sur les résultats enregistrés cinq ans plus tôt.

En Finlande on est allé jusqu’à abandonner définitivement l’enseignement de l’écriture cursive au profit du clavier.

Conséquence de la sur-utilisation des technologies numériques

L’exil, la relégation de ce noble outil que constitue le crayon n’est pas sans conséquence. Les muscles de la main s’en trouvent atrophiés et la dextérité des enfants en pâtit. Autrefois, dans le cadre d’un cursus scolaire traditionnel, la manipulation de papiers et de crayons représentait jusqu’à 85 % du temps passé par les enfants à l’école. La sur-utilisation des nouvelles technologies numériques, en particulier après les heures de cours, nécessite parfois l’intervention d’un thérapeute. L’apprentissage de l’écriture cursive est spécifique à chaque enfant et il arrive qu’à 6 ans, un enfant doive se plier aux exigences contraignantes d’un programme de rééducation en bonne et due forme.

En soi, pour un adulte aguerri, le fait de tenir un crayon n’a rien de bien sorcier. Mais en réalité, de nombreux muscles sont sollicités. Écrire et dessiner exige un contrôle précis. Notre dextérité manuelle que nous développons grâce, entre autres, à l’apprentissage de l’écriture met à contribution une panoplie de petits muscles qui nous sont fort utiles pour manipuler des objets de toutes sortes. Ces muscles sont actifs dans plusieurs tâches cruciales : manger et s’habiller par exemple.

On ignore bien souvent que l’apprentissage de l’écriture cursive et, par conséquent, la dextérité des doigts contribuent de manière significative à l’éveil des facultés cognitives de l’enfant. Les enfants démontrant de solides capacités motrices obtiennent de meilleurs résultats scolaires, les meilleures notes en mathématique et ils sont les premiers qui apprennent à lire.

Cette corrélation entre le développement moteur des enfants et leurs performances s’explique selon la logique suivante : les capacités motrices se développent en fonction de la nature et de la fréquence des tâches à accomplir, du bagage biologique de l’enfant, et de son environnement. Chacune de ses composantes évolue constamment et influence dynamiquement les autres.

Qu’est-ce qui nous démarque des machines ?

Nous cédons et céderons de plus en plus nos emplois à des machines, reléguant un nombre croissant de travailleurs au chômage.

Mais attention, ce transfert ne se limitera pas seulement aux tâches routinières. L’intelligence artificielle permet déjà d’automatiser des opérations complexes que l’on croyait réserver aux travailleurs du savoir.

Le modèle d’affaires qui est en cours de développement et qui prend sans cesse de l’ampleur consiste :

  1. À fragmenter des tâches complexes en un nombre plus ou moins grand de modules logiques.

  2. Les modules qui peuvent d’ores et déjà faire l’objet d’une automatisation sont confiés à des machines.

  3. Les autres modules sont sous-traités à faibles coûts, par les entreprises, à une main-d’œuvre extérieure.

  4. Des algorithmes effectuent un monitorage continu des travailleurs qui sont sous-traités. Ces algorithmes finissent par apprendre de ces travailleurs de nouveaux processus qui seront par la suite automatisés.

  5. Ces algorithmes, par le biais de réseaux multiples, s’alimentent à un nombre sans cesse croissant de capteurs et d’objets connectés et finissent par constituer des systèmes complexes capables d’effectuer des tâches d’analyse et des décisions sophistiquées.

  6. Le nombre de travailleurs sous-traitants diminue sans cesse pour se limiter à ceux qui disposent de capacités spécifiques difficiles à automatiser.

Ce modèle d’affaires a des conséquences redoutables sur le plan humain.

Premièrement, un tel système, dans sa logique même, cherche par tous les moyens à substituer la machine à l’humain.

Deuxièmement, il est illusoire de croire que la main-d’œuvre actuelle et celle à venir posséderont les compétences techniques ou le désir de contribuer à cette course effrénée vers l’automatisation.

Indépendamment des questions philosophiques existentielles et complexes (mais parfaitement légitimes) qui consistent à s’interroger sur le destin de l’humain et de son rôle sur cette petite planète, sur le plan strictement pratique, et dans une perspective de lutte concurrentielle face à la montée des machines, il est crucial de s’interroger sur ce qui constitue, pour nous humains, les avantages qui nous distinguent de nos cousines, les machines.

