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Kilian Jornet court dans la montagne
Kilian Jornet pendant l'ultratrail du Mont Blanc en 2018: 170 kilomètres en altitude et dans des conditions météorologiques difficiles. Jeff Pachoud/AFP

Ultratrails, plongées, expéditions : faut-il une personnalité hors du commun pour s’adapter à des conditions extrêmes ?

Kilian Jornet a gagné l’ultratrail du Mont-Blanc en 2022 en parcourant plus de 170 kilomètres et plus de 10 000 mètres de dénivelé en 19 heures 49 minutes et 30 secondes. Stéphanie Gicquel a parcouru 2045 kilomètres à ski en 74 jours, traversant l’Antarctique pour rejoindre le Pôle Sud avec des températures allant jusqu’à -50°. Thomas Pesquet a réalisé une sortie extravéhiculaire de 6 heures et 54 minutes, à 400 kilomètres au-dessus de la Terre.

Ces sportifs de l’extrême déploient des efforts surdimensionnés pour s’adapter à des conditions environnementales ou des exigences exceptionnelles. Pousser l’humain au-delà de ses limites n’est pas anodin sur le plan comportemental ou psychologique.

Alors, sont-ils différents du commun des mortels, pour réussir à réaliser de telles performances ?

Les environnements et les performances extrêmes

Effectuer un exercice intense en haute altitude, en plongée profonde, dans une station polaire ou lors d’un vol dans l’espace, ou courir un ultratrail, représentent des activités extrêmes stressantes pour le corps comme pour l’esprit.

En effet, ces environnements sont souvent caractérisés par des conditions naturelles hostiles (hypoxie, hyperbarie, apesanteur, froid, chaud, nuit…). Et si les facteurs de l’environnement physique sont la principale source de stress, certaines situations s’accompagnent aussi d’exigences sociales. En effet, dans les stations polaires ou dans les vols spatiaux habités, les personnes peuvent séjourner plusieurs mois ensemble et les participants sont exposés à d’autres formes de « stresseurs » : isolement prolongé, confinement, ennui, manque d’intimité, réduction des plaisirs, relations interpersonnelles, la liste est longue. Ainsi, Valeri Ryumin, un cosmonaute russe, aurait décrit ces conditions extrêmes ainsi :

« Toutes les conditions nécessaires pour commettre un meurtre sont réunies si vous mettez deux hommes dans une cabine mesurant 18 pieds sur 20 et que vous les y laissez pendant deux mois. »

Samantha Cristoforetti dans la coupole de l’ISS, porte un T-shirt connecté
Passer quelques mois dans une boîte de conserve, 400 kilomètres au-dessus du plancher des vaches, ça vous dit ? Ici, Samantha Cristoforetti, de l’ESA, joue en plus le rôle de cobaye pour une expérience scientifique. NASA

Selon la nature de l’environnement, les personnes peuvent développer des symptomatologies différentes. En haute altitude par exemple, certains développent le mal aigu des montagnes, une symptomatologie spécifique à la haute altitude, caractérisée par un ensemble de troubles physiologiques, psychologiques, comportementaux, cognitifs et affectifs dus à des conditions environnementales hypoxiques. Ce mal est lié à la fois au niveau d’altitude et à la vitesse d’ascension et varie selon les individus.

L’adaptation à ces contraintes multiples est un défi, et certaines personnes s’adaptent mieux que d’autres, et parfois plus rapidement.

Le rôle de la personnalité

Des études ont montré que la personnalité joue un rôle important dans le processus d’adaptation aux situations extrêmes.

D’ailleurs, l’adaptation est au cœur de la définition de la personnalité de Allport depuis le début du XXe siècle. Depuis les années 2000, on la définit même comme un modèle caractéristique d’adaptation dans la manière habituelle de penser (cognition), de sentir ou ressentir (émotions) et de se comporter ou de réagir (comportements), qui tend à demeurer relativement stable à travers les situations et le temps.

Au cours d’une ascension simulée de l’Everest en chambre hypobare, les sujets « réservés » et « opportunistes » se sont montrés plus aptes à relever le défi de l’hypoxie que les sujets « ouverts » et « consciencieux ».

En plongée professionnelle, l’évaluation des états d’anxiété de seize plongeurs a montré que trois présentaient un niveau d’anxiété clinique au cours de la plongée. L’analyse de leur personnalité a montré qu’ils présentaient des difficultés à se contrôler et une instabilité émotionnelle souvent concomitante à des humeurs dépressives et anxieuses.

