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Troubles psy : pourquoi les médicaments peuvent améliorer les effets des psychothérapies

Photo d’un homme en train de discuter avec son psychothérapeute.
Dans certains cas, les bénéfices de la psychothérapie peuvent être améliorés par la prise de médicaments. Shutterstock / BAZA Production

L’anxiété et la dépression sont les troubles de santé mentale les plus répandus dans le monde : environ 280 millions de personnes souffrent de dépression, et 1 personne sur 3 sera victime, à un moment ou un autre de son existence, d’un trouble correspondant aux critères diagnostiques d’un trouble anxieux. Heureusement, les options de traitement efficaces ne manquent pas : on peut notamment citer les médicaments, la psychothérapie, les modifications de mode de vie et la neurostimulation.

Souvent, médecins et thérapeutes recommandent d’ailleurs à leurs patients de mettre en œuvre plusieurs approches simultanément , en associant par exemple une thérapie et un traitement médicamenteux. Ce conseil découle de l’idée que si la personne traitée réagit correctement à l’une ou l’autre des approches prescrites, le bénéfice aurait été retardé d’autant (ou aurait été moindre) si lesdites approches avaient été employées l’une après l’autre.

Néanmoins, historiquement, la plupart des études scientifiques menées pour évaluer l’efficacité des traitements destinés à soigner les troubles psychiques ont été conçues pour tester chaque approche individuellement. Elles consistent généralement à comparer les effets d’un traitement fourni à des patients par rapport à la situation d’un groupe témoin, ayant reçu un placebo (dans le cas des médicaments) ou été placé sur liste d’attente (dans les cas d’une psychothérapie).

Étant moi-même psychologue clinicienne et chercheuse en neurosciences, j’ai travaillé à intégrer les connaissances de ces deux domaines afin d’élargir le champ des options thérapeutiques disponibles pour les personnes souffrant de dépression, d’anxiété et de troubles associés.

Mes recherches m’ont appris que lorsque l’on conçoit un plan de prise en charge, il est important d’accorder une attention minutieuse à façon dont vont s’articuler les traitements médicamenteux et les thérapies comportementales. Une telle combinaison est en effet à même de procurer aux patients un bénéfice plus important que lorsque les approches sont employées individuellement . Voici pourquoi.

Neuroplasticité et traitement

Les avancées scientifiques récentes menées pour élucider les causes de la dépression, de l’anxiété ainsi que d’autres troubles liés au stress suggèrent que les changements et les altérations de la neuroplasticité sont des contributeurs essentiels de ces pathologies.

La neuroplasticité fait référence à la capacité que possède notre cerveau à s’ajuster en permanence, de manière flexible, à notre environnement, lui-même en constante évolution. Il s’agit d’un composant essentiel de l’apprentissage. Des études menées sur les animaux, en laboratoire, ont révélé l’existence, dans des contextes de stress chronique, de déficits de la neuroplasticité. Dans de telles situations, les scientifiques ont observé des modifications au niveau des voies moléculaires et neuronales. Ils ont par exemple constaté une diminution du nombre de synapses (les « points de contact entre les neurones », qui leur permettent de communiquer).

Ces changements pourraient être en lien avec les schémas mentaux présents chez les individus victimes de dépression et d’anxiété, ainsi qu’avec les symptômes dont ils souffrent, tels que la diminution de leur capacité à penser, ressentir et agir de manière flexible. Les changements observés en cas de tels déficit de neuroplasticité pourraient aussi influer sur la manière de penser, de se souvenir ou d’interpréter les informations disponibles, en les biaisant vers le négatif.

Divers travaux scientifiques ont démontré que de nombreux traitements agissant sur la biologie des patients s’avèrent efficaces pour prendre en charge de tels patients. C’est par exemple le cas des médicaments ou de la neurostimulation, qui peuvent améliorer ou modifier la neuroplasticité. Certains changements de mode de vie, comme le fait de pratiquer régulièrement une activité physique, peuvent avoir des effets similaires.

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Si les scientifiques considèrent qu’il s’agit là d’éléments clés dans la réduction des symptômes, le problème est que les symptômes ont souvent tendance à réapparaître lorsque ces interventions sont interrompues. Ce type de rechute concerne tout particulièrement les approches médicamenteuses. Dans le cas des antidépresseurs et des anxiolytiques (médicaments anti-anxiété), qu’il s’agisse de molécules anciennes ou plus récentes, les taux de rechute augmentent peu de temps après l’arrêt du traitement.

Gros plan d'une main tenant une pilule à côté d'un verre d'eau sur une table
Les patients peuvent voir leurs symptômes réapparaître après avoir arrêté de prendre des antidépresseurs ou des anxiolytiques. Vasil Dimitrov/E+ via Getty Images

Les traitements comportementaux, tels que la psychothérapie, introduisent en revanche de nouvelles compétences et habitudes dont les effets peuvent être plus durables. En conséquence, les avantages qui en découlent se maintiennent au-delà de la phase la plus intense du traitement.