Neven Krcmarek/Unsplash.

Trois forces (pour l’instant du moins) nous sont propres et constituent de véritables atouts 

  • La perception sensorielle et la dextérité. Il s’agit d’une série d’avantages concurrentiels par rapport aux machines. Ces avantages recoupent à la fois la dextérité des doigts (notre capacité à coordonner de manière précise les mouvements des doigts, d’une main ou des deux à la fois, pour saisir, manipuler et assembler de tout petits objets), la dextérité manuelle (déplacer rapidement avec une ou deux mains pour saisir, manipuler ou assembler des objets, la possibilité d’effectuer ces opérations dans des espaces encombrés ou d’une dimension réduite.

  • L’intelligence créatrice. Faire preuve d’originalité en trouvant une réponse novatrice et appropriée à un problème donné. Ou développer des théories et des techniques de composition et de productions artistiques dans plusieurs domaines de création : musique, littérature, arts visuels, etc.

  • L’intelligence émotionnelle. L’intelligence émotionnelle fait appel à une gamme étendue d’habilités pour l’instant strictement humaines telles que : l’empathie, la perspicacité, la négociation, la persuasion, la bienveillance.

Le fait de posséder de tels avantages constitue de véritables atouts d’autant plus que pour les machines de tels attributs sont très difficiles à acquérir.

Être créatif, par exemple, exclut le recours à un mode opératoire précis et explicite. Or une machine a besoin d’instructions spécifiques pour opérer. Elle pourra, par mimétisme, apprendre à peindre, mais sera en revanche incapable de créer d’elle-même une œuvre qui aura un impact émotionnel puissant et distinctif.

Or, en tant qu’humains, nous oublions de plus en plus que nous disposons de tels atouts. Nous ne les utilisons pas suffisamment et risquons de les atrophier.

Nous vivons à une époque où le rêve de quelques-uns entraîne la majorité des individus, souvent à leur corps défendant, à se comporter comme des machines au lieu de développer et de mettre à profit les forces qui nous distinguent des machines : nos sens, notre dextérité, nos intelligences créatrice et émotionnelle.

Tout se passe comme si nous voulions à tout prix faire de nous-mêmes des machines, en oubliant qu’un jour, ce sera peut-être les machines qui rêveront de faire ce dont nous sommes maintenant capables de faire.

Dommage, car exercer notre dextérité nous rend plus intelligents et faire preuve d’intelligence (créatrice et émotionnelle) nous permettrait peut-être de résoudre, en partie du moins et plus rapidement, les problèmes écologiques, économiques et humains auxquels est actuellement confrontée la planète.

Pour ma part, dans tous mes cours, bien que j’utilise beaucoup les technologies, il y a toujours une part de jeux pour stimuler ces atouts « humains ». Tous mes étudiants sont invités à avoir un carnet, à écrire, à dessiner. Je suis convaincue que ces activités les aident à réfléchir.

Petite anecdote. Dans un de mes cours de ce semestre (pour ceux et celles qui l’ignorent, je donne très souvent mes cours en marchant dans la ville), j’ai des étudiants qui travaillent dans l’un des laboratoires les plus prestigieux en intelligence artificielle à Montréal en ce moment. Un parmi eux, a photographié ses collègues en réponse à la mission que je venais de leur confier de photographier une expression de beauté autour d’eux. Quand je lui ai demandé : Pourquoi cette photo ? Il a répondu : « Les programmeurs, nous avons la tête devant nos écrans toute la journée, et nous ne sourions plus. Aujourd’hui, de voir tous ces sourires, voilà ce que représente la Beauté pour moi. »

Je demeure convaincue que notre façon d’enseigner à La Nouvelle École de créativité est vraiment porteuse d’espoir. J’espère que nous serons de plus en plus nombreux à réfléchir à différentes avenues pour aider petits et grands à développer les talents et les forces qui nous différencient des machines et contribuent à notre bonheur et à notre épanouissement.

Cette semaine, je vous propose un petit jeu à faire seul ou en famille pour développer votre dextérité manuelle !

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