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La comparaison de la personnalité d’un plongeur qui a développé des réactions sévères d’anxiété, suite à l’observation d’un plongeur en situation de narcose, avec celle d’un plongeur qui n’a pas eu de réaction a montré que le premier était extraverti avec un risque de somatisation.

plongeur devant une raie Manta
Plonger demande de se confronter à des environnements extrêmes et de savoir s’adapter à des situations parfois inattendues – ici, rencontre avec une raie Manta. Sean Steiniger/Shutterstock

En micropesanteur, les sujets qui s’adaptent le mieux aux conditions exigeantes d’un vol parabolique (alternance de phase d’hypergravité et de microgravité) sont des personnes qui n’apprécient pas la monotonie, les tâches répétitives et routinières. Ils sont plus dynamiques et proactifs dans leurs recherches de sensations.

Ces quelques études témoignent que la personnalité est devenue un facteur reconnu, capable de jouer un rôle dans les processus d’adaptation en environnements extrêmes.

Le rôle particulier de l’« intelligence émotionnelle »

L’intelligence émotionnelle peut être considérée comme une caractéristique de personnalité qui fournit un cadre intéressant pour évaluer les différences individuelles en ce qui concerne la manière dont les individus identifient, expriment, comprennent, régulent et utilisent leurs propres émotions – et celles des autres.

grille de questions pour évaluer l’intelligence émotionnelle
Il existe plusieurs types d’évaluation de l’intelligence émotionnelle. Ce questionnaire, connu sous le nom de « Brief Emotional Intelligence Scale – 10 (BEIS-10) » permet d’évaluer la capacité à évaluer ses propres émotions et celles des autres, à les réguler et à les utiliser. Pour répondre, il faut lire attentivement les états émotionnels décrits, choisir celui qui convient le mieux à ce que vous ressentez généralement, en cochant la case appropriée, sans passer trop de temps sur chaque question, en indiquant celle qui vous décrit le mieux en ce moment. Michel Nicolas, adapté de Davies et collaborateurs, 2010, Fourni par l'auteur

Les sports extrêmes offrent une situation particulièrement pertinente pour examiner ce trait de personnalité. Les ultra-trails en montagne comme l’UTMB (Ultra Trail du Mont-Blanc) et le Tor des Géants sont répertoriés parmi les courses les plus difficiles au monde.

Nous avons montré que les athlètes ayant des scores d’intelligence émotionnelle élevés ont déclaré des états de récupération plus élevés que les athlètes ayant des scores plus faibles. Les résultats confirment le rôle positif de l’intelligence émotionnelle sur la capacité d’un individu à faire face à des situations difficiles en « récupérant » davantage (des ressources) pour améliorer leur adaptation psychologique à ces sports extrêmes. Dans cette perspective, cette caractéristique de personnalité pourrait avoir un rôle protecteur contre le stress et améliorer la préparation mentale avant la compétition.

Différentes études ont suggéré que les caractéristiques dispositionnelles, telle que la personnalité des individus attirés par les situations extrêmes, variaient d’un environnement à un autre (e.g., stations polaires, missions spatiales) et peuvent influencer les processus d’adaptation. Identifier ces caractéristiques de personnalité pourrait permettre d’améliorer la sélection et la préparation des individus pour améliorer leur adaptation. En connaissant le profil de personnalité, le psychologue peut ainsi individualiser la préparation selon les caractéristiques de la personne. Par exemple, certains individus accordent plus d’importance à certaines informations sensorielles dans l’exécution de leurs actions. Ces personnes pourraient alors être entraînées à utiliser d’autres modalités sensorielles pour accroître leurs capacités et leurs performances. Un autre exemple consisterait à développer l’intelligence émotionnelle chez nos sportifs de l’extrême pour les aider à réguler leurs émotions et à gérer leur stress dans le but de maintenir, voire d’améliorer, leur performance.

La plupart des études en environnements extrêmes se focalisent sur les troubles de l’adaptation et tentent d’identifier des caractéristiques de personnalité pour améliorer la sélection et l’entraînement des participants. Mais de Thomas Pesquet à Killian Jornet et Stéphanie Gicquel, à n’en pas douter, les athlètes de l’extrême ont des caractéristiques de personnalité hors du commun.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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