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Vue d'artiste d'un trou noir supermassif entouré par un disque d'accrétion, la matière qui gravite autour.
Les trous noirs supermassifs, présents au coeur des galaxies, ont une masse de plusieurs millions de fois celle du Soleil. Autour d'eux gravite de la matière qui chauffe et brille avant de finir par y tomber. ATG/ESA, CC BY-SA

Trous noirs : deux missions spatiales à l’affût des cataclysmes cosmiques

L’année 2024 s’annonce passionnante pour l’exploration des trous noirs : la mise en orbite du satellite Einstein Probe en janvier dernier promet d’enrichir notre compréhension de ces objets grâce à des technologies innovantes de détection des rayons X. Cet été, il sera rejoint à 600 km au-dessus de nos têtes par le satellite SVOM (Space-based Multiband Astronomical Variable Objects Monitor). Ces deux missions, fruits de collaborations sino-européennes, vont notamment se consacrer à l’étude des « cataclysmes cosmiques », des événements souvent brefs qui libèrent de grandes quantités d’énergie, mais qui fournissent aussi de précieuses informations sur les trous noirs.

Chaque galaxie abrite en son cœur un trou noir supermassif concentrant des millions de fois la masse du Soleil dans une région de taille comparable à celle du système solaire. Comment ces trous noirs se forment-ils ? Comment dévorent-ils la matière qui gravite à leur voisinage ? Comment sont-ils capables d’éjecter une partie de cette matière à des vitesses approchant celle de la lumière ? Ces questions passionnantes demeurent des énigmes pour les astrophysiciens car l’étude des trous noirs est rendue complexe par le simple fait qu’ils n’émettent pas de lumière.

Pour mieux les comprendre, il s’agit d’être à l’affût, car les occasions sont rares. Le moment parfait se présente lorsqu’ils se mettent en action, engloutissant la matière orbitant à leur voisinage. Le gaz chauffé émet alors de la lumière, notamment dans le domaine des rayons X, qui sont absorbés par l’atmosphère terrestre et donc inobservables depuis le sol. Ce rayonnement, parfois émis sur de brèves périodes de temps, est cependant observable par des observatoires placés en orbite terrestre, en dehors de l’atmosphère, comme les satellites Einstein Probe et SVOM.

Einstein Probe : des yeux de homard en orbite

Dirigé par une collaboration de l’Académie des sciences chinoise, du Max Planck Institute for Extraterrestrial Physics en Allemagne, de l’Agence spatiale européenne et du CNES, l’agence spatiale française, Einstein Probe embarque à son bord deux télescopes à rayons X. L’un des deux, le Wide Field X-ray Telescope (WXT) est un instrument de nouvelle génération dont la conception optique imite les yeux du homard. Ces derniers sont en effet constitués de petites structures hexagonales, les ommatidies, qui sont chargées de diriger la lumière sur les cellules photosensibles de l’œil.

De la même manière, l’optique du WXT est constituée de canaux microscopiques agencés en une configuration sphérique, qui focalisent la lumière sur les détecteurs tout en offrant un champ de vue beaucoup plus grand que les configurations optiques traditionnelles. De cette façon, le WXT sera capable de scruter l’ensemble du ciel nocturne en un petit peu moins de 5 heures, permettant ainsi la recherche de nouvelles sources cosmiques de rayons X.

Vue microscopique des yeux de homard : une première image montre la tête du homard et ses yeux, une seconde fait un gros plan sur l’œil
Vue microscopique des yeux de homard. On distingue les pores microscopiques (ommatidies) disposés sur une sphère qui réfléchissent la lumière et la dirigent vers la rétine. Jordan Camp/Wikimedia
Schéma du fonctionnement des yeux du homard : les rayons parallèles sont tous réfléchis de façon à se focaliser sur la rétine
Les ommatidies réfléchissent les rayons lumineux vers le centre de la sphère. Inspirés par ce mécanisme, l’optique du WXT est munie de canaux microscopiques qui focalisent la lumière sur les détecteur tout en offrant un champ de vue inédit. Alexis Coleiro, Fourni par l'auteur

L’un des enjeux principaux de la mission Einstein Probe sera l’observation de trous noirs supermassifs surpris en plein festin. Le WXT scrutera en effet le ciel à la recherche des sursauts lumineux associés au passage d’une étoile un peu trop près d’un trou noir. En s’en approchant, celle-ci se retrouve disloquée, formant alors un disque d’accrétion dont une partie de la masse sera ensuite avalée par le trou noir situé au centre. En observant ce copieux repas et en comparant les données obtenues à des modèles théoriques, les astrophysiciens peuvent estimer la masse du trou noir et explorer ainsi les régions les plus internes des galaxies, théâtres de ces tragédies cosmiques.

Décrit théoriquement dès les années 1970, un tel événement, appelé « événement de rupture par effet de marée », a été observé pour la première fois début des années 2000. Depuis lors, une centaine d’événements similaires ont été observés, dévoilant une variété étonnante de caractéristiques. Einstein Probe poursuivra cette moisson cosmique qui nous permettra de recenser les trous noirs supermassifs généralement si discrets et de dresser ainsi un inventaire de leur répartition en fonction de leur masse, encore largement méconnue.

