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Troisième division de football en France : une professionnalisation à l’américaine ?

Les tribunes du stade Bonal de Sochaux étaient bien garnies pour le match de la 8e journée du championnat de National. Frédéric Florin / AFP

Hormis les fans, peu de monde sait qu’une révolution silencieuse est en marche dans le milieu du football français : la possible création d’une troisième division professionnelle, telle qu’elle existe déjà par exemple au Royaume-Uni (League One) ou en Italie (Serie C, ou Lega Pro). L’élite du football hexagonal serait alors constituée de trois niveaux (Ligue 1, Ligue 2 et Ligue 3), sous la gouvernance de la Ligue de football professionnel (LFP). De nouveaux clubs viendraient se partager notamment les droits TV, évidemment dégressifs en fonction du niveau, mais dont on connaît désormais l’importance majeure (jusqu’à un tiers des budgets des clubs), alors que les recettes de billetterie ne cessent de baisser.

Pour mieux comprendre la situation en cette fin 2023, replongeons-nous un instant trente ans en arrière, au début des années 1990. Il existait alors en France une Division 1 de 20 clubs et deux groupes de Division 2 de 18 clubs chacun. Au total, le football professionnel français de l’élite comptait 56 clubs. Au début de la saison 2023-2024, ce nombre s’est drastiquement réduit puisqu’il est tombé à 38 clubs (18 en Ligue 1 Uber Eats et 20 en Ligue 2 BKT), avec seulement 36 clubs à l’horizon d’août 2024 (la Ligue 2 BKT va également passer à 18 clubs). La « cure d’amaigrissement » a ainsi été sévère.

Aujourd’hui, les clubs de ce troisième échelon semblent s’organiser collectivement, malgré ce qui peut les opposer sportivement. Ce modèle original augurerait-il une forme d’« américanisation » du sport professionnel en France, modèle exploré dans nos précédents travaux ?

Le « National » : certainement pas un sous-championnat

Le troisième niveau du football français est actuellement dénommé championnat de National (18 clubs) et regroupe pour moitié des clubs à statut dit fédéral (pour simplifier, des clubs « amateur ») et pour moitié des clubs à statut professionnel. Parmi ces derniers, on retrouve d’anciennes gloires du football, qui évoluaient il y a peu encore en Ligue 1 : Dijon, Nancy, Nîmes ou Sochaux en sont les exemples les plus représentatifs.

Un véritable « vivier » de clubs historiques à forte image alimente ainsi le championnat de National. En témoignent des affluences de plusieurs milliers de spectateurs dans les stades depuis août 2023, à l’image du match Sochaux-Grand Ouest association lyonnaise (GOAL) de la 4e journée jouée devant 14 000 spectateurs au stade Auguste Bonal ou du match Nancy-Versailles de la 8e journée joué devant 8 200 spectateurs. À titre de comparaison, le match de Ligue 1 opposant Monaco à Metz le 22 octobre 2023 ne s’est disputé que devant 6 000 spectateurs.

Pour l’instant, les clubs du championnat de National, dépendant de la Fédération française de football (FFF), sont exclus des droits TV, ce qui représente un énorme manque à gagner (rappelons que la FFF espère récolter 800 millions d’euros par saison entre 2024 et 2029 pour la Ligue 1…). Chaque vendredi soir, les différentes rencontres donnent juste lieu à une diffusion en streaming à partir d’un lien, accessible gratuitement. Seule une rencontre « de prestige » est diffusée le lundi soir sur Canal+ Sport, ainsi que trois multiplex lors de la fin des matches aller, et lors de l’avant-dernière et de la dernière journée du championnat. Les clubs ne sont pas bénéficiaires des droits TV, mais le contrat avec Canal+ Sport permet à la FFF de soutenir le football amateur dans son ensemble.

De leur côté, les joueurs sous contrat fédéral sont rémunérés selon le principe d’un temps plein de 35 heures hebdomadaires, mais sans bénéficier du droit à la retraite et du minimum salarial équivalent aux joueurs professionnels. Cela rend difficile pour les clubs à statut fédéral de conserver leurs meilleurs joueurs, naturellement tentés de signer un contrat professionnel lorsqu’ils attirent l’attention d’un club de Ligue 2 ou de Ligue 1, voire d’un club de National à statut professionnel.

