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Un participant en plein effort
Le nombre de participants à l’édition 2024, prévue à la fin de l’été, a bondi de 34 % par rapport à l’année précédente. Flickr/Simona, CC BY-SA

Ultra-trail du Mont-Blanc : pourquoi l’appel au boycott a échoué

Le 15 janvier 2024, Kilian Jornet et Zach Miller, deux grands champions d’ultra-trail, discipline de course à pied longue distance dans la nature, appelaient les meilleurs coureurs du monde à boycotter la prochaine édition de l’épreuve du Mont-Blanc, prévue à la fin de l’été. Cet appel, lancé par un e-mail adressé à une centaine de coureurs appartenant à l’élite ainsi qu’à des membres de leur encadrement, a enflammé la toile la semaine qui a suivi.

Après avoir reconnu le rôle joué par l’Ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB) dans la reconnaissance mondiale de la discipline, les champions se disent particulièrement inquiets des dérives économiques, environnementales et éthiques de l’épreuve.

« Il y a une multitude de choses que nous pourrions citer qui nous préoccupent, mais l’essentiel est que nous pensons qu’ils ne se gèrent pas et ne gèrent pas leur(s) évènement(s) d’une manière qui soit dans le meilleur intérêt du sport et de ses pratiquants. »

La diffusion de ce mail a dans un premier temps provoqué un coup de tonnerre dans l’univers du trail, car elle faisait suite à de nombreux éclairs annonciateurs qui avaient émaillé la presse l’été dernier sous forme de critiques. Ces dernières visaient principalement le gigantisme de l’évènement, le contresens écologique du contrat de sponsoring avec la marque automobile low cost Dacia, ou encore le modèle de gestion mercantile inspiré par la société organisatrice de compétitions d’élite du triathlon IronMan.

34 % d’inscrits en plus

De nombreuses réactions ont suivi cette annonce dans la presse et sur les réseaux sociaux, alimentant une véritable controverse et obligeant les organisateurs de cet évènement à clarifier leur position. Puis, aussi rapidement que la polémique avait enflé, elle s’est dissipée dans les limbes du massif du Mont-Blanc. Début février, les demandes d’inscriptions pour l’édition 2024 étaient en effet en hausse de 34 % par rapport à 2023 et plusieurs grands athlètes de la discipline avaient confirmé leur présence.

Que s’est-il passé ? Pourquoi cette tentative a-t-elle avorté ? Plusieurs raisons peuvent être invoquées. D’abord, parce qu’il n’est jamais facile de prendre à revers le système qui organise le sport de haut niveau entre performance, spectacle, médias, partenaires, argent, visibilité et notoriété. En effet, tous les acteurs composant l’univers du trail de compétition (coureurs, organisateurs d’évènements, équipementiers, médias, partenaires, institutions, collectivités territoriales, etc.) restent dépendants financièrement les uns des autres en raison d’intérêts multiples et variés à préserver.

Il n’est donc pas aisé de sortir du sillon dominant et de se priver de la vitrine UTMB à Chamonix, malgré les dysfonctionnements pointés par Kilian Jornet et Zach Miller. D’ailleurs, d’autres champions reconnus se sont montrés plus nuancés et des voix se sont élevées pour condamner le fait que ces deux athlètes profitaient de leur statut pour prendre la course en otage.

Deuxième raison : l’UTMB est devenu aujourd’hui plus qu’une course, plus qu’un évènement sportif. Il s’apparente à un véritable fait social total qui s’est diffusé en dehors de la sphère sportive et intéresse de plus en plus de personnes. La foule compacte présente à chaque départ et à chaque arrivée du premier en apporte la preuve, car il s’agit de ne manquer sous aucun prétexte ces moments, afin d’avoir le sentiment de faire partie du monde.

Foule au départ de l’édition 2013
L’épreuve constitue un levier de retombées touristiques précieux pour la vallée de Chamonix. PaulasBunt/Wikimedia, CC BY-SA

L’UTMB est un véritable mythe aujourd’hui, et écorner un mythe fait toujours réagir. En effet, comme nous le montrions dès 2012 dans l’ouvrage The North Face Ultra-Trail du Mont-Blanc. Un mythe, un territoire, des Hommes (éditions Le Petit Montagnard &Autour du Mont-Blanc), l’épreuve peut être considérée comme un évènement pourvoyeur de rêve pour des milliers de personnes – en plus de constituer un levier de retombées touristiques pour la vallée de Chamonix.

Culte de la performance

Enfin, l’UTMB incarne un avatar de la société « hypermoderne » bercée par la mondialisation économico-technologique, le culte de la spectacularisation de soi et l’illimitisme consommatoire. Tout le monde s’y retrouve car cet évènement symbolise une société au sein de laquelle chacun cherche à se forger un destin, à être performant et à concrétiser ses rêves.

L’UTMB est à la fois le produit et le reflet de cette société car cet évènement est en phase avec les attentes identitaires de ces nouveaux conquérants de l’extrême, désireux de s’explorer, de se défier et de vivre une expérience pour le moins intense. Véritable métaphore de la vie, l’UTMB apparaît comme un moyen de réenchantement de son existence car cette épreuve en situation limite favorise une résonance à la fois corporelle, sociale et écologique qui génère une vibration existentielle.

Pour les participants, terminer l’UTMB comme d’autres courses du même type procure des bénéfices à fort rendement symbolique qui permet d’écrire une page particulièrement valorisante de son histoire personnelle et d’en sortir grandi. Il répond ainsi à une nouvelle façon de se penser dans notre société hypermoderne, comme nous l’avions souligné dans un article de recherche publié en 2021.

Et pourtant, les raisons d’agir pour obliger les organisateurs à envisager l’avenir de l’UTMB autrement font sens. L’évènement doit-il continuer à attirer toujours plus de concurrents et de public ? La vallée de Chamonix peut-elle accueillir autant de monde sans perdre son âme ?

Ralentir le rythme, diminuer la voilure et faire preuve de davantage de sobriété, en bref trouver un meilleur équilibre entre intérêts économiques, enjeux socioculturels et exigences environnementales, tel est le défi à relever par UTMB Group afin de proposer un événement vraiment éco-responsable qui rassurerait les coureurs et les institutions mais aussi valoriserait durablement le territoire du Mont-Blanc. La puissance publique est ici interpellée puisqu’elle est censée jouer son rôle de régulateur en travaillant à une meilleure acceptabilité sportive, sociale et environnementale.

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