Des séances régulières, pendant plusieurs mois, avec un thérapeute peuvent ainsi aider de nombreux patients à apprendre à faire face aux symptômes négatifs dont ils souffrent, et à aborder les circonstances de leur existence d’une manière différente. Toutefois, cet apprentissage est dépendant de leur neuroplasticité : celle-ci est nécessaire pour que de nouvelles voies cérébrales bénéfiques découlant de la thérapie puissent être forgées et conservées.

Forts de ces constats, certains scientifiques ont donc émis l’hypothèse que l’amélioration ou la modulation de la neuroplasticité grâce à des interventions biologiques (comme la prise de médicaments) pourrait non seulement réduire les symptômes, mais aussi ouvrir une fenêtre d’opportunité permettant de potentialiser les effets d’interventions comportementales comme la psychothérapie. Cette plasticité accrue pourrait bénéficier à des interventions basées sur l’apprentissage, telles que la thérapie cognitivo-comportementale ou la thérapie d’exposition, et en améliorer les résultats à long terme.

Pour le comprendre, on peut imaginer que les voies cérébrales dont nous parlons sont en quelque sorte des routes. Les traitements biologiques sont capables de transformer un ensemble de chemins peu connectés, mais très bien tracés (les pensées, les peurs et les habitudes « inutiles » des patients), en un réseau dense de routes interconnectées et fraîchement bitumées.

Les traitements comportementaux peuvent quant à eux être vus comme des entraînements réguliers à la conduite, qui visent à apprendre à emprunter un sous-ensemble spécifique de ces nouvelles routes ; un sous-ensemble qui mène les patients à adopter des perspectives plus équilibrées d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. À force de s’entraîner, ils finissent par être capables d’emprunter sans effort ces nouvelles routes… Et sans avoir besoin de GPS, ce qui garantit que ces parcours désormais familiers seront facilement accessibles à l’avenir, ce qui empêcher le retour de l’anxiété et de la dépression.

Rechercher les synergies

La conception de traitements combinés visant à promouvoir explicitement une synergie est relativement nouvelle, mais un nombre croissant de preuves étayent son efficacité. Quelques exemples spécifiques sont particulièrement remarquables.

Tout d’abord, certaines études ont montré que la D-cyclosérine, un antibiotique utilisé pour traiter la tuberculose, pourrait être capable d’améliorer l’efficacité de la thérapie d’exposition destinée à lutter contre les troubles anxieux, en aidant les patients à maîtriser leurs peurs. La D-cyclosérine pourrait également renforcer les effets antidépresseurs de la stimulation magnétique transcrânienne, un type de neurostimulation qui cible les cellules nerveuses à l’aide de champs magnétiques.

Plusieurs études suggèrent que la combinaison de la neurostimulation avec des approches cognitivo-comportementales (telles que la thérapie cognitivo-comportementale ou l’entraînement au contrôle cognitif) pourrait réduire la dépression et de l’anxiété sur de plus longs termes.

De même, de faibles doses de kétamine, un médicament aux effets antidépresseurs rapides utilisé en anesthésie générale, peuvent être utilisées pour « amorcer la pompe » afin de faciliter les nouveaux apprentissages. Avec mon équipe, nous avons démontré qu’après l’administration d’une dose unique de kétamine, la pratique d’exercices informatiques quotidiens de 30 à 40 minutes pendant quatre jours, augmentait la durée des effets antidépresseurs de ce médicament. Cette durée était 9 fois plus importante que lorsque la kétamine était prise seule (les symptômes étaient réduits pendant 90 jours, contre 10 jours avec la molécule seule).

Les scientifiques explorent le potentiel des psychédéliques pour traiter divers troubles mentaux (vidéo en anglais).

Enfin, l’utilisation de molécules possédant des propriétés psychédéliques, comme la psilocybine ou la MDMA, fait aussi l’objet de recherches, afin d’évaluer leur potentiel en tant que compléments à la psychothérapie. Les avantages thérapeutiques de ces thérapies assistées par psychédéliques (sous surveillance médicale) sont attribués aux effets rapides de telles molécules, qui sont capables de renforcer la neuroplasticité et de modifier la conscience. Les chercheurs pensent que ces effets de court terme favorisent l’expérimentation par les patients de nouveaux points de vue et perspectives, qu’ils peuvent ensuite, avec l’aide des psychothérapeutes, intégrer à leur vision du monde.

La mise au point de traitements combinés, guidée par les connaissances acquises grâce aux neurosciences, semble donc avoir un grand potentiel. Cependant, il est important de souligner dans certains cas, utiliser différentes approches peut avoir des effets antagonistes, et ainsi réduire les avantages à long terme que pourrait présenter une psychothérapie menée seule .

Une étude sur le trouble panique a par exemple démontré que les patients qui avaient appris des techniques de psychothérapie tout en prenant des médicaments anxiolytiques présentaient un plus grand risque de rechute après l’arrêt de leur traitement que ceux qui avaient uniquement effectué une psychothérapie.

Des essais cliniques soigneusement conçus et des suivis à long terme sont donc indispensables pour comprendre pleinement comment combiner approches biologiques et comportementales, afin de développer les traitements les plus efficaces, accessibles, sûrs et durables.

This article was originally published in English

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