La création d’une Ligue 3 professionnelle changerait complètement la donne sur le plan financier pour les clubs présents, notamment avec des droits TV permettant d’accroître significativement leurs budgets. Ceux-ci ont donc intérêt collectivement à voir se mettre en place cette Ligue 3 dès la saison 2024-2025… sachant néanmoins qu’un nombre non négligeable d’entre eux n’en récoltera pas les fruits : 6 clubs sur 18 seront rétrogradés dans le championnat amateur de National 2 en mai 2024.

Agir collectivement malgré la compétition sportive

Nous sommes de fait face à un exemple de ce que l’on appelle une stratégie « coopétitive » (un mot-valise entre « coopétition » et « compétition ») : des clubs en compétition chaque semaine ont intérêt à coopérer et parler d’une seule voix pour convaincre la LFP de créer la Ligue 3 et y attribuer des droits TV. En septembre 2023, tous les présidents de clubs du championnat de National ont signé une déclaration commune allant dans ce sens, alors qu’un tiers d’entre eux ne seront pas concernés.

Celle-ci est sans ambiguïté. Ils affirment en effet avec véhémence :

« Les présidents de National démontrent toute leur motivation et détermination à vouloir participer au développement de notre football dans le cadre d’un projet ambitieux mais peut-être également plus solidaire qui pourrait se résumer en une phrase : “Développons notre football pour développer TOUS nos clubs !” »

La question est abordée depuis plusieurs années et soulève certaines réticences du côté des clubs de Ligue 1 et Ligue 2 : le « gâteau » des droits télévisuels notamment serait à partager entre plus de clubs sans qu’il ne devienne plus gros. Le président de la FFF est d’ailleurs conscient de ces tensions puisqu’après avoir signifié sa totale opposition à la création d’une Ligue 3 au printemps 2023, il a décidé d’ouvrir la réflexion début novembre 2023 en initiant un groupe de travail chargé d’imaginer une nouvelle structure professionnelle.

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Il est évidemment impossible à ce jour, dans un contexte de négociations aussi serrées que secrètes, d’évaluer le poids que représente l’action collective des présidents des clubs du championnat de National. Rarement néanmoins une logique d’action collective aura été affirmée de manière si forte dans le football professionnel français, alors qu’y règne le plus souvent une compétition sans pitié entre clubs, débordant d’ailleurs souvent des stades avec une violence incontrôlée de leurs supporters.

En d’autres termes, nous sommes en présence d’agents qui s’opposent mais qui agissent au même moment dans la même direction. Une telle ambivalence est d’ailleurs courante en management des entreprises, lorsque le concurrent sur un marché de consommation sera également un partenaire dans l’organisation de chaînes logistiques communes. Pareil type de paradoxe avait déjà été analysé dans les années 1960 par l’économiste François Perroux et son paradigme « lutte-coopération » pour décrire cette « relation Janus ».

Une lente infusion du modèle nord-américain ?

Le cas d’école relatif à la création d’une Ligue 3 professionnelle en France rapproche implicitement le comportement des clubs du championnat de National du système des ligues nord-américaines (dénommées « franchises »), dont s’inspire d’ailleurs la Saudi Pro League. Dans ces ligues, c’est effectivement un intérêt collectif qui prévaut et des mécanismes sophistiqués sont mis en œuvre pour préserver les intérêts de tous les clubs de la franchise, même si un seul club remportera in fine le Super Bowl de football américain ou le titre NBA de basket chaque année.

La structuration du football professionnel français en trois ligues ne signifierait pas bien sûr que la compétition sportive serait figée d’une année sur l’autre, empêchant par exemple une excellente équipe de Ligue 3 d’intégrer la saison suivante la Ligue 2. En revanche, une gouvernance ad hoc, sur le modèle nord-américain, pourrait être envisagée, notamment avec la présence d’un puissant commissionner (la DNCG ?) régulant les forces en présence et bloquant l’accès à une ligue supérieure en cas de conditions économiques (budget de fonctionnement) et infrastructurelles (capacités et équipements du stade) non remplies.

Nul doute que certains puristes crieront au scandale à la lecture de cette suggestion, en considérant que le mérite sportif s’estomperait totalement au bénéfice du seul « foot business ». Cela serait oublier un peu vite que la puissance et la pérennité des ligues nord-américaines sont justement fondées sur une régulation collective dont bénéficient en dernier ressort tous les clubs d’une franchise.

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