Vue d’artiste représentant une étoile déchiquetée par les forces de marée d’un trou noir supermassif
Sous l’effet de l’attraction gravitationnelle intense d’un trou noir, une étoile dans les environs peut se faire déchiqueter, libérant au passage de grandes quantités d’énergie. NRAO/AUI/NSF/NASA

La fin de vie des étoiles les plus massives

La mission Einstein Probe étudiera non seulement les trous noirs supermassifs, mais aussi les trous noirs stellaires formés lors de la mort des étoiles les plus massives. Lorsqu’une telle étoile arrive en fin de vie, les réactions nucléaires en son cœur ayant cessé, les parties les plus internes de l’étoile s’effondrent sur elles-mêmes sous l’effet de leur propre gravité, créant une déflagration accompagnée d’un rayonnement très intense. C’est ce que l’on appelle une supernova qui laisse derrière elle un objet extrêmement dense : une étoile à neutrons ou bien un trou noir de masse stellaire. La collecte des premiers photons s’échappant lorsque l’onde de choc atteint la surface de l’étoile est essentielle car leurs propriétés nous fournissent des informations précieuses sur l’étoile qui vient de s’éteindre. Le WXT, grâce à son champ de vue inédit, sera un instrument idéal pour rechercher ces signaux.

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Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Certaines supernovae sont également accompagnées de brèves bouffées de rayons gamma si intenses qu’elles constituent le phénomène le plus énergétique aujourd’hui observé dans l’Univers, délivrant une luminosité équivalente à celle de centaines de millions de milliards de Soleils. Ces phénomènes, appelés sursauts gamma sont produits lors de l’effondrement d’une étoile en trou noir. Des jets de matière se propageant à des vitesses proches de celle de la lumière sont alors émis de part et d’autre de l’astre. Pour détecter les sursauts gamma, un alignement parfait avec ces jets très étroits est donc nécessaire, comme pour voir la lumière d’un phare.

SVOM, à la recherche des sursauts gamma

L’objectif principal du satellite SVOM qui sera mis en orbite cet été est justement la détection des sursauts gamma. Quatre instruments seront installés à bord dont le télescope ECLAIRs conçu par des chercheurs et ingénieurs français de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP), du CEA, du laboratoire Astroparticule et Cosmologie (APC) et du CNES pour détecter les photons gamma.

Dans cette gamme d’énergie et afin de couvrir un large champ de vue, il n’est pas possible d’utiliser des miroirs pour focaliser la lumière car les photons le traverseraient sans être réfléchis. L’instrument ECLAIRs utilisera donc une technique d’imagerie par masque codé qui reprend le principe de la chambre noire de l’appareil photo : un petit trou percé dans une boîte opaque à la lumière permet de former une image sur la face opposée de la boîte. Un télescope à masque codé a un fonctionnement assez similaire.

Cependant, comme le trou par lequel passent les rayons lumineux est minuscule, l’intensité de l’image est très faible. Le petit trou est donc remplacé par un masque constitué d’un matériau opaque aux rayons gamma et perforé d’une multitude de trous plus grands. Comme pour le sténopé, chaque trou crée une image sur le détecteur, mais comme il y a beaucoup de trous sur le masque, il y a autant d’images qui se superposent sur le détecteur. Analysé par les algorithmes mathématiques adéquats, ce signal permet de recréer l’image du ciel en rayons gamma et de détecter ainsi nos fameux sursauts gamma.

Cette technologie n’est pas nouvelle, mais ECLAIRs a la spécificité de pouvoir récolter des photons d’une énergie plus faible que ces prédécesseurs ce qui lui permettra notamment de rechercher des sursauts gamma plus lointains et donc d’explorer la formation des premiers trous noirs de masse stellaire.

Photographie du modèle de vol de l’instrument ECLAIRs. Son masque codé est visible au premier plan
Grâce à son masque codé, ECLAIRs peut observer dans le domaine des rayons gamma en se passant de miroir ou de lentille. CNES/APC/CEA

Les sujets de recherche abordés ici ne constituent qu’une partie des objectifs scientifiques d’Einstein Probe et de SVOM. Par exemple, la recherche de l’émission électromagnétique associée aux fusions d’étoiles à neutrons, comme celle détectée en 2017, figure aussi parmi les priorités de ces deux missions spatiales.

Après leurs lancements respectifs depuis la base de Xichang en Chine, débutera ce qu’on appelle une phase dite de recette en vol, marquée par la mise en marche, les tests et les calibrations des instruments. Ces étapes préliminaires sont cruciales pour garantir la fiabilité des données et préparer ainsi le terrain pour l’exploitation scientifique à venir. Les premiers résultats de ces deux missions pourraient arriver d’ici la fin de l’année, offrant ainsi une perspective inédite sur l’Univers cataclysmique.

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